Les technologies au service des humains et des organisations

Un téléphone intelligent est déposé sur une mappe du monde

Rencontre avec deux experts de l’Université de Sherbrooke

« Ce qui m’intéresse, c’est de quelle façon l’humain et la technologie sont en train de danser. Parfois c’est l’un qui mène la danse et l’autre va suivre, et à un moment donné c’est l’inverse. »

Celui qui parle s’appelle Olivier Caya et il est professeur à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke. À l’invitation du Magazine MCI, lui et sa collègue Manon G. Guillemette, directrice du département de systèmes d’information et méthodes quantitatives de gestion (SIMQG), ont accepté de discuter des relations que nous entretenons avec la technologie, en particulier dans le secteur manufacturier.

« La première chose qui me vient en tête, ce sont vraiment les opportunités associées à la transformation numérique, à la robotisation et l’automatisation », dit M. Caya, selon qui nous sommes présentement à la croisée des chemins.

M. Olivier Caya, professeur à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke. © Université de Sherbrooke.
M. Olivier Caya, professeur à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke. © Université de Sherbrooke.

Les entreprises qui ne sauteront pas dans le train du virage numérique pourraient éventuellement le regretter, notamment en raison de la pénurie de main-d’œuvre et des avantages concurrentiels que permettent les technologies de l’information (TI).

« Il faut réaliser que, il y a un certain temps, on parlait souvent quand on mettait en place une technologie, on allait remplacer l’être humain, ce n’était pas bon, on allait perdre des jobs », rappelle à ce propos Mme Guillemette.

Mais les choses ont bien changé. « Il y a un aspect très éthiquement positif à la technologie. Elle permet à l’être humain de se développer et de se défaire de tâches difficiles, répétitives et qui ne sont pas valorisantes pour les personnes », souligne-t-elle.

Sur le strict plan des affaires, les TI peuvent être payantes et assurer la pérennité des entreprises qui les utilisent, estime M. Caya. « Je crois que de bons choix d’automatisation et de robotisation peuvent amener les entreprises à optimiser certaines fonctions telles que le contrôle de qualité et la stabilité des opérations », dit-il.

Chaîne d’approvisionnement plus prévisible

Cette stabilité passe souvent par une chaîne d’approvisionnement bien huilée, une situation qui a cruellement fait défaut à de nombreuses reprises au cours des derniers mois.

Pour M. Caya, les technologies peuvent faciliter la gestion de cette chaîne, en détectant d’éventuels bris plus rapidement et aider à déterminer un plan de contingence si, à titre d’exemple, un ou des fournisseurs n’arrivent plus à subvenir à la demande.

« Mais sans l’information en amont par contre, ces choses-là sont impossibles. C’est là qu’on parle d’accès à des données massives, le big data. Si on est capables de connecter davantage tous les acteurs d’une chaîne d’approvisionnement et de partager l’information rapidement, il est plus facile de réagir rapidement également pour pallier des bris dans le fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement », explique M. Caya.

Infographie colorée de tableaux et d'icônes représentant des données informatiques.

Modes de communication

Se connecter. Nous ne l’avons jamais autant fait depuis le début de la pandémie, alors que les épisodes de confinement et de couvre-feu ont multiplié les manières dont nous interagissons par courriel, textos et autres réunions Teams ou Zoom.

Manon G. Guillemette, directrice du département de systèmes d’information et méthodes quantitatives de gestion (SIMQG). © Université de Sherbrooke.
Manon G. Guillemette, directrice du département de systèmes d’information et méthodes quantitatives de gestion (SIMQG). © Université de Sherbrooke.

Pour Mme Guillemette, la communication ne peut être efficace que si on utilise le mode de transmission approprié pour un message donné.

« Ces technologies sont des technologies asynchrones, où il y a un écart qui se passe entre le moment où on émet un message et le moment où on va recevoir une réponse », dit-elle au sujet des courriels et messages texte, dont on doit privilégier l’utilisation pour transmettre une information ou en obtenir une.

Une réelle conversation demandera une interaction instantanée, par clavardage, visioconférence ou, idéalement, en personne selon la chercheuse.

À titre d’exemple, une évaluation périodique de rendement est impensable sans interaction directe où il est crucial de décoder le langage non verbal au-delà des mots échangés, ainsi que la compréhension du message que l’on veut véhiculer.

« Il faut qu’on donne du temps à la personne pour s’exprimer, c’est une activité où la communication est profonde d’une certaine façon. On ne fait pas ça par courriel. Il faut être attentif à l’autre lorsqu’on fait ce genre de rétroaction là », indique Mme Guillemette.

