Par Dominique Lemoine
Des installations manufacturières d’ici s’adaptent à des hausses de coûts du transport international pas toujours transférables à leurs clients et se préparent à divers scénarios électoraux et protectionnistes possibles aux États-Unis à partir de novembre.
« Nous ne sommes plus confrontés à des composants ou à des pièces qui n’arrivent pas en raison d’usines à l’arrêt comme durant la pandémie. Tout roule aujourd’hui. Il faut néanmoins gérer serrer en raison des coûts de transport ainsi qu’évaluer la santé financière des fournisseurs », a confié Jean Meredith, co-chef de la direction et directeur des ventes pour Raufoss, fournisseur de pièces de suspension auprès de constructeurs automobiles, notamment fabriquées à son usine de Boisbriand.
La fin de la réalité commerciale pandémique et son remplacement par d’autres préoccupations pour les entreprises qui importent et qui exportent ont aussi été observées par Richard Blanchet, auprès de membres de l’association d’entreprises manufacturières Sous-traitance industrielle Québec (STIQ), dont il est le PDG.
À son avis, « en 2020-2021 il manquait de tout. Les entreprises ne savaient pas quand elles auraient leurs matières premières, composants et sous-produits, ni combien ça allait leur coûter. Les tarifs des conteneurs avaient aussi explosé. En 2023 nous n’entendions plus parler de ça. Cette situation était résolue ».
Par contre, il fait remarquer que les tarifs de conteneurs ainsi que les coûts et les durées des expéditions de marchandises sont désormais reportés à la hausse par des conflits dans le monde, qui affectent notamment le trafic maritime dans la mer Rouge.
« Des bateaux préfèrent faire le tour de l’Afrique plutôt que de passer par le canal de Suez. Ça double les durées des trajets de la marchandise importée d’Asie en passant par l’Europe. Avec le canal de Panama, c’est l’eau qui manque, ça devient un problème. Il y a donc des délais pour certaines choses et des coûts plus élevés de transport qui commencent à revenir », a-t-il affirmé.
Maintenir et relancer les liens de Raufoss avec ses fournisseurs de butées, puces, roulements à billes, vis et autres en Chine et en Europe à la sortie de la pandémie pour s’assurer de pouvoir obtenir toutes les pièces requises pour produire a été un défi et leur coordination l’est encore, a confirmé Jean Meredith.
« Ça prend juste un composant qui n’arrive pas et tu ne peux pas fabriquer ton produit. Les coûts de transport varient encore d’un mois à l’autre. Des fournisseurs peuvent encore arrêter de produire, notamment en raison de problèmes de coûts ou de main-d’œuvre. Il faut porter attention à leurs risques financiers, logistiques et technologiques. Tu ne peux pas attendre que ton fournisseur déclare faillite avant de commencer à en chercher un autre, parce que ça peut prendre 4-5 mois. Tu dois t’assurer de ne pas jamais arrêter ta propre production », a-t-il ajouté.
Diversification des exportations
La vigueur de l’économie des États-Unis, des fluctuations du taux de change ainsi que des barrières commerciales sous forme de tarifs et de taxes qui pourraient être adoptées aux États-Unis après la présidentielle de novembre font aussi partie des inquiétudes d’entreprises manufacturières qui exportent aux États-Unis. Sans oublier des blocages commerciaux décidés par les États-Unis qui ciblent des entreprises de la Chine, mais qui ont aussi des impacts indirects sur des entreprises du Canada.
Dans le scénario d’une nouvelle taxe sur les importations après l’élection présidentielle de novembre prochain, par exemple sur des produits en aluminium, Jean Meredith a mentionné qu’à court terme les clients des États-Unis paieraient la taxe, mais qu’ils pourraient à moyen ou à long terme changer de fournisseur si un prix devenait ainsi trop cher. Une hausse de prix pourrait aussi devoir survenir si le Canada répliquait avec sa propre taxe sur les intrants, par exemple sur l’importation d’aluminium extrudé.
Selon Louis J. Duhamel, dont le rôle de consultant externe en gestion l’amène à entendre les points de vue et les vécus sur le terrain d’entreprises manufacturières et de leurs regroupements, dans ce contexte exporter dans d’autres marchés que les États-Unis peut aider des entreprises installées ici à prospérer.
