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Oct

Transformation métallique – des défis et des opportunités

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Comme la plupart des secteurs de l’économie québécoise, canadienne et même mondiale, l’industrie du travail des métaux au Québec fait face à de nombreux défis. Pénurie de main-d’œuvre, difficulté d’approvisionnement, fluctuation des prix, le secteur doit conjuguer avec une situation sans précédent. Mais tout est loin d’être sombre, bien au contraire. Avec une forte demande et un écosystème bien rodé, l’industrie québécoise de la transformation métallique tire bien son épingle du jeu.

Il n’est jamais simple de prendre le pouls d’un secteur de l’économie. La quantité de critères qui entrent en ligne de compte rend cette tâche complexe, même en temps normal. Et on le sait bien, aujourd’hui, ce temps n’a rien de normal. Quand on lui demande de faire un bilan de santé de son industrie, Frédéric Chevalier, directeur général du Réseau de la Transformation métallique du Québec (RTMQ), peine à trouver des indicateurs fiables.

« Sous quel critère doit-on évaluer la santé de l’industrie? On est en pénurie de main-d’œuvre, alors les entreprises font tout ce qu’elles peuvent avec les moyens qu’elles ont. Le secteur a un potentiel incroyable. Historiquement, le secteur de la transformation des métaux, c’est la colonne vertébrale de l’économie manufacturière au Québec. Quand on regarde le nombre d’entreprises et d’emplois, ajouté à l’ensemble de l’écosystème métallique, c’est le secteur le plus important de l’économie manufacturière au Québec. Maintenant, quels sont les véritables indicateurs pour savoir si ça va bien ou non, ce n’est pas évident. Le taux de chômage n’est plus un indicateur. »

Mais malgré le flou laissé par les crises successives, COVID-19, main-d’œuvre, guerre en Ukraine et inflation, Frédéric Chevalier voit de formidables projets un peu partout dans le secteur du travail des métaux.

« Le Québec semble profiter plus d’un certain élan de dynamisme que d’autres régions au pays. On est bien placé, on n’a pas à avoir honte. Il y a des choses intéressantes qui se passent. »

Renée Demers, présidente d’Atelier d’usinage Quenneville et présidente du RTMQ, reconnait que la pandémie a durement touché le secteur et sa propre entreprise. Les casse-têtes se sont additionnés et même multipliés au fil des mois. Mais elle se dit optimiste face à l’avenir.

« Il y a beaucoup de demandes, en ce moment. Après des années un peu plus difficiles, on se rend compte que ça bouge, et c’est encourageant. Il y a des secteurs où des entreprises ont dû faire le choix de délaisser certains clients. Donc on sent une pression, il y a beaucoup de besoins. Il y a des choix d’affaires qui doivent être faits. Il faut regarder ce qui nous rapporte le plus en fin de compte, sinon on n’y arrivera pas. »

L’automatisation, la solution?

Dans les 10 dernières années, on rapportait que le Québec accusait un retard dans l’automatisation et la robotisation du côté de l’industrie manufacturière. Les gouvernements successifs ont investi et poussé cet enjeu, mais la taille de nos entreprises rend difficiles l’acquisition et l’implantation de ces machines. Toutefois, la dynamique industrielle change, nous dit Frédéric Chevalier du RTMQ.

« Avant, un robot coûtait une fortune. Maintenant, on peut avoir un robot pour moins de 25 000$. Maintenant, nos PME ont les moyens de s’automatiser à hauteur de leurs ambitions, de leur taille et de leur capacité. Mais les gens l’apprennent tout juste… »

Renée Demers de Quenneville souligne qu’en effet, l’intérêt est là. Mais encore faut-il que le mode de production et le type de produits fabriqués s’y prêtent.

« Dans notre cas, nous n’avons pas beaucoup d’ouvrages qui nous permettent de robotiser. Il y a toujours la possibilité d’acheter des équipements plus performants. Mais quel est le calcul en performance? Si on améliore nos équipements avec quelque chose de plus performant sur le marché, quel est le gain? C’est le calcul important à faire, et c’est la réflexion à laquelle je me confronte. »

De beaux projets de réussite d’implantation commencent à faire réfléchir, notamment dans le contexte de capacité de produire des pièces variées, sur mesure, avec des équipements automatisés. Et comme le souligne Frédéric Chevalier, l’automatisation des lignes de production n’est pas l’unique solution.

« Il y a la partie automatisation, mais il y a aussi tous les processus de production. Il y a énormément de choses qui ont été faites en amélioration continue, les entreprises ont appris, apprennent et continuent d’apprendre à mieux produire avec leurs employés, continuent d’implanter des processus d’amélioration continue. Et ce n’est pas nécessairement de l’automatisation ou de la robotisation, c’est plutôt dans les façons de faire, la manière dont les employés travaillent pour être plus efficaces. »

La fabrication additive, ou si vous préférez l’impression 3D, est aussi porteuse de changements dans l’industrie.

