Après des hausses successives du taux directeur, qui a atteint un sommet de 5% en juillet 2023, la Banque du Canada a commencé à lâcher du lest en juin dernier, avec trois baisses successives d’un quart de point. Et si les signes d’un ralentissement étaient indéniables en 2023 et 2024, cette baisse des taux devrait stimuler la reprise de la confiance des consommateurs et des investissements des entreprises.
Au Mouvement Desjardins, l’économiste principale Florence Jean-Jacobs entrevoit une poursuite de la baisse des taux.
« Notre scénario table sur une poursuite des baisses de taux par la Banque du Canada. On pense qu’il y aura une baisse de 50 points le 23 octobre. Notre scénario est que ça va se poursuivre cette année et l’année prochaine, avec environ 3,5% à la fin de cette année et autour de 2,25% pour le taux directeur vers la fin 2025. »
Cette hypothèse est partagée par Émile Émond, économiste chez Québec International, qui estime que l’économie envoie des signaux de plus en plus clairs.
« Le contexte économique actuel est marqué par un certain ralentissement, un refroidissement du marché du travail, mais aussi un ralentissement de l’inflation. On se relève un peu de l’impact de l’inflation qu’on a connue. Le marché du travail a réagi. La croissance par habitant est un peu au neutre. Une fois que c’est dit, aujourd’hui, on sent qu’il y a une incertitude. Mais si on regarde vers 2025, on sent que le meilleur est à venir. »
Mais il souligne que l’impact de l’inflation se fait toujours sentir, puisque l’augmentation des coûts n’a pas été réduite par un phénomène de déflation. Il constate un regain d’optimisme, mais un optimisme marqué par l’attente d’une baisse plus importante des taux d’intérêt.
« On le voit dans les intentions d’investissements. Les taux d’intérêt sont encore élevés. Oui, ils baissent, mais on sent que les entreprises comme les particuliers sont en attente de baisses supplémentaires avant d’investir. Les coûts demeurent un défi malgré l’amélioration. »
Florence Jean-Jacobs de Desjardins constate toutefois des signes clairs du retour d’un contexte plus favorable aux investissements des entreprises.
« On le voit déjà avec la perspective de baisses de taux. Il y a une certaine reprise des activités économiques au Québec, une reprise des investissements en machinerie au deuxième trimestre, une reprise des investissements non résidentiels au Canada au deuxième trimestre aussi. On pense qu’on s’en va dans cette direction, où ça devient plus intéressant de se lancer dans des projets d’expansion ou de modernisation avec des taux d’emprunts plus bas. »
Selon elle, les risques d’un emballement de l’économie avec la baisse des taux sont faibles. La chaîne d’approvisionnement n’étant plus sous haute pression, et le niveau d’épargne des consommateurs n’étant plus aux sommets atteints durant la pandémie, elle estime que le contexte n’est pas propre à entrainer une reprise de l’inflation.
« En ce moment, on ne voit pas ce même déséquilibre entre l’offre et la demande. La demande est même plutôt modérée au Canada, pour différentes raisons. Au niveau de l’offre, on n’a pas les blocages dans les chaînes d’approvisionnement qu’on avait autour de la pandémie », nous dit Florence Jean-Jacobs.
Elle souligne aussi que près du tiers des détenteurs d’hypothèques, qui ont pris leur hypothèque en 2020 et 2021, auront à faire face à l’augmentation des taux dans les mois à venir, ce qui devrait modérer la reprise.
Avec une inflation qui a rejoint la fourchette cible de la Banque du Canada, le marché du travail est maintenant un facteur d’inquiétude plus important. Sans parler d’un niveau de chômage préoccupant, Émile Émond de Québec International constate un rééquilibrage.
« On le voit sur les postes vacants, le taux de chômage est remonté à des niveaux qu’on n’avait pas vus depuis quelques années. Mais ce taux de chômage, dans notre perspective, ne devrait pas exploser. C’est un retour à une situation un peu plus normal. Les entreprises ne vivent pas une situation critique comme en 2022-2023, mais la rareté de main-d’œuvre reste un enjeu.
Il souligne toutefois qu’il faut être prudent et ne pas généraliser, mentionnant qu’il n’y a pas un marché du travail, mais plusieurs marchés du travail. Il estime que la rareté de main-d’œuvre va demeurer présente, particulièrement pour certains secteurs.
