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Stratégie de réduction et de gestion responsable des plastiques : de grands défis, des pistes de solutions

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Alors qu’Ottawa reçoit l’avant-dernière grande rencontre du Programme des Nations unies pour l’environnement sur l’épineuse question des plastiques, Québec travaille à mettre en place sa prochaine stratégie de réduction et de gestion responsable des plastiques. Entre le bannissement de certains plastiques et produits, l’écoconception pour prolonger le cycle de vie des plastiques et une meilleure gestion de la collecte, du tri et du recyclage, les défis sont nombreux, mais des solutions existent.

À l’échelle mondiale, plus de 400 millions de tonnes de déchets plastiques sont produites chaque année. Et moins de 10% de ces rejets de plastique sont récupérés. Le problème est connu, mais les solutions, elles, tardent à être mises en place, ici comme ailleurs. Sur la scène diplomatique mondiale, les négociations pour des règles contraignantes sur la réduction de la pollution par le plastique, pilotées par le Programme des Nations unies pour l’environnement, se poursuivent à Ottawa en fin avril, mais se heurtent à une résistance de certains pays producteurs de pétrole. Pendant ce temps, plus près de nous, Québec a lancé en novembre dernier des consultations pour l’élaboration de sa prochaine stratégie de réduction et de gestion responsable des plastiques 2024-2029. Des consultations auxquelles a participé l’Alliance Polymères Québec (APQ), le regroupement des entreprises de l’industrie de la plasturgie au Québec.

L’APQ a déposé en décembre dernier un mémoire critique de la proposition de stratégie du Québec. Selon l’organisme, la stratégie de réduction et de gestion responsable des plastiques au Québec doit permettre de faire des gains environnementaux importants sans toutefois constituer un processus d’affaiblissement économique de l’industrie manufacturière canadienne des plastiques qui contribue de manière importante au PIB.

« L’approche du ministère de l’Environnement est quand même intéressante, car ce n’est pas une approche de bannissement pure et simple un peu comme le gouvernement fédéral veut faire », nous dit Simon Chrétien, directeur général de l’Alliance Polymères Québec. « L’approche québécoise est plus équilibrée. Mais il a certains éléments où le ministère veut bannir, enlever ou exiger des contenus recyclés assez importants, dans des délais très courts. Et la technologie ou le marché ne sont pas encore prêts ou organisés pour être capables d’absorber ça. »

Mieux recycler

Si l’on se concentre sur le volet recyclage de la stratégie, il faut d’abord et avant tout comprendre le pourquoi, nous dit Marc Olivier, professeur au Centre universitaire de formation en environnement (CUFE) de l’Université de Sherbrooke.

« Il ne faut pas perdre de vue la finalité du recyclage. En principe, c’est de partir d’une matière plastique, et d’offrir à nouveau une matière plastique, capable d’être moulée pour fabriquer des choses utiles. »

Différentes techniques ont vu le jour pour le recyclage des matières plastiques. Mais la plus courante demeure le recyclage mécanique, soit la transformation de la matière par moyen mécanique et le nettoyage pour rendre la matière dans un état le plus près possible pour qu’il soit utilisé par une industrie du recyclage.

Le recyclage moléculaire est aussi l’une des options; ce procédé qui démolit thermiquement un plastique sans pour autant le brûler permet de casser les molécules de polymères pour retourner aux monomères. On retourne ainsi presque à une matière vierge, d’une très grande pureté. Cette technique a toutefois ses limites : les autres molécules gazeuses obtenues avec la fragmentation des plastiques ne peuvent présentement servir qu’à la valorisation énergétique.

« Au lieu de faire du recyclage, on s’en va vers une opération moins intéressante pour l’environnement », nous dit le professeur Marc Olivier. « Si on va en valorisation énergétique après tous ces efforts industriels, pour disons 15 ou 20% des molécules obtenues, ça aurait été bien plus simple de simplement bruler le plastique sans faire tous ces efforts. »

Par ailleurs, si l’on s’attarde à la problématique des plastiques perdus dans la nature, comme ces résidus de plastiques dans les océans qui font la manchette, le recyclage mécanique n’est pas une option, en raison de l’état de contamination des matières récupérées.

