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Une nouvelle filière de métaux légers au Québec – Alliance Magnésium transforme des résidus miniers en leur donnant une valeur ajoutée

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Ces économies de carburant sont gages de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) mais la firme Alliance Magnésium, de Danville en Estrie, voit plus loin encore.

Alliance Magnésium Inc. (AMI) n’est pas une société minière puisqu’elle ne procède à aucune extraction. Sa matière première, c’est la serpentine qu’on retrouve en abondance dans les résidus d’amiante; d’où l’installation d’AMI tout près d’Asbestos.

Il y a peu ou pas de frais ni de contrecoup polluant associé au transport de la matière première puisqu’elle est déjà à portée de main en quantité. Les réserves de serpentine du site d’AMI sont évaluées à 100 millions de tonnes, dont 25% de contenu de magnésium.

En transformant la serpentine en magnésium, on valorise une matière autrement considérée comme un rebut. La production de magnésium issue de cette serpentine est tout aussi respectueuse de l’environnement puisque le procédé d’électrolyse fait appel à l’hydroélectricité renouvelable du Québec. Enfin, le magnésium qui sortira de la fonderie se retrouvera dans les composantes de véhicules qui, eux aussi, pollueront moins en raison de leur extrême légèreté. « On fait la boucle complète », témoigne M. Pierre Saint-Aubin, vice-président des affaires corporatives d’AMI en entrevue à Circuit Industriel.

Tout cela sans compter qu’en utilisant des résidus de production d’amiante d’une autre époque, AMI évite à l’ancien propriétaire du site ou au gouvernement du Québec d’avoir à engager des frais de nettoyage d’un site qui serait autrement devenu orphelin.

Ce modèle d’affaires innovateur a retenu l’attention de plusieurs investisseurs privés et des autorités gouvernementales. Du côté d’Ottawa, Technologies du développement durable Canada (TDDC) a appuyé AMI par le biais d’une subvention de 3 millions $. Québec a flairé le bon filon et a plutôt choisi de prendre part à l’équité de l’entreprise. En août dernier, le gouvernement du Québec a annoncé un prêt de 17,5 millions $ à AMI et une injection de capital de propriété de 13,4 millions $, pour un total de 31 millions $. L’ensemble des contribuables québécois sont ainsi désormais propriétaires d’environ 15% de l’entreprise.

Ces sommes s’intègrent à un montage financier de 105 millions $ qui permettent à AMI de passer de la phase du projet pilote à celle de la construction d’une usine intermédiaire permettant de produire 11 700 tonnes de magnésium par an. Une phase subséquente accompagnée d’investissements de 600 millions $ permettra de faire passer la capacité de production à 50 000 tonnes par an.

Le chemin de la serpentine

Avant de devenir magnésium, la serpentine est d’abord broyée. La matière est ensuite envoyée à une étape de lixiviation à l’acide, suivie d’une série de séchages qui permettent d’obtenir une concentration acceptable de magnésium. Celui-ci est ensuite acheminé à une cellule d’électrolyse avant que le magnésium soit fondu en lingots.

L’étape de l’électrolyse est particulièrement gourmande en électricité mais les gens d’AMI bénéficient d’infrastructures récupérées des anciennes activités du site, déjà pourvues de courant triphasé à 550 volts lorsqu’ils en ont fait l’acquisition.

Les infrastructures d’approvisionnement en gaz naturel étaient déjà là elles aussi, tout comme le réseau routier permettant d’expédier le produit fini aux clients d’ici ou des marchés internationaux puisque les camions ont facilement accès au chemin de fer situé tout près, à Richmond, ainsi qu’au port de Bécancour.

« Le malheur des uns fait le bonheur des autres », dit Pierre Saint-Aubin en référence à ces infrastructures héritées des opérations de la défunte Magnola.

Celle-ci, tout comme Norsk Hydro d’ailleurs, aura également légué des méthodes de transformation sur lesquelles AMI a pu s’appuyer, y ajoutant cinq familles de nouveaux brevets de procédures et technologies au passage.

« Notre procédé est assez unique. Nous sommes brevetés à travers le Canada et nous sommes en instance pour l’ensemble de l’Amérique, en plus des brevets que nous détenons déjà un peu partout à travers le monde qui touchent certains aspects de notre technologie, notamment au niveau de l’électrolyse, de l’anode », explique M. Saint-Aubin.

Science et finance

Ces percées technologiques ne sont pas le fruit du hasard. Il faut savoir qu’Alliance Magnésium est présidée par l’associé de Pierre Saint-Aubin, le Dr. Joël Fournier qui est détenteur d’un PhD en électrochimie et considéré comme une sommité en ce domaine.

