Par Eric Bérard
L’un économiste en chef de la Banque de développement du Canada (BDC). L’autre est président du Groupe Pageau, promoteur du Salon Industriel de Québec, événement qui se tiendra du 8 au 10 octobre prochain.
Pierre Cléroux et Éric pageau ne se sont jamais rencontrés dans la réalité, mais lorsqu’on les interroge sur les grands enjeux économiques du moment, les deux hommes portent tous deux un regard très similaire sur ce qui attend les acteurs des milieux industriel et manufacturier.
En entrevue, nous avons dans un premier temps demandé à l’économiste en chef de la BDC de se prononcer sur l’état de l’environnement d’affaires actuel. « Optimisme » serait le terme à retenir si l’on devait résumer son analyse en un seul mot.
Cet optimisme ambiant, M. Cléroux l’attribue en grande partie à la décision de la Banque du Canada d’abaisser son taux directeur à 4,75 %, puis à 4,5 % alors qu’il avait auparavant grimpé jusqu’à 5 % pour contrer les pressions inflationnistes.
« Tout le monde comprend qu’on a fini cette période de restrictions monétaires », se félicite M. Cléroux, ajoutant que d’autres baisses de taux sont probablement à venir.
« Ça va continuer de s’améliorer et je pense que l’optimisme va s’améliorer également. »
Éric Pageau dit, lui aussi ressentir ce vent de confiance alors que son équipe et lui mettent la touche finale aux préparatifs du Salon Industriel de Québec.
« Si je regarde les salons industriels, on vit une effervescence comme dans les années ’90. Les gens sont enthousiastes, les salons sont pleins », dit-il. Rien à voir avec la morosité pandémique.
À Québec, des exposants représentant plus de 600 entreprises seront prêts à accueillir les visiteurs par milliers au Centre de Foires. Le président du Groupe Pageau estime lui aussi que la baisse des taux d’intérêt facilitera les ententes commerciales conclues sur le plancher d’exposition.
« Ça donne un peu d’optimisme dans certaines choses parce que, qu’on le veuille ou non, il y a beaucoup d’équipement que les gens doivent financer, alors ça donne un break pour les investissements. On sent que l’environnement est positif », dit-il.
Lorsqu’on demande à l’économiste de la BDC d’identifier les secteurs manufacturiers les plus susceptibles de bénéficier d’une croissance au cours des mois à venir, il mentionne sans hésiter le domaine de la construction, à la fois pour le résidentiel et le non résidentiel.
Il y a une crise du logement, c’est clair, et elle ne pourra pas durer éternellement. Selon M. Cléroux, la baisse des taux d’intérêt va relancer les activités sur les chantiers.
« Notre projection à nous, c’est qu’il va y avoir une hausse des mises en chantier au Québec, donc une plus grande demande pour les produits manufacturiers dans ce secteur-là ».
Une fois de plus, le Salon industriel de Québec est en phase avec les grandes tendances et aura des exposants de ce milieu, capables de répondre à la demande.
On peut penser à l’outillage, aux compresseurs, aux génératrices, à des choses aussi simples que des boulons, mais toutes essentielles au bon déroulement des activités d’un chantier, souligne M. Pageau.
La fabrication en usine de modules préfabriqués de bâtiments, précieuse alors qu’il y a pénurie main-d’œuvre, a de très beaux jours devant elle, estime par ailleurs l’expert de la BDC.
« C’est un secteur qui est en pleine ébullition présentement. Je vois beaucoup d’entreprises qui ont innové de ce côté-là, pour essayer de produire, de construire des maisons de façon plus efficace, en ayant besoin de moins de main-d’œuvre », observe M. Cléroux.
Ce dernier garde aussi un œil attentif sur les chantiers d’Hydro-Québec.
« Hydro-Québec a des projets très ambitieux d’augmenter sa capacité de production d’électricité. Dans les centrales existantes, mais il y a aussi des projets de nouvelles centrales », souligne-t-il.
« Tout ça fait en sorte que le secteur de la construction au Québec va vraiment prendre de l’ampleur et il y a beaucoup de secteurs manufacturiers reliés à ça, que ce soit le bois d’œuvre, mais aussi l’aluminium, il y a beaucoup de matériaux qui sont reliés à la construction », rappelle l’économiste.
Parmi les grandes conférences présentées au salon de Québec, plusieurs auront pour thème l’automatisation des processus manufacturiers et le rôle que l’intelligence artificielle a à y jouer.
« L’automatisation, l’intelligence artificielle, la robotisation, ce sont de gros enjeux depuis le retour de la pandémie. C’est flagrant à quel point c’est encore plus fort que ça l’était », constate le promoteur Éric Pageau.
Selon lui, la pénurie de main-d’œuvre a amené le secteur manufacturier à se tourner beaucoup plus vite vers de nouvelles méthodes de production, d’autant plus que ces procédés permettent une qualité de produit fini beaucoup linéaire et uniforme lorsque ce sont des machines qui accomplissent les tâches répétitives.
Par ailleurs ça réduit la pression sur certains employeurs de devoir faire appel à des travailleurs étrangers, souligne M. Pageau.
Pierre Cléroux de la BDC ne saurait être plus d’accord : l’investissement en automatisation est un incontournable, même si les taux d’intérêt pour financer ce virage demeurent relativement élevés.
« D’abord, parce qu’il y a encore une pénurie de main-d’œuvre, ensuite parce que les salaires augmentent beaucoup. Les salaires ont augmenté depuis la pandémie, en moyenne, de 5 % par année au Canada et encore plus au Québec, de 6 % à 7 % par année », souligne M. Cléroux.
