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Nous avons le choix

L’abondance énergétique dont jouit le Québec offre à nos élus une chance inestimable que l’urgence d’agir enlève en général aux dirigeants des pays en pénurie. Pourquoi alors se presser dans le dossier de l’exploration et de l’exploitation du gaz de schiste? Outre les intérêts pécuniers de l’industrie, rien ne l’exige, du moins pas à court terme. Or, le gouvernement a déjà mis à la disposition des acteurs de l’industrie quantité de permis les autorisant à jauger du potentiel énergétique du sous-sol. Depuis 2007, près de 460 permis d’exploration et baux d’exploitation ont été accordés à une trentaine d’entreprises. Les coûts ridiculement bas des permis d’exploration qui s’élèvent à une centaine de dollars n’ont pas manqué d’insuffler un soubresaut d’indignation dans la collectivité. Encore marquée par la mémoire d’un Duplessis vendant à la solde les richesses naturelles du Québec à des compagnies américaines, il lui était difficile d’assister sans mot dire à la répétition d’une triste histoire. La question qui se pose ici n’est pas tant celle du prix auquel on a cédé les permis, mais la légitimité qu’ont ces entreprises privées d’exploiter une richesse « nationale ».

C’est là une première question à laquelle nous devrions pouvoir répondre collectivement avant que des exploitations en bonne et due forme ne soient autorisées.

Agir, c’est refuser des risques inutiles

Le peu de connaissances que nous possédons sur les risques de ce type d’activité d’exploitation des sous-sols ne nous autorise en rien à conclure qu’ils sont minimes. Ce sophisme qui nous est servi à outrance par les tenants d’un feu vert hâtif aux travaux d’exploitation n’est pas acceptable. Les experts martèlent que si tout est fait dans les règles de l’art, comme par exemple la solidité, l’épaisseur et la qualité de la composition de la gaine de béton protégeant les nappes phréatiques, les risques qu’une explosion ou qu’une contamination puisse se produire devraient être inférieurs à 2 %. Soit. Sur mille puits potentiels au Québec, cela représenterait 200 puits. Est-ce là un nombre négligeable? À supposer que nous décidions de prendre ce risque, ne vaut-il pas la peine de le faire en toute connaissance de cause? N’est-il pas légitime d’exiger que le gouvernement appuie sa décision sur des études indépendantes en plus de celles provenant de l’industrie? À ceux qui accusent les gens de mon espèce de s’opposer à tout développement et de faire partie du clan des « contre tout », nous suggérons le visionnement du documentaire « Gazland ». C’est que poser des questions, exiger que l’état prenne des décisions éclairées, fasse des choix comme les énergies renouvelables, c’est exercer son devoir de citoyen qui, jusqu’à preuve du contraire, ne se limite pas à aller voter. D’ailleurs, dans la gestion de ce dossier, n’a-t-on pas reproché au gouvernement le déficit démocratique dont il a fait preuve?

Environnement et marasme éthique

En ces temps de marasme éthique, même les experts deviennent suspects.

C’est du moins la carte que jouent ceux qui tentent de discréditer les avis de Robert W. Howarth par exemple qu’on soupçonne d’être à la solde de l’industrie du charbon. Ce professeur d’écologie et de biologie environnementale à l’Université Cornell a expliqué que […] les fuites de méthane, au cours de la vie d’un puits de gaz de schiste, amènent le gaz naturel issu de ce dernier à émettre une quantité de gaz à effet de serre équivalent à celle du charbon. En effet, une fuite de méthane, même si elle est petite, a un potentiel de réchauffement global 72 fois plus grand sur 20 ans que le dioxyde de carbone » et cela, bien que « le gaz naturel soit une énergie plus propre que le charbon et le pétrole », comme nous pouvons le lire dans le journal de l’école Polytechnique. Quelles que soient ses motivations, et à supposer qu’elles soient douteuses, elles n’affectent en rien les faits énoncés. Dans la mesure où l’industrie minimise les impacts sur l’environnement et où le gouvernement donne un mandat d’analyse minimal au Bape, un moratoire est tout indiqué en attendant que nous ayons des informations complètes. C’est là quand même un minimum.

Myrna Chahine

Professeure de philosophie

Cégep Marie-Victorin

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