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Travailleurs immigrants et industrie manufacturière – un succès qui doit être reconnu

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Le secteur manufacturier québécois vit, comme d’autres secteurs économiques, une pénurie criante de main-d’œuvre. Selon MEQ, les 35 000 postes vacants dans l’industrie ont entrainé des pertes de 18 milliards de dollars au cours des deux dernières années. Des postes vacants qui peuvent être pourvus par des travailleurs immigrants. Mais malgré les succès d’intégration dans plusieurs entreprises québécoises, Québec tarde à ouvrir nos portes à ces travailleurs et à simplifier le processus.

Les histoires de succès d’intégration de ces travailleurs venus d’ailleurs se multiplient au Québec. C’est le cas notamment chez NRC Industries, un fleuron de l’industrie québécoise qui compte parmi les trois plus grands fabricants de remorqueuses en Amérique du Nord.

L’entreprise située à Saint-Paul-d’Abbotsford, tout près de Granby en Estrie, emploie 160 travailleurs. Comme bien d’autres entreprises québécoises, le manque de main-d’œuvre freinait la croissance de NRC. Et comme bien d’autres entreprises, NRC s’est tournée vers le Programme de travailleurs étrangers temporaires du gouvernement du Canada.

Avec l’aide d’une firme spécialisée dans le recrutement international, NRC a réussi à recruter huit soudeurs et deux machinistes aux Philippines. Les deux premiers sont arrivés en mars 2020, tout juste avec les premières mesures de restriction dues à la Covid-19, tandis que les huit autres ont dû attendre quelques mois de plus avant de passer nos frontières.

Selon la directrice des ressources humaines chez NRC Industries, la décision de l’entreprise a été bien accueillie par ses travailleurs québécois.

« C’était clair que l’entreprise avait de la difficulté à embaucher depuis longtemps. Les travailleurs n’arrêtaient pas de dire qu’il fallait plus d’employés dans l’usine. On a fait comprendre à nos employés que la volonté de NRC, c’est de continuer à croitre, et que pour croitre, ça nous prend des travailleurs. »

Et une fois les travailleurs philippins arrivés, NRC s’est assurée de bien les encadrer, pour faciliter non seulement leur apprentissage, mais aussi leur intégration.

« La première journée, le superviseur est allé les chercher, pour commencer la formation en entreprise. On fonctionne par jumelage dans l’usine. Et ça vraiment très bien été. Ça s’est très bien passé avec le jumelage. Nos employés les ont bien accueillis. »

La plupart des travailleurs philippins maîtrisent bien l’anglais, mais pas le français. Si cette situation représente un défi, Annie Lefrançois souligne que tous ont commencé l’apprentissage du français, avec un degré inégal de réussite, bien sûr, mais avec une solide volonté d’apprendre.

« Nos employés se sont rendu compte que les Philippins qu’on a embauchés sont compétents, qu’ils sont capables de nous aider et qu’il est agréable de travailler avec eux. Ils sont très productifs, ne disent jamais non, ils aident tout le monde. Ç’a aidé à leur intégration. »

Maintenant au sein de l’entreprise depuis un an et demi pour la plupart, l’intégration au travail est une réussite. À tel point que NRC a déjà entamé le processus pour l’embauche de 12 autres travailleurs philippins, une décision qui a été bien accueillie par l’ensemble de ses travailleurs.

« Pour nous, c’était clair qu’on voulait retourner avec les Philippines parce qu’on a eu une très bonne expérience avec nos dix premiers travailleurs, et on ne voulait pas trop mélanger les nations. »

Intégration et accompagnement

Les 10 travailleurs philippins n’ont pas été laissés à eux-mêmes à leur arrivée au Canada et chez NRC. Outre les démarches administratives de la firme de recrutement pour obtenir carte d’assurance sociale, carte d’assurance maladie et permis de conduire, NRC a veillé à ce qu’ils soient bien installés. Un duplex près de l’usine a été acheté pour loger les travailleurs, ainsi qu’une minifourgonnette pour leur permettre de se rendre au travail et effectuer leurs achats.

« Tout était prêt à les accueillir à l’arrivée », explique Annie Lefrançois. Les cinq employés du quart de soir habitent ensemble dans un grand 5 1/2, et les cinq de jour, dans l’autre 5 1/2. On paie les frais, mais ils remboursent un montant sur leur paie, pour le loyer et le véhicule. »

L’entreprise les a aussi mis en contact avec le SÉRY, un organisme à but non lucratif qui offre des services d’accueil, d’accompagnement et d’intégration pour les personnes immigrantes de la région de la Haute-Yamaska et Brome-Missisquoi.