« Les seules solutions, c’est soit le recyclage moléculaire, soit la valorisation énergétique », explique Marc Olivier. « On en est là. Est-ce que le recyclage moléculaire peut être une façon d’allonger le cycle de vie des matières plastiques d’origine marine? Oui, en principe, mais au niveau des coûts, ça n’a pas de sens. Si bien qu’il faut admettre notre échec sociétal, en ce qui concerne les plastiques perdus. »

La bonne résine, la bonne quantité, au bon prix

L’industrie de la plasturgie se dit bien prête à intégrer la résine recyclée.

« La plupart des résines se recyclent bien, mais il faut qu’elle soit propre, qu’elle soit uniformisée, parce qu’il y a des enjeux de résine souillée qui doit être nettoyée, mais il ne faut pas que le coût environnemental du nettoyage soit pire que l’utilisation de résine vierge », souligne Simon Chrétien de l’APQ. « Quand on part avec une résine vierge, on sait ce qu’on a, on connait les propriétés de départ et ce qu’on va avoir. Quand on travaille avec du recyclé, c’est extrêmement variable, hétérogène, on ne sait pas toujours ce qu’il y a dedans, ça demande de faire un suivi, c’est plus compliqué pour un manufacturier d’intégrer ça. »

Mario Laquerre, lui aussi professeur au Centre universitaire de formation en environnement (CUFE) de l’Université de Sherbrooke, estime que le marché est prêt à absorber le plastique recyclé de qualité.

« Trouver des marchés d’acheteurs dans le plastique n’a jamais été un problème. Si le plastique est bien trié, on n’a aucun problème à l’écouler. La demande est là, on est de gros consommateurs de plastique, donc il y a une demande, et le prix du pétrole, d’où provient la résine vierge, ne baisse pas. On est capable d’écouler cette matière-là. Ce n’est pas ça, le problème. Techniquement, on est capable de le faire. »

Il faut aussi, nous dit Simon Chrétien, assurer un approvisionnement stable et homogène.

« Souvent, l’obstacle, c’est la disponibilité d’une matière suffisante, homogène dans le temps, qui rencontre les besoins, les caractéristiques, les propriétés physico-chimiques du manufacturier. À partir du moment où on sera capable de garantir un approvisionnement avec une matière stable, uniforme, homogène, avec les quantités nécessaires et les propriétés physicochimiques requises, ça va être beaucoup plus facile. Et avec un prix prévisible et compétitif. »

Le tri : le nerf de la guerre

Du côté de la récupération des rejets de plastique de l’industrie et du commerce, l’étape de la collecte et du tri est habituellement simplifiée par une bonne gestion des rejets des entreprises. Il est ici plus facile de maintenir les plastiques plus propres et plus homogènes. Mais l’un des principaux problèmes de toute la chaîne d’approvisionnement en plastique recyclé se trouve du côté de la collecte sélective résidentielle et des centres de tri, nous dit Mario Laquerre.

« Au niveau du tri au Québec, c’est très inégal. La performance des centres de tri n’est pas la même partout. Il y a 20 ans, on avait des taux de rejet de 7%, on est rendu à 30%. On ne s’améliore pas. En revanche, il y a des centres de tri qui font un très bon travail. Mais il y en a d’autres qui vont aller au plus vite et se servir dans ce qu’il y a de plus payant, le PET, le HDPE, et le reste, on met ça dans un ballot et on essaie de trouver quelqu’un qui va le prendre. »

Mais les centres de tri sont-ils adéquatement accompagnés, et adéquatement financés?