Rediriger une portion des ventes aux États-Unis de Raufoss vers d’autres pays serait possible, mais « pas beaucoup », selon Jean Meredith, en particulier vers la Chine, car « habituellement il y a quelqu’un qui peut y faire la même chose à moindre coût ».
Avoir des marchés diversifiés fait partie de l’ADN d’Exfo, une entreprise fondée par Germain Lamonde en 1985 et encore basée à Québec, qui fabrique et commercialise des équipements d’analyse, de surveillance et de tests de réseaux de télécommunications.
Selon son chef du marketing, Louis Adam, Exfo a été pensée et développée dès ses débuts comme une entreprise globale, autant pour son accès à des capacités manufacturières, des centres de recherche, des sources d’approvisionnement, des talents et des marchés, notamment en raison de sa quantité limitée de clients potentiels dans chaque pays, comme des opérateurs de réseaux, centres de données, géants du web et leurs sous-traitants.
« Ce n’était pas un modèle classique dans lequel on voit une entreprise faire affaire localement pour ensuite commencer à exporter. Nos technologies sont déjà assez standardisées. Nous n’avons pas besoin de les adapter à chacun des marchés pour pouvoir les déployer dans ces marchés. Dès le départ les États-Unis étaient un marché trop petit pour Exfo », a-t-il précisé.
La moitié des ventes d’Exfo sont désormais faites en Amérique du Nord, dont beaucoup aux États-Unis. « Nous ne sommes quand même pas à l’abri ni immunisés contre les barrières commerciales ». Cela dit, Exfo exporte aussi ses appareils et instruments dans 125 pays, dont des pays d’Europe, du Moyen-Orient et d’Asie. Ces marchés lui sourient quand le commerce aux États-Unis est plus coûteux ou moins accessible en raison de décisions politiques.
Cependant, la même diversification l’expose aussi à des risques liés à des tensions géopolitiques actuelles à travers le monde, notamment les tensions entre les États-Unis et la Chine, qu’il s’agisse de ses exportations ou de ses importations, par exemple de ses importations d’intrants technologiques produits en Chine.
Ces tensions génèrent aussi des lois et règles nationales sur lesquelles s’aligner, concernant les pays avec lesquels il est permis ou n’est pas permis de faire des affaires, a-t-il ajouté.
Pour atténuer les risques concernant les débouchés de ses propres capacités manufacturières à Shenzhen en Chine, Exfo a par exemple ouvert en plus une usine au Mexique.
Au niveau local, donc ici au Québec, Exfo mise en particulier sur des centres de recherche et développement en optique, par exemple avec l’Université Laval, de même que sur des capacités de développement logiciel et de produits de haute technologie et de haute vitesse. Son siège social se trouve encore à Québec.
Selon Louis J. Duhamel, en général très peu a été retenu de la pandémie pour que les manufacturiers puissent mieux atténuer ces risques et faire affaire autrement qu’en comptant sur la devise.
Par exemple, concernant les importations, il a déploré que des entreprises aient choisi la facilité en retournant vite « à la façon du début 2020, donc à l’approvisionnement juste à temps », et ce, tout en abandonnant des pratiques pandémiques de réserves d’intrants plus longtemps d’avance et en plus grandes quantités.
À son avis, l’attention portée à la substitution d’importations a aussi diminué et l’élan d’achat local « a disparu », de même qu’une « débrouillardise » collective via l’État qui avait mené à accompagner des entreprises dont ce n’était pas le cœur de métier à produire ici des biens devenus essentiels, comme des appareils respiratoires, des chemises d’hôpital et des masques.
Selon lui, « l’approvisionnement régional et local amenait des opportunités ici de fabriquer de manière économiquement viable des produits qu’on ne fabriquait pas avant ». Par contre, des produits, dont les conditions de production ne peuvent pas être égalées ici, comme le vin français, l’huile d’olive italienne et les véhicules électriques bon marché chinois devraient continuer d’être importés ou être autorisés à l’être, dans un vrai libre marché. « Il s’agit de trouver un équilibre », soutient-il. Reste à voir si les incertitudes actuelles liées au commerce international dans un monde « plus fermé » et dans lequel le protectionnisme est « affirmé » et les relations commerciales sont devenues « politisées », se faisant et se défaisant selon des axes et des alliances, seront perçues comme des occasions et raviveront un engouement de production ici et d’achat local.
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