Une démarche coûteuse et complexe

Si l’embauche des travailleurs philippins a été un succès au point d’entreprendre la démarche de nouveau, ça ne signifie pas pour autant que cette démarche aura été facile. Annie Lefrançois nous parle d’un processus long et laborieux pour obtenir les autorisations et les permis de travail. Mais ce qu’elle déplore le plus, c’est qu’une fois les travailleurs bien installés et intégrés, le processus soit encore tout aussi long et laborieux.

« Ça prend beaucoup d’informations pour les renouvellements de permis de travail, pour chaque renouvellement. Et j’en ai 10 qui ne viennent pas en renouvellement en même temps. Pour chaque renouvellement, il faut renvoyer la même information mise à jour, toujours défendre que nous soyons en croissance, qu’on fait des investissements, que ce n’est pas pour remplacer des travailleurs québécois. C’est beaucoup de temps, d’informations à transmettre, et après les délais sont longs. »

Et c’est encore vrai pour les demandes de résidence permanente. Les 10 Philippins embauchés par NRC ont en effet choisi d’entreprendre le processus pour obtenir ce statut, et l’entreprise les appuie.

« Ça fait un an que tout le monde nous a dit qu’ils voulaient être résidents permanents et qu’on a entamé des démarches avec eux. Mais les avocats en immigration sont débordés, les gouvernements sont débordés. J’ai l’impression que je vais être obligée de renouveler leur permis de travail deux ou trois fois avant qu’ils aient leur résidence permanente. Pour l’employeur, c’est entre trois et cinq mille dollars chaque fois qu’on renouvelle un permis de travail, par travailleur, avec tout le temps à l’interne que ça prend pour la paperasse. Donc plus c’est long pour obtenir l’approbation de résidence permanente, plus ça coûte cher pour les entreprises pour garder leurs travailleurs. »

Sans parler du coût humain de cette situation.

« J’ai des travailleurs qui ont hâte de voir leur famille. Ça fait près de deux ans qu’ils sont ici. Certains ont maintenant des bébés qu’ils n’ont même pas vus encore. Ils ont hâte de voir leur famille, et ils ne peuvent pas retourner aux Philippines pour les voir. »

Et Annie Lefrançois s’explique mal ces délais, pour garder ici des travailleurs dont les entreprises ont grandement besoin.

« Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas des facilités de renouvellement automatique quand ce sont des gens qui sont ici, qui ont été autorisés à venir ici avec des permis de travail. Il me semble que le processus d’autorisation de la résidence permanente devrait se faire de façon un peu plus automatique. S’ils travaillent ici depuis trois ans, je ne vois pas pourquoi il faut qu’on reparte à zéro pour la demande de résidence permanente. C’est clair qu’on en a besoin. Et ces gens-là veulent contribuer à la société québécoise. »

L’immigration : une nécessité, selon MEQ

Ces interrogations sur la lenteur et la complexité de tout le processus d’embauche à l’étranger et de maintien de ces travailleurs ici, au Québec, Manufacturiers et Exportateurs du Québec les partagent totalement. Surtout lorsqu’il s’agit du passage du permis de travail à la résidence permanente.

« Ce n’est pas viable de dire aux gens de renouveler leur visa temporaire aux deux ou trois ans, sans amener leur famille », explique Véronique Proulx, présidente-directrice générale de MEQ. « Les employeurs nous l’ont dit partout au Québec, ça ne marche pas. Ils ne comprennent pas pourquoi le gouvernement du Québec ne leur donne pas une voie rapide pour l’immigration permanente pour leurs travailleurs. »

MEQ a récemment formulé ses recommandations adressées tant à Québec qu’à Ottawa pour améliorer et faciliter les démarches entourant le recrutement et la rétention des travailleurs étrangers. L’une de ces recommandations, soit la hausse de 10 à 20 % de travailleurs étrangers admissibles dans même une entreprise, est bien accueillie par MEQ. Mais l’organisme estime qu’il faut aller plus loin.

« Je salue les deux paliers de gouvernement parce qu’il y a eu un beau travail d’équipe dans ce dossier-là », nous dit Véronique Proulx. « Les assouplissements vont faire en sorte qu’on va pouvoir avoir accès à plus de travailleurs temporaires, de façon potentiellement plus rapide ou plus simple, parce qu’il y a des ajustements qui ont été apportés. Et le secteur manufacturier devrait en bénéficier. Mais je réitère, c’est une solution qui est temporaire. Ce n’est pas une solution viable à long terme. Commençons déjà à réfléchir à comment on peut garder ces gens-là en région et les intégrer de façon durable. »

Véronique Proulx déplore aussi l’absence de coordination de l’ensemble des acteurs gouvernementaux impliqués dans le dossier des travailleurs étrangers. Selon elle, il est essentiel que Québec crée un guichet unique pour appuyer les entreprises dans leurs démarches.