« Les centres de tri font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont », estime Simon Chrétien de l’APQ. « Ils sont selon moi sous-financés et ne sont pas équipés avec la technologie adéquate pour réussir à performer. C’est beau leur demander de faire un meilleur tri, il faut que l’argent soit là, il faut investir un peu plus dans toute cette logistique de tri, de récupération, de valorisation de la matière. »

Québec a récemment donné de nouveaux pouvoirs et de nouvelles responsabilités à Éco Entreprises Québec, pour mettre en place la modernisation de la collecte sélective. Cette modernisation vise à confier la responsabilité opérationnelle et financière de la gestion en fin de vie des contenants, emballages et imprimés à ceux qui commercialisent, mettent en marché ou distribuent ces produits. À compter du 1er janvier 2025, ÉEQ assumera la totalité des coûts de collecte et de transport des contenants, emballages et imprimés récupérés par la collecte sélective dans tout le Québec. À titre d’organisme de gestion désigné pour mettre en œuvre la responsabilité élargie des producteurs, ÉEQ travaille à finaliser les ententes en matière de collecte, mais aussi à voir à une meilleure supervision des centres de tri.

Mario Laquerre fonde beaucoup d’espoir dans le pouvoir de contrôle attribué à Éco Entreprises Québec.

« Je pense donc que dans cinq ans, on va être mieux que présentement, si Éco Entreprises Québec fait bien son travail. C’est ce qui manquait dans les 30 dernières années, quelqu’un qui s’occupe du problème. »

Des solutions?

Notre consommation de plastique ne semble pas prête de ralentir.

« On a beaucoup trop de plastique sur le marché », dit Mario Laquerre. « Et si on veut résoudre le problème à court terme, il faut éliminer l’utilisation de plastique là où ce n’est pas nécessaire. »

L’une des options envisagées pour réduire l’empreinte écologique est l’utilisation de plastiques d’origine biologique et non fossile, soit un plastique fait à base de résidus de plante. Il s’agit selon le professeur Marc Olivier d’une très forte tendance, pilotée notamment par les grands producteurs de boissons gazeuses.

« On est dans une société d’un immense gaspillage des matières plastiques, parce que les plastiques d’origine fossile, on a tellement bien fait les choses qu’ils ne coutaient pas cher. Il faut développer les recettes de biosourcé. Ce que l’on veut ultimement, c’est d’arriver avec les mêmes plastiques ou presque que ce que l’on connait comme nos plastiques de grand volume, nos thermoplastiques actuels, pour éviter un blocage de la chaîne d’approvisionnement. »

Le professeur Olivier aimerait aussi qu’on mise plus à fond sur l’écoconception, ou la prise en compte de l’ensemble du cycle de vie d’un produit dès le début de sa conception.

« Il faudrait que nos objets soient écoconçus. C’est ce qui nous manque. Présentement, on a fait toutes sortes de choses qui intègrent du plastique, sans jamais trop se poser la question « est-ce que c’est la meilleure façon de le faire pour faciliter la récupération et le recyclage en fin de vie pour faire quelque chose d’utile »? »

Le plastique dit biodégradable n’est selon lui pas la solution, puisqu’il vient perturber toute la chaîne de récupération et recyclage.

« Ça nous a été présenté comme des solutions très vertes, mais c’est l’inverse du bon sens. Faire tant d’effort prendre tant d’énergie et d’argent pour fabriquer une matière plastique qui n’est pas durable. C’est l’inverse du développement durable quand on a quelque chose qui ne peut pas être résistante. »

Mais que ce soit du côté de la conception, de la collecte et du tri ou des technologies de recyclage, pour l’Alliance Polymères Québec, le succès de toute politique ou stratégie dépendra de l’implication de toutes et tous.

« Il faut que l’ensemble de l’écosystème soit impliqué », nous dit Simon Chrétien. « Si tout repose sur les épaules du manufacturier, si le consommateur n’accepte pas de trier sa matière recyclable, s’il n’accepte pas de payer plus cher pour certains produits, si le donneur d’ordre n’accepte pas de concevoir ses produits en conséquence, si on n’investit pas dans la recherche et développement pour que les technologies se raffinent et deviennent plus performantes, si on ne se met pas une bonne logistique de transport et distribution, si ce n’est pas tout inclus, on n’y arrivera pas. Mais si tous les maillons de l’écosystème s’y mettent et que tout le monde travaille dans le même sens, il n’y a aucune raison pour que ça ne fonctionne pas. »

Par Claude BoucherDans l’édition Avril/Mai du Magazine MCI

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