Pour comprendre la situation, rien ne vaut quelques statistiques. D’abord selon un rapport publié en septembre 2016 par la Fédération internationale de robotique, le Canada arrive en douzième position pour le nombre de robots utilisés par rapport au nombre d’employés du secteur manufacturier. Avec 136 robots par 10 000 salariés, nous sommes ainsi loin derrière l’Allemagne et le Japon avec un peu plus de 300 robots, Singapour et ses 398 ou la Corée du Sud, largement en tête avec 531 robots. Mais en nombre absolu, c’est la Chine qui écrase toute concurrence : avec plus de 68 000 robots installés seulement en 2015, ce pays aux travailleurs innombrables devrait représenter à lui seul 40 % du marché mondial en 2019 de l’assemblage robotisé.
L’une des craintes fréquentes à propos de ces technologies demeure que leur adoption fasse en sorte que l’on congédie des employés; que ces robots remplacent définitivement l’humain dans les entreprises. C’est le contraire qui surviendrait.
« Selon mon expérience, les entreprises ne se débarrassent pas de leurs soudeurs après l’arrivée d’un robot. C’est l’inverse qui se produit, parce que cela crée de nouvelles opportunités, cela amène de nouveaux contrats. Cette croissance fait en sorte que la compagnie va embaucher par la suite », explique Alain Bordeleau, directeur général du Centre de robotique et de vision industrielles, situé à Lévis.
Cette opinion quant à l’embauche d’employés grâce à la robotisation est appuyée par une étude réalisée récemment à l’Université d’Utrecht en Allemagne. Parce que les coûts de production diminuent, cela permet d’être plus concurrentiel, ce qui a créé des emplois dans ce grand pays européen entre 2010 et 2015, avec une moyenne de 2,5 % par année .
Intégrer les nouvelles technologies de soudage tel que le laser et la robotisation implique son lot de défis, mais le premier demeure de concevoir les choses autrement.
« Il faut exploiter les technologies disponibles, mais c’est difficile à intégrer dans les entreprises, surtout les plus grandes qui sont habituées de faire les choses d’une certaine manière depuis plusieurs années. Il faut être prêt à penser autrement, à concevoir ses pièces, sa production d’une nouvelle façon», considère Lorraine Blais, ingénieure vice-présidente et chef de section des procédés laser au sein de Solutions Novika. Ce centre de recherche et de transfert de technologie situé à La Pocatière dans le Bas-Saint-Laurent informe et appuie les entreprises dans leur processus d’intégration de nouvelles technologies industrielles.
De nouveaux procédés de soudage font lentement leur apparition, tels que ceux par friction et par friction malaxage, et qui sont étudiés entre autres au Centre de métallurgie du Québec. Mais laissons-les de côté pour quelque temps, puisque la plupart des entreprises d’ici utilisent le MIG et le TIG, des soudages à l’arc avec fil électrodes fusibles et non fusibles.
La technologie en cours d’implantation – déjà pas si récente puisque certains constructeurs automobiles l’utilisaient dans les années 1980 – serait plutôt le laser. L’un de ses plus fervents utilisateurs, Technologie InovaWeld, est également situé à La Pocatière.
« Le laser procure des avantages incroyables : trouvez-moi une autre technique qui soude à une vitesse de 15 pieds à la minute de façon parfaite, en chauffant au minimum le métal adjacent, ce qui diminue la déformation et sans provoquer d’apport de la matière voisine de la zone soudée, donc sans affaiblir le métal ! », s’étonne encore Michel Lévesque, vice-président ventes et mise en marché de l’entreprise.
Enthousiaste pour le laser, Michel Lévesque est néanmoins inquiet à plusieurs égards.
« Ça fait longtemps qu’on en parle, mais le vieillissement de la population québécoise, on est en plein dedans. On a de la difficulté à recruter, les jeunes ne s’intéressent plus à ça et on constate une fermeture d’esprit des gens du milieu par rapport aux nouvelles technologies. Il va falloir se réveiller et collaborer ensemble si on ne veut pas voir partir nos entreprises vers d’autres pays par manque d’efficacité », souligne-t-il.
Ce que le laser et la robotique permettent, entre autres, c’est de créer des pièces de façon répétitive avec une précision remarquable.
« Un robot doté d’une tête laser, ça ne connaît pas de lundi matin ou de vendredi soir, ça ne se plaint pas et tant qu’on l’a bien programmé et qu’on l’alimente correctement le travail va être parfait », ajoute Alain Bordeleau, directeur du CRVI de Lévis.
Lui aussi constate un problème de main-d’œuvre, exacerbé dans la région de Québec quand le chantier naval a massivement embauché.
« Quand la Davie Shipbuilding a affiché 350 postes de soudeurs avec de bonnes conditions de travail, ça a vidé la région de ses travailleurs spécialisés d’expérience. Les entreprises souffrent de ça, mais la robotique peut aider à régler en partie ce problème. »
Et le défi est d’autant plus grand pour les petites entreprises, qui n’ont habituellement pas les ressources internes pour développer une nouvelle manière de faire, d’acquérir un coûteux équipement et de savoir l’intégrer sans affecter la production courante.
Par Frédéric Laporte