6
Jan

L’immotique est gage d’importantes économies d’énergie et de gains de productivité en usine

Partager :
Auteur:  

Maîtriser le climat

Alors qu’il travaillait à la mise au point de ses premières autoneiges dans les années ’30, Joseph-Armand Bombardier était déterminé à ce que le rude climat québécois ne soit plus un obstacle aux plus grandes aspirations de ses compatriotes.

Près d’un siècle plus tard, l’équipe de Bombardier Produits Récréatifs (BRP) vise le même objectif d’avancées technologiques et de maîtrise de l’environnement… mais de l’environnement de travail cette fois.

C’est ce qu’explique Vincent Bibeau en entrevue au Magazine MCI. Ingénieur de projets aux infrastructures chez BRP, M. Bibeau indique que l’immotique – la science de la gestion de mécanique de bâtiment – s’inscrit dans l’ADN de la firme de Valcourt, où se trouve un complexe d’une vingtaine d’immeubles à bureaux et sites de production qui forme son siège social.

Il y a plus de vingt ans que la firme a entrepris de s’attaquer aux lourdes factures d’énergie liées au chauffage, à la climatisation, à la ventilation et à divers systèmes de gestion de ses bâtiments. « Il y a toujours eu une volonté d’améliorer, année après année, ce volet-là parce qu’on finissait par payer nos projets avec les économies d’énergies qui s’additionnaient », déclare M. Bibeau.

BRP avait déjà automatisé une partie de ses processus de fabrication et a d’abord misé sur des systèmes maison concoctés par ses propres programmeurs pour gérer sa mécanique de bâtiment. La firme a finalement choisi de se tourner vers des experts externes, spécialisés en immotique. « C’est devenu plus intéressant parce que ça permettait de séparer la production de la gestion de bâtiment », dit M. Bibeau, expliquant qu’il s’agit de disciplines bien différentes. « C’est complètement autre chose », note-t-il.

Pour Marc Dugré, président de la firme Régulvar dont le siège social se trouve à Laval mais dont l’expertise en services immotiques est reconnue autant dans le reste du Canada qu’en Europe, ce parcours n’a rien de surprenant. Il explique que le milieu industriel et manufacturier québécois accuse un certain retard en matière d’immotique par rapport à des secteurs institutionnels tels que les hôpitaux ou les écoles, souvent en raison de sa nature même.

« Pour un manufacturier ce qui prime, c’est la production. Alors souvent l’économie d’énergie passe en deuxième ou plus loin encore dans la liste des priorités », dit-il. Et le réflexe de faire appel à des ressources d’automatisation de la production pour gérer ses bâtiments, s’il est malavisé selon lui, n’en est pas moins courant. « C’est une mauvaise décision parce que le design de ces appareils-là est totalement à l’opposé du design des systèmes immotiques », dit-il. « Je ne mettrais pas un de nos systèmes pour contrôler une chaîne de montage », dit-il pour illustrer à quel point il s’agit de disciplines distinctes.

Bien que le terme « immotique » soit relativement nouveau, la gestion de mécanique de bâtiment a toujours existé. Ce sont toutefois les avancées technologiques et le virage numérique qui en ont fait une science de plus en plus exacte. « À la base, l’immotique c’est du contrôle d’ambiance de bâtiment », résume M. Dugré.

Question d’illustrer ce niveau de progression dans l’exactitude et la polyvalence de l’immotique, le patron de Régulvar cite l’exemple des anciens systèmes pneumatiques de contrôle des chaufferies dont la précision était au degré près. « Aujourd’hui, on joue dans le dixième de degré et ça fonctionne. »

Économies, confort et productivité

Les économies d’énergie et le confort des travailleurs sont le pilier central de l’immotique, mais pas le seul puisque leur sécurité fait aussi partie de l’équation. On peut penser à des systèmes de confinement qui bloquent l’accès à une zone précise en cas de déversement accidentel d’une matière dangereuse, mais aussi aux systèmes de sécurité tels que les guérites d’accès ou les caméras de surveillance des bâtiments industriels.

BRP a d’ailleurs intégré cet aspect à ses opérations d’immotique. « On a une salle de contrôle où un opérateur est présent 24 heures sur 24. Il peut voir qui entre et sort, en plus de recevoir toutes les alarmes qui sont jugées critiques sur le bâtiment. Par exemple s’il y a une panne électrique, il y a toujours quelqu’un sur place qui va prendre charge de cette alarme et transmettre l’information à la bonne personne », explique M. Bibeau.

L’expert de BRP ajoute que cette précision des interventions par les mécaniciens explique probablement pourquoi ils ont adopté l’immotique et obtenu si peu de résistance au changement. Ils n’ont plus à aller « à la pêche » pour repérer un système de climatisation défectueux ou attendre qu’un employé se plaigne d’odeurs désagréables pour diagnostiquer le mauvais fonctionnement d’un évacuateur d’air puisqu’un code d’erreur les en avise, sur la même logique que le témoin « check engine » sur le tableau de bord de nos voitures.

