Filière batterie : le milieu se mobilise pour soutenir les projets

Par Claude Boucher

Les récentes annonces de subventions et de soutien fiscal aux projets de développement de la filière batterie au Québec ont entrainé un curieux paradoxe : que ce soit dans le cadre de l’exploitation minière pour les matières premières des batteries ou de l’implantation de l’importante usine de Northvolt en Montérégie, des organismes environnementaux se sont rangés du côté des électro-sceptiques et ont dénoncé le soutien de Québec à ces projets. En réponse à ces critiques, plusieurs organismes québécois liés au développement de l’électromobilité et au monde manufacturier se sont levés pour appuyer la stratégie québécoise de la filière batterie.

Le 28 janvier dernier, la présidente-directrice générale de Propulsion Québec publiait dans La Presse une lettre co-signée par la plupart des dirigeants d’organismes liés au développement des véhicules électriques comme Daniel Breton de Mobilité électrique Canada et François Adam de l’Institut du véhicule innovant, ainsi que par les fers de lance du milieu économique et industriel, comme Véronique Proulx de Manufacturiers & exportateurs du Québec, Hélène Lauzon du Conseil patronal de l’environnement du Québec et Charles Milliard de la Fédération des chambres de commerce du Québec.*

Dans sa lettre, Michelle Llambias Meunier souligne qu’il est compréhensible et raisonnable de s’interroger sur la pertinence de la filière batterie et l’appui de Québec et d’Ottawa au développement de celle-ci. En entrevue, elle explique au Magazine MCI les raisons qui ont mené à la publication de cette lettre d’opinion.

« On a accueilli positivement les nouvelles annoncées au cours des dernières années par les gouvernements, tant provincial que fédéral, sur leur volonté de renforcer et d’avoir une filière batterie au Québec, pour compléter le plus possible une chaîne d’approvisionnement locale, et renforcer l’écosystème des transports électriques et intelligents qu’on est en train de développer au Québec. Et depuis les derniers mois, on sent qu’il y a, et c’est tout à fait légitime, des questionnements qui émergent vis-à-vis l’ampleur de cette filière-là ou de ce projet de société pour le Québec, du scepticisme vis-à-vis les investissements que ça nécessite, quant aux questions d’acceptabilité sociale, à l’impact réel qu’une filière comme celle-là peut avoir pour le Québec et le Canada. »

Propulsion Québec et les organismes cosignataires ont donc senti le besoin de faire un front commun, dans un rôle de mobilisateur, pour porter un message positif, recalibrer un peu le débat, et présenter des éléments qui sont selon elles davantage factuels, sur l’importance d’une filière comme celle-là pour le Québec.

Michelle Llambias Meunier ne nie pas que même sur le plan environnemental, des projets comme celui de Northvolt impliquent des compromis, mais selon elle, le bilan entre les impacts positifs et négatifs de ce projet, tout comme celui du développement minier, penche largement en faveur du développement de la filière batterie.

« Nous, on pense que ça demeure positif. Mais le message qu’on porte aussi, c’est deux choses : la première, c’est que si on veut tendre vers une mobilité plus durable, ça nécessite trois choses : d’abord, réduire les déplacements qu’on fait, ensuite, de transférer vers des modes de transport moins polluant, et d’améliorer la performance de nos véhicules, qu’ils soient individuels ou collectifs. Et c’est dans ce troisième volet, soit l’amélioration des performances de nos véhicules individuels ou collectifs, que la filière batteries par le biais de l’électrification, vient combler ce troisième volet. C’est aussi réellement important. »

Le deuxième élément du message des cosignataires vient en quelque sorte répondre aux inquiétudes des opposants au développement de la filière.

« Pour ce qui est du développement industriel, c’est sûr que notre position, c’est qu’à aucun moment on va encourager qu’il y ait des règles qui ne soient pas respectées, qu’il y ait un manque de responsabilité, de transparence ou de collaboration. Au contraire, on fait appel à la collaboration, à la transparence et au respect des règles. »

Une filière essentielle

L’électrification des transports dépend largement de la disponibilité des batteries. Or, actuellement, près de 90% des composantes et des produits finis proviennent de la Chine. C’est notamment pour répondre à cette dépendance que Propulsion Québec soutient la filière batterie.

« On aurait pu décider de ne pas développer ce secteur-là au Québec, de continuer de s’approvisionner en Chine, à Taiwan, au Japon. Parfois, c’est dans juridictions qui ont des valeurs similaires aux nôtres, mais parfois, ce n’est pas le cas, et les producteurs des composantes des batteries ailleurs dans le monde ne sont pas régis par les mêmes normes environnementales ou éthiques. Et ça nécessite aussi qu’on fasse venir ces produits de l’extérieur, ce qui implique des émissions de GES liées au transport de ces produits. »

Au cours de l’année 2023, les annonces de projets liés à cette filière se sont succédé à un rythme important. Ces annonces sont autant du côté de l’extraction minière de matières premières essentielles que de celui de la transformation de ces minerais en cathodes aux usines projetées à Bécancour de consortiums dont Ford et GM font partie, de l’usine de Nano One de Candiac déjà en opération, mais qui estime selon une récente étude pouvoir décupler sa production simplement qu’en doublant sa superficie, ou encore de l’usine en construction à Granby de Volta Canada qui fabriquera des feuilles de cuivre pour la fabrication de batteries. Avec l’arrivée prochaine de Northvolt, le Québec ira au-delà de la production de composantes de batteries, pour entrer de plein pied dans la fabrication d’un produit final.   