Technologie et télétravail

Chose certaine, les travailleurs et les employeurs ont appris très rapidement à manier ces différents modes de communication lorsque le télétravail est devenu une obligation.

Tellement que bien des employés ne veulent plus revenir au bureau, ou du moins pas cinq jours par semaine, constate M. Caya en parlant du mode de travail hybride – parfois en entreprise, parfois à la maison – qui gagne en popularité.

« On a bougé en très peu de temps, c’est vraiment une redéfinition de la manière dont le travail s’effectue. Les TI ont rendu ça possible. La pandémie nous a ouvert les yeux, les gens ont été propulsés contre leur gré dans leur foyer. On s’est rendu compte que les technologies nous permettaient d’être productifs quand même », dit-il.

Productifs, d’accord. Mais pas à n’importe quel prix ni à n’importe quel moment. « Les alertes qui sonnent à la maison très tôt le matin ou tard le soir, ce sont des choses que l’on voyait moins avant et qui commencent à créer une empreinte chez les travailleurs », constate M. Caya.

Cela nous amène sur le terrain du droit à la déconnexion, un enjeu extrêmement compliqué puisque, d’un employé à l’autre, la façon de gérer cette flexibilité varie énormément. Un célibataire dans la jeune vingtaine ne vit pas la même réalité qu’une mère de famille.

Et comme la pénurie de main-d’œuvre a inversé le rapport de forces, les employés se sentent très à l’aise de personnaliser à l’extrême leur formule de travail hybride et l’élasticité de leurs heures de disponibilité.

Cela a un impact sur la santé mentale des gestionnaires, a découvert M. Caya. « Tous nos marqueurs de santé psychologique étaient plus rouges que pour les employés », dit-il à la suite d’une étude menée en entreprise.

Vu de dos d'une jeune femme assise à son bureau devant un écran d'ordinateur.
La technologie a rendu possible le télétravail, et les gens ne veulent plus l’abandonner. Du moins pas totalement.

Gérer les changements technologiques

Il faut dire que ces patrons – tout comme leurs employés d’ailleurs – ont vécu une foule de changements au travail depuis les deux dernières années. Et la gestion des changements est justement l’un des champs de recherche de la docteure Guillemette.

Selon elle, les gens ne sont pas par nature réfractaires au changement. « En fait les gens sont souvent réticents au changement quand ils ne perçoivent pas la valeur qui va être apportée et contrebalancent par l’effort que ça va leur demander », dit-elle.

Parfois, c’est simplement parce que l’explication n’est pas claire ou que la justification du changement n’est pas comprise ou ne leur a pas été communiquée correctement.

Lors de l’introduction d’un changement, il faut selon elle aller au-delà de l’aspect rationnel et se préoccuper de ce que vivent les personnes confrontées à ces nouvelles manières de faire.

« Parfois, c’est de descendre le message à un niveau qui touche les personnes et là on est capables de développer un sentiment d’appartenance. L’erreur principale, c’est de laisser ça un niveau tellement élevé, abstrait et déconnecté de la personne qu’elle ne peut pas s’identifier à ce changement-là et s’y engager », explique Mme Guillemette.

Un réseau social intraorganisationnel pourrait être une avenue de solution, estime le professeur Caya. Tout comme un réseau traditionnel, disons Facebook, on connecte les individus les uns avec les autres, mais pas nécessairement sur la base d’une relation d’amitié, plutôt par leur statut d’employés d’une entreprise.

« Ce n’est pas seulement le vecteur de socialisation qui tend à être visé par ces technologies, mais aussi tout ce qui est partage des connaissances et l’amélioration continue. Donc c’est de la socialisation, mais aussi du partage de meilleures pratiques », explique-t-il.

Selon M. Caya, l’outil que constitue le réseau social peut même être un moyen complémentaire de renforcer une politique d’inclusion et de diversité au travail.

Les femmes en techno

Les femmes représentent en partie cette diversité dans le secteur des technologies qui est très majoritairement masculin, et cela interpelle Mme Guillemette.

Selon elle, « les femmes en technologies jouent un rôle extrêmement important. »

« La partie ‘’service’’ est souvent beaucoup plus présente chez ces femmes-là. On est généralement très à l’écoute des besoins des gens avec qui on travaille et on veut que la technologie qu’on leur donne soit positive pour eux. Et ça, c’est souvent au cœur des interactions qu’on a », dit-elle.

Par ailleurs, le sens de l’ordre souvent associé à la gent féminine serait un atout dans la sphère technologique. « Il faut être super organisés pour que la technologie fonctionne sans bogue. Et souvent, les femmes sont très très bonnes là-dedans », conclut la directrice de département.

Par Eric Bérard


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