20
Jun

Quand le développement durable devient rentable

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Attraction de main-d’œuvre, efficacité énergétique, recyclage, biomimétisme

L’objectif même derrière le concept de développement durable, c’est de faire en sorte que l’essor économique ne se fasse pas au détriment de l’environnement. Et ça devient rentable lorsqu’on constate que la réduction du gaspillage se traduit forcément par un plus haut niveau de rentabilité.

C’est le genre de discours que tient Jean-Sébastien Trudel, conseiller aux entreprises – développement durable et technologies propres à la Chambre de commerce et d’industrie de Laval (CCILaval).

En entrevue au Magazine MCI, M. Trudel accepte l’idée selon laquelle les industriels ont en quelque sorte toujours eu dans leur ADN le souci d’économiser les ressources qu’ils utilisent parce que c’est un gage de prospérité pour leur entreprise. Ce qu’il y a de nouveau, c’est qu’ils ont maintenant une vision plus globale de leurs opérations.

« Les entreprises ont toujours cherché à s’améliorer, que ce soit par des initiatives d’efficacité ou par l’amélioration de la qualité. Mais elles l’ont toujours fait à partir de ce qu’elles faisaient dans leurs murs, sans regarder ce qui se passait sur l’ensemble de la chaîne de production », dit-il.

De nos jours, il n’est pas rare que des entreprises manufacturières travaillent de concert avec leurs fournisseurs et même parfois y investissent afin d’améliorer le rendement de l’ensemble du processus, ce qui en bout de piste est bénéfique à tous. « De plus en plus, les entreprises ont intérêt à être efficaces sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement et non pas seulement dans leur usine », plaide M. Trudel.

Le détenteur d’une maîtrise en développement durable de l’Université de Sherbrooke met en garde contre les relations client-fournisseur qu’il qualifie de « transactionnelles », c’est-à-dire où seuls le prix et la qualité sont pris en considération.

Parce que, à titre d’exemple, si les prix de l’énergie augmentent, cela se répercutera sur les frais de transport de l’entreprise cliente qui n’aura pas tenu compte de l’éloignement géographique du fournisseur lors de sa sélection. Il y a également des accords internationaux sur les émissions de carbone qu’il faut respecter pour se qualifier à certains contrats.

Selon notre expert invité, ce sont d’ailleurs les exigences des clients qui ont poussé plusieurs manufacturiers à créer à l’interne des équipes vouées au développement durable.

« Depuis 2016, 2018, il y a vraiment eu une grosse croissance du nombre de postes [en développement durable] qui ont été créés dans les PME manufacturières, parce que les gros donneurs d’ouvrage et les gouvernements ont commencé à poser des questions, à exiger des informations, à demander à leurs sous-traitants ce qu’ils font pour limiter leurs gaz à effet de serre, s’ils ont en place des politiques de développement durable, etc. »

Attraction de main-d’œuvre

« Actuellement, la plupart des entreprises manufacturières vivent une pénurie de main-d’œuvre importante. Je le vois dans mon quotidien, on m’en parle tous les jours », dit M. Trudel, selon qui le bilan environnemental positif d’une entreprise peut se révéler un facteur d’attraction de main-d’œuvre, plus que de simples augmentations de salaire.

Il fait le parallèle avec la bulle techno de la fin des années ’90, où les firmes s’arrachaient tout ce qui s’apparentait plus ou moins à un informaticien et où, à un certain moment, les salaires n’ont plus suffi pour débaucher des employés d’un concurrent. « Ils se rendaient compte qu’il y avait plus que le salaire au travail, ils voulaient contribuer à quelque chose de plus grand, ils voulaient contribuer à un projet », dit-il au sujet des employés en informatique de l’époque.

« L’objectif d’une entreprise aujourd’hui, c’est de mettre en place des initiatives en lien avec des valeurs environnementales, d’adopter même une nouvelle mission et une nouvelle vision qui va intégrer ça dans ses valeurs et va les faire vivre pour vrai. À partir du moment où on a ça, on va être capable d’attirer et de retenir ces milléniaux, ces futurs employés », dit-il.