« Le ministère de l’Immigration n’est pas, et il doit devenir un ministère à vocation économique pour accompagner les entreprises dans toutes ces démarches. On demande qu’il y ait une espèce de guichet unique, de porte d’entrée, qui puisse guider les entreprises. Présentement, on nous dit qu’il y a un représentant du ministère de l’Immigration dans chaque région. Si son mandat c’est d’accompagner les entreprises pour l’accueil des nouveaux travailleurs, une personne ce n’est pas assez, et ça ne semble pas être dans son mandat. »

Du côté des seuils d’immigration qui permettraient d’ailleurs à un plus grand nombre de travailleurs de passer du statut de temporaire à permanent, Mme Proulx se fait peu d’illusions. Le gouvernement de François Legault a clairement fait savoir que ces seuils ne seraient pas augmentés.

« Le gouvernement nous ramène toujours à la formation, l’automatisation, la robotisation. Oui, mais il y a d’autres leviers importants. Et ultimement, nous ce qu’on regarde, c’est le nombre de postes vacants, et le nombre de postes vacants dans notre secteur ne cesse pas d’augmenter. C’est donc dire que les mesures, les programmes ou les stratégies en place n’ont pas donné les résultats escomptés encore, sinon on verrait le nombre de postes vacants diminuer, et ce n’est pas le cas. »

Et alors que le gouvernement du Québec annonce coup sur coup de grandes campagnes de recrutement pour les secteurs de la santé et de l’éducation, y compris via le recrutement à l’international, Véronique Proulx semble y voir une concurrence où tous ne sont pas à force égale.

« Je pense qu’ils vont réussir à aller chercher une partie de leurs travailleurs avec les stratégies qu’ils mettent en place, mais c’est beaucoup aux dépens des autres secteurs, parce que le bassin de travailleurs ne grossit pas. Il rétrécit d’année en année. Alors quand on offre des primes pour étudier dans certains secteurs comme les TI, la santé ou l’éducation, on est en train de dire aux autres secteurs d’activité de se débrouiller. Mais ils sont où, nos 35 000 travailleurs nécessaires pour combler les postes vacants dans le secteur manufacturier?

Par Claude Boucher

Des travailleurs bien intégrés

Jesus Dumleo Cerdana et Romeo Verande Becon font partie de la première cohorte de Philippins arrivés chez NRC Industries il y a près d’un an et demi. Ces deux soudeurs de métiers avaient déjà une expérience de travail à l’étranger. Ils ont choisi de tenter leur chance au Canada.

« Nous avons choisi le Canada en raison des bénéfices notamment en santé et en éducation », nous dit Jesus qui a déjà travaillé au Japon, où les travailleurs étrangers ne jouissent pas de tels bénéfices et ne peuvent espérer obtenir la résidence permanente.

Jesus et Romeo sont tous deux pères d’un enfant de deux ans, qu’ils n’ont pas vu depuis leur arrivée ici à l’automne 2020. Ils attendent beaucoup du processus de résidence permanente, qui leur permettra enfin de revoir leur épouse et leur enfant.

Quand on leur demande de nous parler de leur intégration chez NRC, ils n’ont que du positif à dire.

« La culture, chez NRC, en est une de famille », dit Romeo. « C’est la première compagnie où je me sens en sécurité, sans stress. Je travaille avec l’équipe depuis un an et cinq mois, et c’est vraiment un privilège pour nous, de voir comment ils travaillent, comment ils traitent les gens. Ce n’est pas qu’une question d’argent, nous avons une belle relation avec nos collègues. C’est comme ça que je me sens chez NRC. »

Questionnés sur l’hiver québécois, les deux Philippins partent à rire.

« On avait déjà fait l’expérience de l’hiver et de la neige au Japon », explique Jesus. Mais ici, quand il fait froid, il fait vraiment froid. Ce n’est pas une blague! »

Installés à Granby, Jesus et Romeo disent s’y plaire.

« J’aime l’atmosphère au Québec », dit Jesus. « La nature est vraiment belle, et les gens sont gentils. L’été dernier, j’ai aimé prendre des marches autour du Lac Boivin, près de chez moi. Et les gens nous accueillent bien. Ils me sourient, même si je suis Asiatique. »

Le racisme, ils disent ne pas l’avoir vécu.

« J’aime bien le Québec », dit Romeo. « Mais le plus important, ce sont les gens. Le niveau de racisme est faible, comparé à d’autres pays. Je me sens à l’aise. »

Heureux d’être ici? Oui, s’exclament-ils ensemble en riant. Mais ils ont aussi bien hâte d’être réunis avec leur famille.

Cr images : NRC Industries

Par Claude Boucher

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