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Sep

Réduction des émissions dues au transport : une question de collaboration

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Par Claude Boucher

L’industrie du camionnage est souvent pointée du doigt quand on parle de réduction des émissions polluantes ou des GES. S’il est vrai que 43% des GES sont dus au transport, on oublie souvent que ce chiffre inclut bien plus que le transport de marchandises, qui ne compte, lui, que pour 8,7% de ces émissions. Mais la pression exercée sur cette industrie pour réduire ses émissions n’en est pas moins réelle, et le message des transporteurs est clair : ils n’y arriveront pas seuls.

L’automne dernier, le Comité consultatif sur les changements climatiques, mis sur pied par le gouvernement du Québec, publiait un avis consultatif, Décarbonation du transport lourd de marchandises : construire une voie durable. Le Comité soulignait dans son avis que les émissions de GES du transport routier de marchandises au Québec ont augmenté de 61 % entre 1990 et 2021. Les deux premières recommandations de cet avis suggéraient la création d’une taxe kilométrique pour le transport routier de marchandises et la mise en œuvre une stratégie ferroviaire et maritime favorisant un important transfert modal.

Ces recommandations ont été pour le moins accueillies froidement par l’industrie, qui estime d’une part que c’est de bien mal comprendre le transport de marchandises et son rôle dans notre économie que de suggérer une taxe kilométrique.

Jacques Renaud est professeur titulaire à l’Université Laval, codirecteur, Centre interuniversitaire de recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport (CIRRELT) et directeur du Centre d’innovation en logistique et chaîne d’approvisionnement durable. Lors du dernier congrès de l’Association du camionnage du Québec au printemps, il soulignait que cette augmentation des émissions de GES a un lien direct avec notre propre consommation.

« Parfois, les chiffres ne disent pas tout. On parle d’une augmentation des émissions sans parler des efforts de l’industrie pour s’améliorer durant la même période? Ça serait incroyable de continuer à croitre tout en transportant moins. On consomme toujours plus, la population augmente, c’est inévitable qu’on doive manger, construire des maisons. Ça prend des camions pour transporter ces marchandises-là. C’est pour ça qu’on a plus de mouvement. Mais si on réussit à rendre ces mouvements-là plus efficaces, on gagne quand même. »

Quant au transport intermodal, si certains gains pourraient être faits sur des trajets réguliers de moyenne distance comme entre Toronto et Montréal, il est utopique de penser transférer une large part du transport routier de marchandises vers le ferroviaire ou le maritime. D’une part, le transport ferroviaire n’offre ni le réseau, ni la flexibilité, ni l’assiduité du camionnage. D’autre part, le transport maritime est peu adapté à la réalité du transport de marchandises autrement qu’en vrac, sauf pour le transport intercontinental.

La solution passe donc, pour les gens de l’industrie, par une amélioration de la fluidité, et une meilleure collaboration de tous.

La flexibilité, un enjeu clé

Devant ces chiffres qui la font mal paraitre, l’industrie du camionnage, via notamment la Fondation pour la formation en transport routier, a investi dans la création de l’Observatoire de recherche en transport routier de l’Université Laval, observatoire qui sera piloté par le professeur Jacques Renaud. L’objectif est de collecter des données réelles sur l’industrie, données qui manquent cruellement, souligne ce dernier.

« Ce qu’on a vu beaucoup depuis une dizaine d’années, c’est qu’il y a de moins en moins de statistiques sur l’industrie. Transport Canada n’en fait pratiquement plus. Au gouvernement du Québec, les dernières études remontent à des années. Et en même temps, les transporteurs aujourd’hui, avec la télématique, l’informatique, ont accès à ces données. Mais ils n’ont pas toujours le réflexe d’analyser ces données. »

L’objectif premier est donc d’obtenir des données tangibles et spécifiques aux différents secteurs du transport routier. Des données qui permettront de contredire certaines affirmations, comme celle du Comité consultatif sur les changements climatiques, qui parlait d’un pourcentage de voyages à vide de camion autour des 40%.

« Si on est capable d’aller chercher des données dans chaque segment de l’industrie, d’analyser les routes des transporteurs et de dire non, ce n’est pas vrai, dans la livraison LTL, les données qu’on a analysées, ça montre 10% de transport à vide. C’est une donnée importante. »

Mais au-delà des chiffres, c’est aussi la recherche de solutions pour améliorer les performances de l’industrie, qui admet chercher à faire mieux. Pour Jacques Renaud, cette amélioration passe entre autres par une plus grande flexibilité des expéditeurs et clients.

