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L’intelligence artificielle en santé, un modèle pour le secteur industriel?

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Des données pour mieux soigner les aînés

La pandémie de COVID-19 a fauché l’essentiel de ses victimes chez les personnes âgées et en perte d’autonomie, en particulier celles vivant dans des conditions de promiscuité en CHSLD. Cela a relancé le débat sur l’importance de garder dans le confort de leur maison les personnes vulnérables pouvant très bien bénéficier de soins à domicile. Et plusieurs des avancées de gestion dans ce domaine pourraient très bien s’appliquer aux secteurs manufacturier et industriel.

À la mi-janvier, avant même que le virus maudit vienne paralyser l’économie du Québec et celle de la planète entière, la firme montréalaise AlayaCare annonçait avoir obtenu un soutien financier de Scale AI, la grappe spécialisée en intelligence artificielle, pour mettre de l’avant ses projets de développement.

L’entreprise et ses 425 employés est présente en Amérique du Nord, au Moyen-Orient, en Asie et en Australie. Elle fournit depuis un peu plus de cinq ans des logiciels de gestion d’entreprise à des agences de soins à domicile, par exemple pour gérer les horaires des préposés aux bénéficiaires ou infirmières (les aidants) qui se déplacent au domicile des patients pour leur prodiguer des soins de façon ponctuelle – au retour d’une chirurgie par exemple – ou de plus longue durée.

Toutefois, les anciens modèles de gestion avaient leurs limites, notamment en ce qui a trait à la rétention du personnel, explique Naomi Goldapple, directrice des laboratoires de recherche et développement chez AlayaCare.

Pour faire en sorte que les aidants restent à l’emploi des agences de soins à domicile, une rémunération adéquate est nécessaire. Et comme les employés sont payés à l’heure dans cette industrie, il est primordial de couper au maximum les « trous » dans les journées de travail, entre les visites à différents patients, de manière à ce que les aidants puissent cumuler suffisamment d’heures et demeurent à l’emploi de leur agence.

« Le problème pour presque tout le monde dans cette industrie, c’est qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre, comme on l’a vu avec la crise de la COVID-19 », indique Mme Goldapple. « Si les aidants ne sont pas satisfaits, ils vont changer d’agence. S’ils ont seulement une visite le matin et une le soir, ce n’est pas suffisant [pour leur assurer un salaire correct]. »

C’est l’un des volets où l’intelligence artificielle a permis d’intervenir, via des algorithmes d’optimisation des horaires de travail, explique-t-elle. À titre d’exemple, des fonctions de repérage permettent de savoir quel aidant se trouve le plus à proximité d’un patient qui requiert un soin afin de limiter les pertes de temps de transport.

Le logiciel aide aussi à confectionner des horaires en fonction des préférences et obligations personnelles des employés, par exemple le travail de jour, de soir ou de nuit, la semaine ou le week-end, etc.

Et après chacune des visites où l’aidant change un pansement, prépare un repas ou veille aux soins d’hygiène personnelle, l’employé est appelé à rédiger de brèves notes sur ce qu’il ou elle a observé chez le patient. Par exemple une plaie qui guérit mal ou une perte d’appétit, une hausse de la tension artérielle, etc.

Ce qui se cache derrière les mots

Ces notes peuvent être analysées à l’aide de systèmes de traitement de langage naturel (natural language processing), qui tient compte de la manière dont elles sont rédigées, l’usage que fait l’employé de la ponctuation ou encore des majuscules, toutes des variables qui peuvent indiquer de la frustration. « Toutes ces données sont mises dans un modèle et ça nous permet de prédire si un employé est à risque de démissionner », explique la spécialiste d’AlayaCare.