Et pas que les milléniaux. Les baby-boomers et autres travailleurs expérimentés peuvent également être séduits par une organisation responsable au le plan environnemental. Ne serait-ce que parce qu’ils pensent au legs qu’ils vont laisser à leurs petits-enfants.

Doit-on aller jusqu’à la certification ISO 14001? Seulement si on y est absolument obligé, estime M. Trudel. Sinon, le temps et l’argent requis pour afficher la fameuse norme en façade n’en vaudront pas la peine.

« Je recommande d’aller chercher la norme ISO uniquement si un client potentiel l’exige et si ça permet d’aller gagner de nouveaux contrats ou de conserver une clientèle existante. »

Cela dit, même sans la certification, les industriels peuvent tout de même mettre en place de bonnes pratiques.

Solutions pratico-pratiques

Selon l’expert de la CCILaval, « Là où on voit les retours sur investissement les plus rapides, c’est tout ce qui touche les systèmes de chauffage et climatisation. »

Pour certaines entreprises qui ont des besoins particuliers en matière de chauffage (des serres par exemple) ou de climatisation, la géothermie peut être envisagée. Mais ce n’est pas une panacée puisque ce ne sont pas tous les types de sols qui s’y prêtent et qu’il faut procéder à des analyses – parfois coûteuses – avant de déterminer que la géothermie serait viable à un endroit donné. La bonne nouvelle, c’est que ces analyses de sols peuvent être subventionnées via le fonds Ecoleader du ministère de l’Économie et de l’Innovation.

Le remplacement de machinerie obsolète par des unités moins énergivores est aussi un geste rentable puisqu’elles seront aussi plus productives et demanderont moins d’entretien.

L’efficacité énergétique passe également par les systèmes d’éclairage aux diodes électroluminescentes (DEL), non seulement en raison des économies d’électricité, mais aussi parce qu’on gagne en productivité grâce à une meilleure qualité d’éclairage.

La lumière naturelle fait également des merveilles. Il a été démontré par des études que l’installation de puits de lumière ou autre manière de faire entrer plus de lumière naturelle en usine fait grimper la productivité et diminuer l’absentéisme. Si bien qu’on rentabilise l’investissement en quelques mois à peine, explique M. Trudel, ajoutant que des subventions sont disponibles pour de telles initiatives.

L’électrification des transports et, à moyen terme l’avènement de camions autonomes moins voraces en carburant pourraient à la fois réduire les frais de transport et l’empreinte carbone, tout en réglant en partie le problème du manque de camionneurs puisque ces véhicules seront éventuellement autorisés à circuler sans chauffeur de sûreté.

La gestion de l’eau en entreprise est également un enjeu majeur pour l’auteur du livre intitulé « Arrêtons de pisser dans de l’eau embouteillée ». Pas seulement par vertu, parce que nous n’aurons bientôt plus le choix de nous demander si nous avons réellement besoin d’autant d’eau.

« Les nappes phréatiques sont plus fragiles qu’elles l’étaient », dit M. Trudel, ajoutant que cela a des impacts bien réels, citant l’exemple de centres de ski qui ont besoin de plus en plus d’eau pour leurs canons à neige en raison des changements climatiques. « Elles sont obligées de mettre en place des bassins de rétention parce que l’eau de la rivière ne suffit plus », constate-t-il.

Une entreprise de textile en Beauce a remédié au problème en mettant en place un système de recirculation de l’eau puisée de la rivière voisine avant de l’y retourner. À l’occasion d’une visite d’un inspecteur de la municipalité, des relevés ont démontré que l’eau qui sortait de l’usine était de meilleure qualité que celle du réseau municipal. L’usine se trouvait à filtrer l’eau de la rivière!

« On en voit de plus en plus maintenant, des entreprises qui ont des systèmes fermés comme ça et qui sont capables d’éviter de gaspiller l’eau », explique M. Trudel.