« Au moment où on se parle, au Québec, le seul élément de la filière batterie qu’on n’a pas, si on regarde de la mine à la récupération des batteries, c’est la deuxième et troisième transformation des minéraux qui se font encore à l’extérieur de la province », souligne Michelle Llambias Meunier.

Mais selon elle, et selon Investissement Québec qui dédie aujourd’hui tout un pan de son intervention au soutien du développement de la filière batterie, le Québec a tous les outils en main pour réussir à se positionner sur l’échiquier mondial de l’électromobilité.

« On a de l’énergie propre, par le biais principalement de l’hydroélectricité, on a une expertise qu’on a développée du côté de la recherche et développement, on a un bassin académique qui est robuste, on a un écosystème qui est en train de se consolider, on a accès à des minéraux critiques et stratégiques, et avec l’arrivée de Northvolt, on a un cellulier, ce qui était l’élément de la chaîne de valeur qui manquait. »

Fabriquer ici, pour répondre aux besoins d’ici

Propulsion Québec et les principaux acteurs soutenant le développement de la filière batterie n’ont pas pour ambition de supplanter la Chine pour l’approvisionnement mondial en batteries pour véhicules électriques. Pour Michelle Llambias Meunier, il s’agit d’abord et avant tout de répondre aux besoins présents et à venir pour le Québec, et stimuler la production ici de véhicules électriques, notamment du côté des véhicules moyens et lourds.

« On a la capacité d’y arriver, pour répondre à nos propres besoins. Pour nous, chez Propulsion Québec, c’est très important qu’on prenne en considération les besoins des entreprises d’ici, pour répondre à notre demande, que ce soit pour du véhicule léger, ou encore plus important, tout ce qui est lié aux véhicules moyens et lourds, donc camions et véhicules de transport collectif. Parce qu’on ne veut pas avoir à s’approvisionner en batterie ou en cellules à l’extérieur du Canada, ou du Québec, pour répondre à nos propres besoins. »

Des investissements rentables

Les opposants aux efforts et incitatifs des gouvernements fédéral et provincial pour attirer des investissements dans la filière batterie ont applaudi la publication d’une analyse du directeur parlementaire du budget à Ottawa, au sujet du seuil de rentabilité des subventions à la production pour Stellantis-LGES et Volkswagen1. Le DPB estime qu’il faudra 20 ans pour que les revenus gouvernementaux générés uniquement par les usines de fabrication de batteries de VE atteignent le montant des subventions à la production annoncées par les gouvernements du Canada et de l’Ontario.

En réponse à cette analyse, dont les conclusions pourraient s’appliquer aux investissements d’Ottawa et de Québec ici même, l’organisme Mobilité électrique Canada déplore que celle-ci exclue les investissements et les augmentations de production dans d’autres nœuds de la chaîne d’approvisionnement des VE. L’analyse du DPB souligne aussi un certain degré d’incertitude entourant la chaîne d’approvisionnement de la filière batterie et le développement de l’électromobilité, argument que réfute Mobilité électrique Canada.

MÉC se dit également surpris de constater que le rapport ne mentionne pas le fait que le soutien financier du Canada à la fabrication de batteries et véhicules électriques au Canada est une réponse directe à la Loi américaine sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act), loi qui a joué un rôle majeur dans l’appui nécessaire aux entreprises de la filière pour assurer une présence de celles-ci en sol canadien et québécois.

Voir loin

Propulsion Québec a d’ailleurs fait du soutien à la filière batterie une des propositions dans la présentation de ses priorités en prévision du budget de 2024 du gouvernement du Québec. En plus de soutenir le maintien et la bonification des programmes actuels d’incitatifs à la transition énergétique, l’organisme souligne la nécessité d’un appui plus solide aux entreprises en phase de démarrage et de forte croissance.

« L’accès à du capital lors des phases de démarrage ou de croissance est encore un défi aujourd’hui. Il y a de l’aide gouvernementale, des incitatifs fiscaux, des crédits, donc il y a quand même de bonnes politiques publiques dans ce sens. Mais si on se compare aux États-Unis, on n’a pas beaucoup d’argent privé disponible pour soutenir les entreprises du secteur des TEI. Et le gouvernement rétorque qu’il a besoin de sentir que le privé embarque. On ne va jamais leader une ronde de financement. On vient compléter un montage financier. Mais c’est un réel défi pour les entreprises qui sont en démarrage ou en phase de croissance, à qui on demande d’augmenter de manière assez importante leur capacité de production, mais qui n’ont pas nécessairement les moyens d’y arriver. »

Propulsion Québec appelle aussi à soutenir le développement de la récupération et du recyclage des batteries, un volet qui sera essentiel d’ici une dizaine d’années, mais auquel on doit s’attaquer dès maintenant.

*https://www.lapresse.ca/dialogue/opinions/2024-01-28/filiere-batterie/se-donner-les-moyens-de-nos-ambitions.php?sharing=true

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