Et comme les salaires ne diminueront pas, il estime que pour les entreprises, la meilleure façon de contrôler ces coûts est d’investir en technologie et en automatisation.
« On le voit dans nos études, les entreprises qui ont le plus de succès présentement, ce sont celles qui investissent davantage en automatisation, en technologie. Donc qui réduisent leurs besoins de main-d’œuvre, qui sont capables d’accélérer leur croissance en embauchant moins que d’autres entreprises », dit M. Cléroux.
Il note au passage que la main-d’œuvre étrangère à laquelle M. Pageau faisait référence plus haut est appelée à être moins disponible, alors que les gouvernements de Québec et d’Ottawa entendent mettre la pédale douce sur l’accueil de ce type d’immigrants.
« Dans ce contexte-là, le besoin d’automatiser est encore plus grand. Moi comme économiste, de la façon que je vois ça, c’est vraiment la voie de l’avenir. Parce qu’il y a plus d’emplois que de personnes présentement et ça va être le cas encore pour les 10 prochaines années parce que les baby-boomers quittent le marché du travail pour prendre leur retraite », analyse l’expert de la BDC.
Le promoteur du Salon Industriel de Québec est bien au fait de ces changements démographiques, qui amènent leur lot de repreneuriats et de fusions-acquisitions.
« On voit un mouvement qui se dessine. On voit à l’intérieur des entreprises, c’est une façon imagée de l’illustrer, beaucoup de noms composés qu’on n’avait pas avant. On voit à des postes de direction des gens qui sont beaucoup plus jeunes », constate Éric Pageau.
« Que ce soit des investisseurs ou des gens qui entrent dans l’entreprise avec des rôles importants, la jeunesse, la relève, on la sent de plus en plus », ajoute le président du Groupe Pageau.
Cette relève, il la cultive. Notamment en utilisant les canaux de communication que la jeune génération privilégie.
« Notre plus grosse proportion de résultats vient des réseaux sociaux. Mon équipe fait une super bonne job pour rejoindre ces gens-là, leur donner envie de visiter le salon », témoigne M. Pageau.
L’entreprise a également établi des partenariats avec des établissements d’enseignement, spécialisés ou généraux.
« Les écoles ont toujours été importantes pour le Groupe Pageau, on a toujours eu des visites importantes d’écoles et les exposants, de nos jours, nous demandent si on va avoir des étudiants. Ils veulent voir des étudiants. C’est vraiment un retour de balancier intéressant », constate le promoteur.
Une fois encore, l’économiste en chef de la BDC arrive à la même conclusion.
« Beaucoup d’entrepreneurs arrivent à l’âge de la retraite et l’ont même dépassé. On voit, nous, beaucoup de transactions de gens qui sont arrivés à l’âge de la retraite et qui vont vendre leur entreprise. Et ça va continuer », prédit Pierre Cléroux.
La transition énergétique est en marche, ici comme ailleurs sur la planète et elle représente de formidables occasions d’affaires pour le secteur manufacturier, estime l’économiste de la BDC.
Il donne l’exemple de Northvolt, mais aussi de deux très grandes usines en Ontario qui sont en construction pour desservir le secteur de l’électrification des transports.
« Les trois usines ensemble, ça représente environ 20 milliards $ d’investissement », dit-il au sujet de ce qui se passe sur la Rive-Sud de Montréal et chez nos voisins ontariens.
Une tendance lourde, croit-il, qui est là pour durer plusieurs décennies.
Les gens du secteur manufacturier ne seront pas les seuls à profiter de la manne, l’industrie minière aura aussi un rôle à jouer puisque toutes ces usines auront besoin d’une chaîne d’approvisionnement pour assurer leur fonctionnement, et cela inclura les minéraux critiques.
« On va avoir besoin de ces minéraux-là pour être des fournisseurs de ces usines de batteries », souligne M. Cléroux.
De son côté, Éric Pageau confirme que le Salon Industriel de Québec a une sensibilité à l’égard de cette transition énergétique et du volet environnemental qu’embrasse de plus en plus le secteur manufacturier.
Il en veut pour preuve la présence de conférenciers de prestige qui traiteront de thèmes tels que l’efficacité énergétique au service de la productivité ou encore de décarbonation industrielle.
Pour M. Pageau, ce volet éducation du salon prend de plus en plus d’importance au fil des ans.
« On amène une plus-value qui est importante pour susciter une deuxième raison de venir visiter le salon, de venir chercher de l’information en plus de venir voir les fournisseurs », dit le promoteur.
À eux seuls, les exposants du Salon Industriel de Québec mobiliseront des armées de travailleurs pour faire de cette édition 40e anniversaire un succès. Les échanges entre exposants créeront de l’activité économique, mais aussi des retombées pour les secteurs hôtelier et touristique.
« J’ai 1500 personnes qui vont travailler sur le site du salon en trois jours à Québec. La plupart des gens font venir leurs fournisseurs des États-Unis, de l’Allemagne, de l’Italie. Ça va dans les restaurants, ça va à l’hôtel. C’est sûr qu’on est un facteur économique important pour chaque région où on va », analyse Éric Pageau.
Les milliers de visiteurs contribuent aussi à la vitalité économique de toute la province, et au-delà.
« Le salon industriel, on sait que c’est une grande force de réseautage entre les exposants, mais la raison d’être d’un salon, c’est aussi d’avoir une clientèle de visiteurs qui est de qualité, qui vient dans le but de moderniser, de développer leur entreprise ou améliorer leurs procédés, leurs façons de faire », explique Éric Pageau.
« Le nerf de la guerre, c’est toujours d’avoir une qualité de visiteurs », conclut le promoteur du Salon Industriel de Québec.