Ces données, placées dans le nuage pour en faciliter l’accessibilité, sont à la base de l’intelligence artificielle qui, « apprend à apprendre » en fonction de patterns ou de schèmes qui se répètent et permettent d’affiner la prise de décision chez les gestionnaires d’agences de soins à domicile. « Ces modèles doivent être nourris de beaucoup de données », déclare Mme Goldapple au sujet de ce qu’il est convenu d’appeler apprentissage machine, ou machine learning en anglais.

En plus de rendre les aidants plus heureux au travail, cette optimisation des processus permet aussi de mieux cibler les interventions faites auprès des patients via des plans de soins de plus en plus précis. Un historique démographique peut, à titre d’exemple, déterminer qu’une femme de 75 ans de retour à la maison après une chirurgie de remplacement de la hanche requerra tel type de soins, à telle fréquence et doit prendre tel type de médicament. « On essaie de faire quelque chose comme un moteur de recommandations pour les plans de soins, un peu à la Netflix », précise Mme Goldapple. « On utilise les données pour bien mesurer ce qui fonctionne bien et ce qui fonctionne moins bien pour offrir les meilleurs soins qui soient. »

L’accumulation de ces données cliniques, notamment par le traitement d’information relative aux signes vitaux relevés à distance, permet même de prédire les risques qu’un patient doive être hospitalisé et, auquel cas, un être humain prend le relais et téléphone ou visite le bénéficiaire pour mesurer son état de santé en personne.

L’infonuagique permet aussi d’adapter les plans de soins en fonction de facteurs humains psychologiques (deuil, rupture amoureuse, etc.) « On peut vraiment être très proactifs et tenir compte de ces changements », indique Mme Goldapple.

Son collègue Martin Ducharme, directeur de la stratégie et du développement des affaires chez AlayaCare, souligne que l’intelligence artificielle favorise la médecine de précision, plus proactive, permettant par exemple de détecter une crise cardiaque 15 minutes avant qu’elle se produise.

Une inspiration pour le secteur industriel

Outre les outils de rétention de personnel dont les avantages sont universels en ces temps de pénurie généralisée de main-d’œuvre et où le roulement de personnel représente un cauchemar pour tous les gestionnaires d’entreprise, l’intelligence artificielle telle que mise en application dans le secteur des soins à domicile pourrait servir d’inspiration au milieu industriel.

« Dans le milieu industriel, les organisations devraient avoir le même intérêt pour les approches de sciences de données et d’intelligence artificielle », estime M. Ducharme au sujet des avantages de la gestion proactive, par exemple en matière d’entretien prédictif de la machinerie.

« En santé, si on n’a pas les données rapidement, ça peut amener des complications qui peuvent avoir de graves répercussions en termes de vies », dit-il, établissant un parallèle avec la grande industrie. « En industriel ou en manufacturier, ce qui peut arriver si par exemple on a un bris qu’on aurait pu anticiper sur une turbine qui met LG2 en arrêt, ça a aussi un impact énorme. »

Et tout comme les notes des préposés aux bénéficiaires permettent de mieux traiter les patients, celles de vos employés d’entretien pourraient être analysées pour déterminer les niveaux de risque de défaillance ou de bris de machine en raison du niveau d’usure d’un tuyau, de la densité d’un matériau, etc. « Tout ça se corrobore en plus des données qualitatives pour lesquelles auparavant il aurait fallu utiliser une équipe de 15 personnes pour lire, analyser et décortiquer, ce qu’on peut faire maintenant en quelques secondes avec des outils d’intelligence artificielle », indique M. Ducharme.

Il ajoute que l’identification de patterns mentionnée plus haut pourrait aussi permettre un meilleur contrôle de la qualité de production. Les défectuosités se produisent surtout pendant quels quarts de travail? Lorsqu’on transforme quel type de matière? Selon quel rythme de production?

« Comment on fait pour identifier ce pattern sans que ça prenne dix jours avec trois employés? », résume M. Ducharme pour illustrer les possibilités de l’intelligence artificielle dans le secteur manufacturier à partir de son expérience vécue dans le milieu de la santé.

Par Eric Bérard

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