« On a au-delà de 150 unités au toit, juste pour le chauffage et la climatisation. Alors à un moment donné, ça devient lourd de détecter tous les problèmes. Les équipes d’entretien en ont très large à couvrir avec toutes nos infrastructures », indique M. Bibeau pour illustrer que l’immotique permet aussi l’optimisation des ressources humaines, primordiale en cette période de pénurie de mécaniciens. « Ça permet toujours d’en faire un peu plus avec un peu moins », résume-t-il.

L’ingéniosité Bombardier se révèle aussi dans les économies d’énergie réalisées à son centre de recherche, où la chaleur des dynamomètres utilisés pour tester les véhicules BRP, plutôt que d’être gaspillée, est récupérée et transmise au système de chauffage principal. « On réussit à récupérer de la chaleur pour chauffer tout le bâtiment avec ça », témoigne M. Bibeau.

L’inverse est également vrai puisque, en période estivale, le système de climatisation du bâtiment est mis à profit pour refroidir ces mêmes dynamomètres. « On peut jouer avec ce système-là pour essayer d’améliorer notre empreinte carbone » ajoute l’ingénieur de BRP.

Les systèmes d’éclairage peuvent aussi être intégrés à un programme d’immotique, indique M. Dugré, précisant qu’il existe des capteurs intelligents capables de détecter la présence humaine pour allumer ou éteindre les lumières. La chaleur qu’une personne dégage, le bruit ou l’utilisation de Bluetooth activent le système. Diablement pratique lorsqu’on entre dans une pièce sombre avec les mains pleines ou si l’on veut éviter de toucher un interrupteur dans un contexte de prudence sanitaire liée à la pandémie de COVID-19.

Aide financière à l’implantation

C’est bien beau tout ça, mais implanter un système immotique, combien ça coûte? Et en combien de temps peut-on escompter récupérer son investissement? Marc Dugré esquisse un sourire lorsqu’on lui pose la question, parce qu’elle revient inévitablement chez les clients de Régulvar. Il n’y a en fait pas de réponse simple dit-il puisque, par définition, chaque bâtiment industriel est unique, tout comme ses processus de fabrication.

« Il y a des compagnies où les chaînes de production font en sorte qu’entre telle heure et telle heure on consomme beaucoup d’électricité pour un procédé quelconque qu’on ne peut pas modifier. On aurait beau installer n’importe quel système immotique, ça ne changera pas cette consommation-là qui est souvent une partie importante de la production », explique M. Dugré.

Il estime néanmoins à trois ou quatre ans la période maximale de retour sur investissement. Chez BRP, M. Bibeau a aussi du mal à chiffrer de façon précise les coûts et bénéfices de l’immotique puisque la mise en place s’est faite de façon très graduelle. Il est toutefois clair que l’immotique a permis à son entreprise de générer des économies appréciables, assez pour qu’elle continue dans cette voie. « On sait qu’à long terme on va avoir les bonnes données et qu’on va être capables d’économiser de plus en plus d’énergie », dit-il.

« Ma vision c’est qu’il faut continuer et que ça devienne un standard. Quand on ajoute un système, ça prend un contrôle qui vient avec », ajoute M. Bibeau pour illustrer à quel point l’immotique est désormais partie intégrante de chacun de ses projets. « Le bâtiment doit toujours être là pour fournir les services en eau, en air comprimé ou en électricité », ajoute-t-il.

Bonne nouvelle pour les entreprises qui envisagent le virage immotique, des programmes d’aide financière à l’implantation sont disponibles par l’entremise d’organisations telles qu’Énergir, Hydro-Québec ou Transition énergétique Québec, indique Marc Dugré.

Selon ce dernier, l’installation de systèmes immotiques ne requiert généralement pas d’arrêt des activités de production. « On est assez expérimentés pour faire les transferts aux bons moments », dit-il. Il peut arriver que l’alimentation en électricité doive être coupée pendant un moment pour des raisons de sécurité mais ce serait l’exception plus que la norme. Ce que confirme l’ingénieur de BRP : « On est capable de le faire en parallèle assez souvent. » Lorsque c’est impossible, ils procèdent aux travaux hors des heures de travail, précise M. Bibeau.

En plus de viser les économies d’énergie, l’immotique vient en bout de ligne appuyer les opérations de production. Ce n’est pas pour rien que M. Bibeau parle de sa clientèle interne lorsqu’il fait référence aux gens de production ou au personnel de bureau.

« Le but, c’est de devenir le plus prédictifs possible et non réactifs », dit-il au sujet des opérations d’entretien de mécanique de bâtiment qu’il supervise. « On a tout en place pour continuer vers l’industrie 4.0 et, au lieu d’attendre qu’un moteur tombe en place pour aller voir ce qui se passe, essayer de monitorer sa chaleur par exemple afin d’intervenir avant qu’un bris se produise et donner encore un meilleur service, ne pas avoir à arrêter les opérations », conclut M. Bibeau.

Par Eric Bérard

Les articles de la catégorie Bâtiments et entrepôts pourraient vous intéresser

Lire notre plus récent magazine
Nos annonceurs