Recyclage et écoconception

« On ne peut pas faire d’omelette sans casser des œufs », dit l’adage. D’accord, mais on fait quoi avec les coquilles? Voilà qui résume assez bien le problème des rejets de production, des retailles de tôle en passant par les huiles usées.

Selon notre expert en développement durable, « Tout ce qui est déchets post-industriels, on est quand même devenus pas mal bons avec les années pour leur trouver des débouchés. Ce n’est pas parfait, mais si l’entreprise est performante, elle réussit soit à les revendre ou à les réutiliser elle-même. »

M. Trudel cite l’exemple de la firme Thermoplast, qui fait à Laval de l’extrusion de PVC à l’intention de fabricants de portes et fenêtres. Lorsque ceux-ci installent des fenêtres neuves, ils récupèrent les anciennes du client et les remettent à Thermoplast qui, une fois le caoutchouc, la quincaillerie et les vis retirés, réutilise le PVC pour lui donner une nouvelle vie. Mieux encore, en le faisant à l’interne, l’entreprise a un meilleur contrôle sur la qualité du PVC que si elle confiait le travail à un recycleur sous-traitant.

En fait selon M. Trudel, c’est par l’écoconception qu’on peut le mieux réduire les rejets de production, soit concevoir les produits dès le départ avec cet enjeu en tête.

« On est en train de voir des entreprises manufacturières qui changent leur modèle d’affaires parce qu’elles conçoivent tellement bien leurs produits que la matière qu’ils envoient à leurs clients va devenir leur matière première dans le futur », constate M. Trudel, selon qui des fabricants pourraient plutôt devenir des fournisseurs de service.

Il donne l’exemple d’un fabricant de tapis qui les récupère en fin de vie et en recycle ensuite 100 % du nylon pour faire des tapis tout neufs. « À partir du moment où tu penses comme ça, tu ne deviens plus un fabricant de tapis, tu deviens une entreprise qui fournit un service de revêtement de sol, peut-être même avec l’entretien. »

La nature comme labo de R&D

Respecter l’environnement, ça peut aussi vouloir dire s’en inspirer pour ses méthodes de production, ce qu’on appelle le biomimétisme. À titre d’exemple, indique M. Trudel, la multinationale GE s’est inspirée de la nature pour régler un problème de givre sur ses pales d’éoliennes, qu’il fallait chauffer – et consommer de l’énergie – pour assurer leur bon fonctionnement. En imitant les caractéristiques d’une plante, l’entreprise a développé une peinture sur laquelle l’eau perle et ne peut plus s’accumuler et geler.

« On a tous dans nos entreprises des défis qui ont déjà été solutionnés par trois milliards d’années de R&D dans la nature. Il faut juste trouver où se trouve la solution qu’on cherche », conclut notre expert invité.

Par Eric Bérard

Paccar, un exemple de bonnes pratiques

La multinationale Paccar fabrique à Ste-Thérèse, en banlieue nord de Montréal, des camions qui sont distribués partout en Amérique du Nord. L’entreprise a obtenu la certification ISO 14000 qui témoigne de ses bonnes pratiques en matière de respect de l’environnement.

Parmi les mesures mises en place à l’usine, on note :

  • Réchauffement préalable, par panneaux solaires sur le toit, de l’air utilisé pour le chauffage en hiver.
  • Éclairage aux DEL dans l’usine.
  • Zéro déchet envoyé à l’enfouissement.
  • Recyclage des rejets de production.
  • Système de cartouches de peinture pour la cabine et le capot des camions qui réduit considérablement la consommation de peinture et de solvants.
  • Programme de covoiturage pour les employés.
  • Nouveaux compresseurs d’airs qui consomment moins d’électricité.
  • Nouvelle chaudière à consommation réduite pour le système de peinture.
  • Portes de garage à ouverture et fermeture rapide pour limiter les pertes de chaleur en hiver.
  • Recyclage des solvants usagés.

Par Eric Bérard

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