Au Mouvement Desjardins, Florence Jean-Jacobs prévoit une légère hausse du taux de chômage, mais estime que ce taux devrait baisser dès l’an prochain.
« Au Québec, on est à 5,7%, on va peut-être dépasser le 6%, mais ça va diminuer par la suite. Je ne pense pas qu’on revienne à une situation de pénurie aiguë de main-d’œuvre. Toutefois, il y a un délicat équilibre qu’il va falloir trouver, parce qu’une bonne partie des postes vacants avaient été pourvus par l’immigration. Les conditions qui vont s’améliorer au cours de 2025 vont quand même permettre au taux de chômage de redescendre à un niveau plus bas, mais pas du 2% ou 3% non plus. »
Si la plupart des indicateurs économiques pointent vers une embellie en 2025, avec une baisse des taux d’intérêt et un retour de la confiance des consommateurs et des entreprises, les élections américaines viennent jeter un caillou dans la marre et constitue le principal facteur d’incertitude. Au moment d’écrire ces lignes, il restait encore trois semaines avant le scrutin pour le ou la nouvelle locataire de la Maison-Blanche.
Émile Émond de Québec International ne prévoit pas de grande différence entre les deux issues possibles.
« Le principal facteur d’incertitude en ce moment c’est l’élection américaine. Les autres éléments sont importants et peuvent avoir un impact, mais 74% des exportations québécoises vont aux États-Unis. Reste que, quand on regarde du côté commerce, la plupart des observateurs estiment qu’on se retrouvera dans une position équivalente. Les républicains comme les démocrates vont mettre de l’avant l’économie américaine. Il y a un vent de protectionnisme aux États-Unis. Et on le voit des deux côtés. »
Chez Desjardins, on part de l’hypothèse d’une victoire de Kamala Harris pour analyser les scénarios possibles. Les économistes des Desjardins se sont donc penchés sur l’impact du résultat contraire pour analyser les impacts d’un retour de Donald Trump à la présidence.
« De façon général, l’effet de l’élection de Trump serait plus négatif pour l’économie canadienne, principalement en raison de la politique commerciale », nous dit Florence Jean-Jacobs. « Il parle d’appliquer des tarifs de 10% de façon généralisée, sans exception, ce qui serait très dommageable pour les exportations canadiennes. Et il y aurait un effet de ralentissement de l’économie américaine, parce qu’il souhaite réduire l’immigration de façon abrupte aussi. »
Desjardins estime toutefois que les impacts de l’élection de Donald Trump ne se feraient pas sentir avant quelque temps.
« À court terme, il y a même une occasion d’augmenter les exportations. Mais avec près des trois quarts de nos exportations qui vont vers les États-Unis, ça serait dommageable. Pour les produits non énergétiques, on a calculé qu’il y aurait une baisse d’environ 2,7%, et ça pourrait se traduire par une baisse du PIB canadien de l’ordre de 1,7% à la fin d’un éventuel mandat de Trump, par rapport au scénario de base. Il y a des impacts importants pour l’économie canadienne, donc on suit ça de très près. »
Cette incertitude est aussi alimentée par la révision de l’Accord commercial Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) qui aura lieu en 2026, et sera donc négocié avec la prochaine présidence américaine.
Florence Jean-Jacobs de Desjardins rappelle que les autres incertitudes géopolitiques, comme la guerre en Ukraine et les conflits au Moyen-Orient, risquent aussi d’avoir un impact sur l’ensemble de l’économie mondiale, et pourraient créer de nouvelles perturbations dans les chaînes d’approvisionnement.
Mais selon Émile Émond de Québec International, la tendance vers le rapprochement des chaînes d’approvisionnement et une plus grande proximité d’intérêts dans le commerce international vient tempérer ces risques.
« Le contexte du protectionnisme aux États-Unis est contrebalancé par la pratique du « allied shoring », l’approvisionnement entre pays alliés. Le Canada reste un allié pour les États-Unis. L’économie nord-américaine est intégrée. Il y a donc un potentiel rassurant. »
Quant aux éventuelles élections à Ottawa, elle estime que le climat politique canadien ne provoque pas un niveau d’incertitude aussi élevé, et qu’il est encore trop pour se prononcer.