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Résidus de construction, rénovation et démolition : RECYC-QUÉBEC veut améliorer le bilan

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Auteur:  

Par Claude Boucher

En juin dernier, RECYC-QUÉBEC publiait les mesures proposées par un comité de 15 experts du secteur de la construction, la rénovation et la démolition (CRD), visant à réduire la quantité de matières dirigées vers les sites d’enfouissement. Les recommandations du comité incluent des actions prioritaires qui visent trois objectifs principaux : documenter la chaine de valeur pour mieux identifier les lacunes, agir auprès des organisations qui sont en amont de tout projet et outiller les acteurs pour faciliter le passage à l’action.

Selon le dernier bilan des matières résiduelles au Québec, les résidus provenant de la construction, la rénovation et la démolition (les CRD) comptaient en 2021 pour 32% de toutes les matières éliminées. En chiffres, des 3,5 millions de tonnes de résidus CRD générés cette année, 47% ont été directement acheminés vers les sites d’enfouissement, sans tri préalable. Ces chiffres placent les CRD pratiquement au sommet de l’ensemble des matières résiduelles enfouies, alors qu’il y a 10 ans, ce sont les matières organiques qui tenaient ce titre.

« C’est ce qui a amené le focus sur cette catégorie de matières-là, surtout après les audiences du BAPE dont le rapport a été déposé en janvier 2022, qui avait aussi identifié ce secteur comme un secteur pouvant faire des efforts supplémentaires pour réduire les quantités éliminées », nous dit Nicolas Bellerose de RECYC-QUÉBEC.

D’autant, nous dit-il, que les membres participants du Comité d’experts représentent tous les secteurs différents de l’industrie, des associations de construction aux syndicats, en passant par les municipalités et l’Ordre des architectes, se disent prêts à mettre les efforts nécessaires pour améliorer ce bilan.

Intitulé Actions prioritaires 2024-2026 : secteur CRD, le document dévoilé en juin prévoit neuf actions prioritaires pour amener l’industrie de la construction vers des pratiques plus durables. Le comité d’experts suggère même, fait rare pour une industrie, que le gouvernement et les municipalités créent par règlement ou tout autre moyen des barrières à l’enfouissement.

« Actuellement, il n’y a pas de forme de bâton pour forcer l’envoi de matériaux à un endroit plutôt qu’à un autre », explique Nicolas Bellerose. « C’est ce qu’on a constaté en 2021. Sur les 1,7 million de tonnes de matières CRD envoyées à l’élimination, c’est quand même 1 million de tonnes qui proviennent directement de chantiers qui s’en vont directement dans un site d’enfouissement. »

Mais une règlementation à l’échelle provinciale peut être difficile, selon lui. D’une part, la réalité du traitement des résidus CRD diffère énormément d’une région à l’autre, selon qu’on se trouve en milieu urbain comme dans la région de Montréal ou dans un milieu plus rural. La solution réside plus du côté de la règlementation municipale.

« Il y a des municipalités qui commencent déjà à lever la main pour mettre en place de la règlementation d’ordre municipale, parfois rattachée aux permis de construction. Le responsable du bâti sur un territoire, ça reste les municipalités. Et c’est un peu de notre côté de les aider à avoir les bons outils pour plus facilement mettre en place leur règlementation et d’essayer de s’assurer d’avoir une certaine uniformité entre les régions. »

Du côté du gouvernement provincial, la possibilité de fixer un écofrais, comme dans le cas des pneus ou de la peinture, est une piste à l’étude. Cette mesure existe déjà en France, où tous les matériaux de construction font l’objet d’un frais incitant au tri et à la récupération. Mais Nicolas Bellerose souligne qu’au lieu d’imposer un écofrais à l’achat, la solution d’une hausse de coûts aux sites d’enfouissement semble mieux coller à la réalité québécoise.

« Pour l’instant, on n’identifie pas la récupération comme étant un problème dans le secteur des CRD. C’est vraiment plus la destination des matières qui sont récupérées, où là on peut travailler un peu plus facilement. Quand le conteneur de 20 ou 40 verges arrive dans un lieu d’élimination, ce serait tout le conteneur qui serait assujetti à un frais supplémentaires rendu au site d’enfouissement. »

Des débouchés rentables

Comme dans toute question touchant les 3RV, le nerf de la guerre, c’est la rentabilité. Afin de réduire le pourcentage de matériaux qui prennent le chemin de l’enfouissement, il faut s’assurer de débouchés qui permettront d’éponger les coûts entrainés par la collecte sélective, le tri et la récupération des matériaux. Dans le cas des résidus CRD, cette rentabilité semble déjà être au rendez-vous, à tout le moins pour certains matériaux, nous dit Nicolas Bellerose.

