Stéfane Marion, économiste et stratège en chef chez Banque Nationale du Canada Marchés financiers, était l’un des experts invités par le Cercle finance du Québec, le 16 janvier dernier à l’hôtel Plaza Québec. Avec la collaboration de l’Association des économistes québécois (ASDEQ), le Cercle tenait son évènement annuel pour présenter les prévisions économiques pour l’année à venir.
La discussion était animée par Clément Gignac, économiste en chef de l’assureur Industrielle Alliance. Y participait aussi François Dupuis, économiste en chef du Mouvement Desjardins.
Stéfane Marion rappelle que la chute de 10 % de la valeur des actions mondiales vécue en 2018 était la pire depuis la crise financière de 2008, où la baisse avait dépassé les 40 %.
L’incertitude géopolitique menace l’économie canadienne et l’économiste en tient désormais compte dans ses prévisions. « Et cette instabilité ne va pas s’estomper de sitôt », dit-il en parlant des conflits commerciaux lancés par l’administration Trump et de leur impact sur les entreprises exportatrices.
La glissade de l’indice PMI manufacturier selon Markit est notable depuis le quatrième trimestre de 2017. Le ralentissement manufacturier est encore plus marqué dans les marchés émergents. « Ces pays représentent désormais 60 % du PIB mondial, comparativement à 42% lors de la crise asiatique de 1998 », souligne-t-il. Le ralentissement de leur économie n’est pas une bonne nouvelle pour le commerce international.
En Chine, la production manufacturière a commencé à se contracter, mais le PIB augmente encore grâce au stimulus imposé par Beijing. La banque centrale chinoise a assoupli sa politique monétaire en autorisant pour les petites institutions financières à réduire la réserve obligatoire. « La croissance globale demeure au rendez-vous, mais elle est moins vigoureuse », ajoute M. Marion.
L’économiste se permet une pique envers le président des États-Unis à propos de sa théorie erronée voulant que les guerres commerciales soient faciles à gagner. Pour les entreprises inscrites à l’indice Standard’s & Poor 500, les ventes à l’étranger représentaient 44 % de leurs revenus totaux en 2017, précise M. Marion.
Le billet vert US est désormais 12 % plus élevé qu’en 2009 par rapport à un panier de 26 devises. La balance commerciale des échanges entre les USA et ses principaux partenaires, dont la Chine, est ainsi affectée négativement. L’imposition de tarifs sur les importations en provenance de la Chine ne ferait qu’empirer ce déficit commercial. « On tourne en rond. Les marchés espèrent qu’il y aura une trêve entre la Chine et les États-Unis, mais si les tarifs sont effectivement imposés sur des biens d’une valeur de 267 milliards de dollars (G$ US) en mars, l’impact sera très grand », dit-il.
Toujours aux États-Unis, le taux de chômage est à son plus bas depuis 48 ans, et cet environnement est normalement peu propice au protectionnisme. La fin de la récession remonte à 133 mois, ce qui en fait la plus longue période d’expansion économique aux États-Unis. Le cycle économique est entré dans sa phase mature en juin 2018, laquelle laisse normalement présager l’arrivée prochaine d’une récession.
La Réserve fédérale américaine (Fed) entend continuer de remonter graduellement les taux d’intérêt. La courbe de rendement du taux des obligations du Trésor US sur 10 ans est aplatie si on la compare au taux offert pour les obligations à court terme (trois mois). Cette courbe aplatie, jumelée à un marché boursier en baisse comme le voyait à la fin de 2018, provoque presque toujours une récession.
Il y a eu deux exceptions à cette règle, en 1966 et en 1988, où les États-Unis n’ont pas connu de récession malgré la combinaison de ces deux facteurs. M. Marion a bon espoir que cela sera encore le cas cette fois-ci, à cause de la vigueur du marché de l’emploi. Les agences de placement temporaire affichent encore des perspectives de croissance, souligne-t-il.
Entre le 24 décembre 2018 et le 15 janvier 2019, le billet vert a perdu de la valeur comparativement à 25 devises étrangères, rapporte Bloomberg. Un dollar américain trop vigoureux est un frein à la croissance de l’économie mondiale, indique M. Marion. Le taux d’inflation demeure plus bas que prévu, ce qui limite la nécessité d’augmenter le taux d’intérêt.
La pénurie de personnel représente un changement structurel important, selon Stéfane Marion. Près du quart de la population active américaine est composée de gens âgés de 55 ans et plus. Cette proportion est de 22 % au Canada. « C’est du jamais vu », dit-il.
Le taux de roulement est très bas chez ce groupe de travailleurs plus âgés, comparativement aux plus jeunes générations, et ils réclament de moins grandes augmentations salariales, ce qui limite le risque des pressions inflationnistes.
Marion a abordé la révolte des « Gilets Jaunes » qui secoue la France depuis quelques mois. Selon lui, les analyses médiatiques sur ce phénomène omettent souvent d’expliquer pourquoi les charges fiscales sont si élevées en France.
Au Canada, la population active représente 62 % de la population totale, tandis qu’en France, ce taux dépasse à peine 50 %. « Quand le ratio de la population active est inférieur à 55 %, c’est un problème. Il n’y a alors pas assez de contribuables pour financer le filet de sécurité sociale », précise-t-il.
Le marché du travail en France est parmi les plus sclérosés au monde, dit-il. Afin d’éviter que des troubles similaires surviennent ici, il faut favoriser le maintien à l’emploi des travailleurs plus âgés, insiste M. Marion. Par rapport à la moyenne des pays membres de l’OCDE, les Français prennent leur retraite cinq ans plus tôt.
Stéfane Marion estime que la Banque du Canada ne sera pas en mesure de hausser le taux préférentiel à 3 %, comme elle le ciblait encore il y a un an, à cause des nombreuses incertitudes de l’économie mondiale et de l’endettement élevé des ménages au pays.
« Parmi les pays du G7, le Canada est le pays le mieux doté en ressources naturelles. C’est pour cela que notre économie se porte bien », dit-il. L’exploitation responsable des ressources est selon lui un gage de succès à long terme. Si le Canada s’en prive, cela créera un clivage entre les régions et les grands centres urbains. Cela n’est jamais une bonne nouvelle pour un pays, conclut M. Marion.
Par Alain Castonguay