L’expert en stratégie financière et l’électrochimiste se connaissaient déjà depuis des années avant de fonder AMI, ayant eu l’occasion de travailler sur plusieurs dossiers ensemble dans le passé. « Moi je faisais le financement et lui s’occupait plus du côté technique », explique M. Saint-Aubin.

Un jour, ils sont allés luncher ensemble, se sont mis à discuter de transformation de résidus d’amiante en magnésium et c’est là que l’aventure a démarré. Au fil du temps, le Conseil d’administration s’est enrichi de ce que M. Saint-Aubin qualifie de « grosses pointures », notamment le président Michel Gagnon qui est l’ancien directeur financier d’Aluminerie Alouette et Martin Pelletier qui a géré d’importants dossiers environnementaux chez Cascades. « On voulait des gens réellement capables d’apporter une contribution au niveau technologique ou encore au niveau de la gestion », explique Pierre Saint-Aubin.

Acceptabilité sociale

Dès que les mots « amiante » et « magnésium » sont prononcés dans la même phrase, des sourcils se froncent dans la région d’Asbestos qui, incidemment, signifie amiante en anglais. Magnola n’a pas laissé que des souvenirs heureux, après la déconfiture qui a suivi l’effondrement du marché du magnésium à la suite de manœuvres commerciales s’apparentant à du dumping provenant de la Chine.

Le contexte a toutefois changé. D’abord, les Chinois ont cessé de subventionner à outrance le charbon qui était à la base de l’énergie électrique permettant aux entreprises de ce pays de produire du magnésium.

Ensuite, l’équipe de Magnésium a fait ses devoirs afin de s’assurer d’une acceptabilité sociale, indique Pierre Saint-Aubin. Et cela débute par un effort de transparence.

D’ailleurs, la participation financière du gouvernement du Québec était directement liée à cette acceptabilité. « Le gouvernement nous a dit, dès le départ : “Tant que la région va vous soutenir, on est là. Mais à partir du moment où la population ou la région disent qu’ils n’en veulent pas, on ne sera plus là.” », relate M. Saint-Aubin, ajoutant : « C’est la façon dont il faut travailler maintenant et nous sommes très engagés dans la communauté. »

Cet engagement prend la forme de commandites d’événements de tous genres, notamment culturels, qui foisonnent dans la région de Danville selon M. Saint-Aubin.

La firme dit par ailleurs collaborer étroitement avec les autorités environnementales. « On travaille à partir d’un résidu minier qui est inerte, qui ne dérange personne mais tout de même un résidu minier. C’est un site qui est regardé par le ministère de l’Environnement. Pour en faire l’exploitation, on doit déposer une kyrielle d’informations, obtenir des certificats d’autorisation, etc. », explique-t-il.

Embauches et entrée en Bourse

Bien que prometteur, l’avenir sera également fait de défis pour AMI. L’un de ceux-là sera de combler les 70, puis bientôt 300 postes de chimistes, soudeurs et autres techniciens spécialisés créés par ses activités dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre généralisée. Pendant la construction de l’usine, l’entreprise planche sur la création d’une attestation d’études collégiales avec le cégep de Sherbrooke. « Nous voulons recruter nos gens, les former, leur donner des stages sur place pour qu’à la fin de la construction, ces gens-là soient déjà prêts à travailler chez nous », déclare Pierre Saint-Aubin.

La stabilité de l’industrie de la transformation du magnésium devrait contribuer à cet effort de recrutement. « Il n’y a pas de cycle comme tel. La demande pour le magnésium est assez forte, c’est un marché en pleine croissance et on a de la matière pour très longtemps », dit Pierre Saint-Aubin. C’est en effet le cas puisque les réserves de serpentine dont dispose AMI, à un rythme de production de 50 000 tonnes métriques par an, devraient durer… 500 ans!

Ayant le vent en poupe, Alliance Magnésium envisage son entrée en Bourse d’ici 12 à 24 mois, ainsi que l’exploitation d’autres métaux présents dans ses résidus, par exemple de la silice, du cobalt ou du nickel.

Mais d’ici là, les administrateurs ont amplement de quoi s’occuper avec la construction de l’usine. « Nous ce qu’on est en train de monter, c’est une nouvelle filière de métaux légers au Québec, comme l’aluminium en est une à l’heure actuelle avec de la deuxième et troisième transformation », déclare M. Saint-Aubin.

Un « success story » du Québec Inc., Alliance Magnésium? En un certain sens oui, en raison des dividendes que les efforts commencent à rapporter, estime Pierre Saint-Aubin. Mais le parcours n’en a pas moins été accidenté. « Il y a des mois où on a pas eu de paye. On est vraiment des entrepreneurs », conclut-il en riant.

Par Eric Bérard

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