« Ce qu’on voit, c’est une baisse systématique du prix des machines », nous dit Frédéric Chevalier. « Et la machine qui coûte aujourd’hui moins de la moitié d’une machine similaire d’il y a quelques années à peine est aussi beaucoup plus efficace. Un moment donné, on va arriver au point d’inflexion où ça va devenir plus intéressant d’imprimer que d’usiner. »

Volumes ou sur mesure?

La structure même du secteur québécois de la transformation métallique prive depuis longtemps l’industrie de commandes de fort volume. Au-delà de la question de compétitivité avec certaines régions du monde comme l’Asie, il faut se rappeler que notre industrie du travail des métaux est principalement composée de PME, et même de petites PME. Mais ce qui était auparavant vu comme un handicap est maintenant perçu comme un solide avantage. Car les entreprises de petits volumes s’en tirent mieux en période de crise, nous dit Frédéric Chevalier.

« C’est ce qui a permis au Québec de mieux s’en sortir à travers des crises de ces dernières années que d’autres. Les gros volumes, c’est bien, mais quand ça s’arrête, ça fait pas mal plus mal. Ça peut aussi être un point de faiblesse pour une industrie. Nos entreprises, qui sont pour la plupart de plus petites PME, sont beaucoup plus agiles, et l’ont prouvé ces dernières années, en réussissant à s’adapter et se retourner plus vite. »

Et alors qu’il n’y a pas si longtemps, on rêvait de voir des entreprises d’ici récolter d’immenses contrats à l’étranger, l’objectif est tout autre aujourd’hui. Niches très spécialisées, production à forte valeur ajoutée, recherches et travaux dans les métaux rares, le Québec doit tirer profit de ses forces, soutient Frédéric Chevalier.

« Le but, c’est de trouver l’avantage concurrentiel qui va permettre d’aller chercher de meilleures marges. Notre enjeu, c’est justement de ne pas faire du volume. S’il y a une leçon à apprendre de tout ce qui se passe en ce moment, c’est de ne pas courir après les volumes. Parce qu’à partir du moment où on fait ça, on est face à des gens qui vont réduire les marges bénéficiaires. Ce n’est pas une position enviable. Maintenant, il faut trouver ce sweet spot où on est capable de répondre à des petites quantités, mais d’avoir plus cher pour chaque pièce. C’est ça qui nous intéresse. »

Il cite en exemple le projet récemment développé avec Rio Tinto autour d’un nouvel alliage d’Aluminium-Scandium. Lancé en août 2021 par Rio Tinto en collaboration avec AluQuébec, la Grappe de l’aluminium du Québec et le Réseau de la transformation métallique du Québec (RTMQ), le Défi Québec Aluminium-Scandium avait pour objectif de proposer de nouvelles applications visant l’utilisation des alliages aluminium-scandium.

La politique d’achat local, un avantage certain

La pandémie de COVID-19 et les problématiques d’approvisionnement qu’elle a causées ont amené bien des régions de la planète à réfléchir sur leur chaîne logistique. La guerre en Ukraine et les tensions avec la Chine ont aussi mené à cette réflexion. Et le Québec n’y échappe pas, constate Frédéric Chevalier.

« En ce moment, sur les marchés, beaucoup de donneurs d’ordres qui se disent que c’est bien que la Chine coûte moins cher, sauf qu’ils se demandent aussi si on est à un claquement de doigts d’une catastrophe ou d’un changement géopolitique avec la Chine, comme c’est le cas avec la Russie? Est-ce que d’un seul coup, toute ma chaîne de production pourrait être chamboulée? Les questions de prix restent importantes, mais entre ne pas avoir de produit ou payer plus cher, qu’est-ce que vont faire les donneurs d’ordre? »

En avril dernier, le RMTQ a présenté une conférence pour aborder les questions et enjeux de l’approvisionnement. Il y a, d’un côté, les problématiques d’approvisionnement en matières premières et en produits de première transformation. Mais il y a aussi des opportunités pour des entreprises intéressées à s’attaquer aux marchés locaux jusqu’ici fournis par des entreprises étrangères qui peinent aujourd’hui à livrer la marchandise.

Et selon Frédéric Chevalier, c’est aussi là que les entreprises québécoises se distinguent et sont mieux placées que celles des autres régions du Canada dans le contexte actuel.