« Ce qu’on a vu, c’est à la fois pour les cueillettes et les livraisons, pris individuellement, les horaires des clients font du sens, mais lorsqu’on met bout à bout tous les horaires de livraison de l’ensemble des clients, c’est là qu’au global, on se retrouve avec des routes qui sont moins performantes. Mais si on avait un peu plus de flexibilité, parfois une heure ou deux de plus sur l’heure de livraison, on est rapidement capable d’avoir de meilleurs trajets. »

Jacques Renaud souligne notamment que les expéditeurs et clients des transporteurs doivent réfléchir à l’impact de leurs pratiques internes de commande. Centraliser les achats dans l’entreprise permet notamment, dit-il, d’éviter que deux commandes soient inutilement passées dans la même journée. Et avec la quasi-disparition des espaces d’entreposage dans le domaine de la vente au détail, les commandes multiples au cours d’une même semaine viennent aussi augmenter la pression sur les transporteurs.

« Commander cinq fois par semaine, ce n’est peut-être pas nécessaire. Et le client doit comprendre que ç’a un coût, commander cinq fois par semaine. Si tu peux fonctionner de la même façon avec trois livraisons, ton transporteur va être plus efficace. »

Jacques Renaud souligne que les principes ESG (Environnement, Société et Gouvernance) font de plus en plus leur chemin au sein des entreprises, celles-ci devant notamment montrer patte blanche en termes de réduction des GES. Mais ces mêmes entreprises ne doivent pas, dit-il, pelleter le problème dans la cour des transporteurs.

« Il faut que toi aussi, comme expéditeur, tu prennes conscience que tes exigences ont un impact sur le nombre de kilomètres, sur la congestion, sur la quantité de véhicules sur les routes. Les entreprises ne peuvent pas se limiter à dire « j’ai demandé à mon transporteur d’utiliser un nombre X de camions électriques ». Il faut aussi qu’elles réduisent leurs demandes de transport en termes de fréquence, et qu’elles se voient plus comme en collaboration avec les transporteurs, pour dire comment à nous deux, on peut faire en sorte que tout le monde soit plus efficace. »

L’entreprise qui s’ajuste et qui arrive à réduire la fréquence de ses approvisionnements peut sauver du temps sur les opérations de réception/expédition, elle sauve de la facturation, le temps des opérateurs sur les quais, elle sauve à tous les niveaux.

« Il y a deux gains », dit Jacques Renaud. « Celui dû au fait que le transporteur est venu une seule fois au lieu de deux, ce qui entraine un coût de transport moins élevé. Mais en plus, si tu fais ça à l’année, ton transporteur est plus heureux de travailler avec toi. Plus tu facilites la vie de ton transporteur, plus il va faciliter ton renouvellement de contrat et ajuster tes prix à la fin de l’année. »

Une industrie qui a fait ses devoirs

L’industrie du transport routier de marchandises a évolué à vitesse grand V depuis les deux dernières décennies. D’une part, la réglementation a graduellement, mais solidement imposé de fortes réductions des émissions polluantes comme les particules et l’oxyde d’azote. Les camions d’aujourd’hui, on peut le remarquer sur la route, sont loin d’émettre cette grosse fumée noire qu’on voyait il n’y a pas si longtemps.

Les transporteurs, notamment au Québec avec le programme Écocamionnage, ont été nombreux à adopter des technologies et dispositifs permettant de réduire la consommation de carburant et donc, les émissions polluantes. Qu’on pense aux jupes sous les remorques, aux fourgons plus légers et autres, ces équipements sont aujourd’hui la norme dans l’industrie.

« On est ciblé comme étant la méchante partie du transport lourd, comme n’ayant pas fait ses devoirs, n’ayant pas évolué. Et je pense que c’est faux », dit Marc Cadieux, président-directeur général de l’Association du camionnage du Québec. « On a évolué, même s’il nous reste du chemin à faire : on parle de carburants alternatifs de plus en plus, d’électrification. »

Car pour la plupart des transporteurs, le carburant demeure le premier poste de dépense. Ils ont donc naturellement tout intérêt à chercher et adopter des solutions pour en réduire la consommation. Encore faut-il que l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement accepte de mieux collaborer, avec plus de flexibilité.

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