« Il y a déjà des matières de CRD qui sont quand même très bien recyclées en de nouveaux produits. Le bois en est un exemple, où on a la chance d’avoir le plus grand recycleur de bois dans le Nord-est américain, qui est Tafisa, à Lac-Mégantic, qui reçoit des résidus de bois provenant des centres de tri et fait de la mélamine, donc, prolonge la durée de vie du bois. Il y a aussi Matériaux spécialisés Louiseville en Mauricie qui fait des panneaux acoustiques avec la fibre de bois, incluant la fibre de bois recyclée. Il y a moyen de prolonger la durée de vie du bois. Et pour les centres de tri, c’est un produit qui est vendable, qui a une valeur économique. »

Il souligne toutefois que l’offre surpasse souvent la demande, et que d’autres débouchés sont nécessaires pour assurer d’éviter la disposition dans les sites d’enfouissement. Parmi ces autres débouchés, l’utilisation de certains matériaux, soit le bois, les bardeaux d’asphalte et même certains plastiques, en tant que combustible pour les cimenteries et autres grands consommateurs d’énergie. Même si cette solution reste moins « verte » que la réutilisation, elle demeure préférable au rejet dans les sites d’enfouissement.

Et la suite?

Le dépôt des recommandations ne marque pas la fin du Comité d’experts sur les résidus CRD. Fort de l’engagement des différents secteurs de l’industrie, RECYC-QUÉBEC a décidé d’en faire un comité permanent.

« On est en train de structurer le mode de fonctionnement. On va très probablement rencontrer tous ces gens-là quelques fois par année, pour leur faire état de l’avancement des actions, et on va prendre certains membres du comité et d’autres acteurs de l’industrie pour travailler plus précisément sur les actions qu’on a proposées. »

Les efforts pour réduire l’envoi à l’enfouissement des CRD sont très peu documentés. RECYC-QUÉBEC travaillera donc à étudier des projets-pilotes et histoires à succès, afin de mieux connaître ce qui fonctionne bien, et ce qui fonctionne moins. Aucun chiffre précis de réduction des résidus CRD envoyés à l’enfouissement n’a été fixe.

« Mais en termes d’action, on se met comme objectif de réaliser cinq projets-pilotes, de participer à des activités, de faire un nombre de présentations à l’industrie, amener tant de municipalités à changer leur règlementation. C’est ce genre d’objectif qu’on a pour le moment, plutôt que de chiffres au bout du tuyau. Mais c’est quelque chose qu’on va regarder, pour attacher ces chiffres-là avec un indicateur plus économique, comme les mises en chantier, la valeur des permis émis. Si on est capable de rattacher les quantités éliminées avec un indicateur comme celui-là, on aura quelque chose de plus neutre qui pourra être observé. »

Un projet à Bromont

Louis Désourdy, président de Construction Désourdy à Bromont, n’aura pas attendu les conclusions du comité d’expert pour aller de l’avant. Constatant la quantité de matériaux de construction qui prenait le chemin du site d’enfouissement dans ses conteneurs, il s’est lancé dans le tri directement sur chantier. À sa propre initiative, il a donc conçu des bacs et de conteneurs avec sections spécifiques pour différents matériaux, afin de faire un tri à la source. Il est même allé jusqu’à monter un programme de formation destiné aux entrepreneurs et aux travailleurs.

« Avec Recyc-Québec, on a travaillé parallèlement sans se parler. Je me suis dit ça n’a pas d’allure, il faut trier sur les chantiers. Dans ma tête c’était comme mon constat. »

Le facteur clé, nous dit Louis Désourdy, c’est de s’assurer d’avoir de beaux matériaux à offrir aux acheteurs potentiels.

« Ce qui aide à éliminer la contamination dans les rebuts de construction, c’est la cueillette sélective comme à la maison. Je me disais pourquoi à la maison on met une pelure de banane dans le compost, et sur un chantier on met tout pêlemêle dans un conteneur. On a travaillé aussi avec la ville de Bromont pour la cueillette sélective. Tout ça mis en place, on arrive au bout de la ligne avec des matières triées sur les chantiers et qui ne sont pas contaminées, c’est beaucoup plus facile de trouver des débouchés. »

Comme au sein du comité d’expert, Louis Désourdy a constaté que les différents acteurs de l’industrie de la construction étaient prêts à participer à cet effort.

« Le projet pilote, ça nous a permis de, ça nous assure que ça fonctionne. »

C’est ce qui a mené à sa décision d’investir 17,5 millions $ dans la construction d’un centre de tri, Écotri Désourdy, qui sera entièrement dédié aux matériaux de construction. Le bâtiment de 150 pieds sur 300 sera chauffé et fonctionnel à l’année, ce qui permettra d’éviter l’accumulation de matériaux. Dès que les matériaux seront triés, ils seront expédiés aux différents recycleurs.

« Tout est nouveau tout est à construire, et c’est motivant. On commence à monter notre équipe pour le centre de tri. C’est un projet tellement dynamique. J’ai la chance d’avoir dans l’équipe des filles passionnées, et surtout, elles connaissent ça beaucoup plus que moi. »

Le centre Écotri Désourdy devrait ouvrir ses portes d’ici la fin de l’année.

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