« Le Québec semble s’en sortir mieux que les autres provinces depuis plusieurs mois déjà. Il y a une dynamique industrielle et économique au Québec qui est du jamais vu. On n’a jamais vu ça, le Québec plus performant que le reste du Canada. Quelque part, on fait des choses qui maintenant rapportent différemment de ce qu’elles rapportaient avant. »

Il souligne d’ailleurs que l’achat local revêt maintenant une telle importance qu’Investissement Québec a, en février 2021, nommé Stéphane Drouin à titre d’ambassadeur de l’achat local auprès des entreprises québécoises.

Un soutien financier suffisant?

Achat local ou pas, l’industrie québécoise de la transformation métallique fait face à une solide concurrence partout dans le monde. En tant que pilier important de l’économie québécoise, est-elle suffisamment soutenue par les gouvernements, les institutions prêteuses, les divers organismes?

« Je pense que le gouvernement du Québec connait l’importance de la chaîne d’approvisionnement, et reconnait l’expertise qu’on a au Québec », dit Renée Demers d’Atelier Quenneville, et présidente du RTMQ. « Mais il y a toujours un travail à faire pour aider les petites et moyennes entreprises. Il semble plus facile pour le gouvernement d’aider les grandes entreprises. Et c’est correct, car les grandes entreprises ont de grandes retombées. Mais les petites et moyennes aussi. On ne rayonne peut-être pas autant, mais on fait toutes vivre des familles, on fait toutes vivre des régions parce nos retombées sont là, et on est fier de ce qu’on fait, des produits qu’on fait. On contribue beaucoup à notre économie. »

Frédéric Chevalier souligne que le Québec et le secteur de la transformation métallique peuvent se réjouir de tout ce qui a été mis en place au fil des ans. Que ce soit du côté de la recherche universitaire, des centres de transfert technologique, du CRIQ, d’Investissement Québec, il estime que l’industrie jouit d’un solide appui.

« On a véritablement un écosystème en termes de recherche et de soutien qui est assez top. On peut financer des projets à des pourcentages assez incroyables. Oui, les entreprises ont accès à ce qu’il faut. Après, l’argent ne règle pas tout. Il faut être capable d’avoir le temps, avoir la profondeur administrative, pouvoir dédier des gens. Mais oui, on a un écosystème au Québec qui est vraiment bon, et qui a des particularités uniques, comme le soutien à l’aluminium. Les autres provinces ou les États du nord de la côte Est des États-Unis n’ont pas ça. »

La force du nombre

Durant la pandémie, et encore aujourd’hui, le RMTQ a répondu à l’appel pour soutenir les entreprises du secteur. La présidente du Réseau, Renée Demers, est fière des mesures qui ont été mises en place pour aider les membres à mieux passer au travers de la crise.

« C’est une industrie qui est en grand mouvement, et qui a besoin d’être soutenue. Quand je regarde ce qu’on a fait au RTMQ durant la pandémie, on a aidé beaucoup d’entreprises. Il y a de belles décisions qui se sont prises, il y a de l’aide qui s’est mise en place, et les entrepreneurs ont apprécié. On est allé chercher tout ce que les gens faisaient de bien au sein de leur entreprise, et on l’a partagé dans l’ensemble du réseau. C’est extraordinaire. »

Frédéric Chevalier souligne aussi un esprit d’entraide et de collaboration qui distingue les entreprises du secteur de la transformation des métaux. Pour mieux répondre à la demande de grands donneurs d’ordres, les entreprises n’hésitent pas à se regrouper.

« C’est typique du modèle des entreprises de structures d’acier en Beauce. Les entrepreneurs se mettent ensemble pour aller chercher de plus gros contrats, et se disent que seul, personne n’aurait le contrat, mais qu’ensemble, ils peuvent y arriver. Oui, il y a cette capacité de nos entreprises de se mettre ensemble et de collaborer. »

Le partage des meilleures pratiques d’affaires est aussi au centre de la raison d’être du RMTQ, rappelle Renée Demers.

« On travaille à chercher de nouvelles solutions, et à les travailler en groupe. Il y a des tables qui se sont mises en place pour s’aider et partager. Et c’est ça notre plus belle réussite, ce partage d’information, pour que les bonnes pratiques soient mises en place dans nos entreprises. Ce partage, il est riche, il est intéressant et il est important. Il faut le faire en tant qu’association, parce que chaque entrepreneur, de son côté, n’a pas le temps de faire ça. »

Et si les problématiques de main-d’œuvre, d’approvisionnement et de prix des matériaux sont loin d’être réglées, tant Renée Demers que Frédéric Chevalier voient l’avenir du secteur de la transformation métallurgique la crise est loin d’être terminée

« La Covid a été difficile », rappelle la présidente du RTMQ. « Mais je vois la lumière au bout du tunnel. La demande est forte, et c’est intéressant de voir tous les projets qui se mettent en place. On trouve notre place dans tout ça. Je trouve ça encourageant. »

Par Claude Boucher

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