Valérie Parent, responsable du rayonnement de l’École de l’entrepreneurship de Beauce, agissait comme modératrice de cette conférence à laquelle participait également trois gestionnaires chevronnées : Manon Viel, directrice des ressources humaines de Métal Bernard; Steve Bussières, propriétaire de PMB (Produits métalliques Buissières) et Denis Bertrand, président et chef de la direction de RMC (René Matériaux Composites). Au fil de la conférence, les trois gestionnaires ont eu l’occasion de présenter à l’auditoire la méthode adoptée pour contrer la pénurie de main-d’œuvre.
Pour Valérie Parent, la rareté de la main-d’œuvre qualifiée et générale est ni plus ni moins que la conversation de l’heure dans tous les secteurs. « Dans un sens, une pénurie de la main-d’œuvre veut dire que ça va bien, que l’économie roule à plein régime. Au Québec actuellement, 2,6% des postes disponibles demeurent non comblés », dit-elle. « Mais une pénurie peut aussi être interprétée comme l’incapacité d’une société de subvenir à ses besoins. Considérant qu’il y a stagnation de la population active jusqu’en 2030, la situation ne se résorbera pas de sitôt! »
RMC a pris le virage de l’automatisation en 2004 en acquérant des anciens robots de l’usine de General Motors de Sainte-Thérèse, pour des activités de découpe et de perçage simplement pour améliorer la qualité de certaines pièces et la productivité des opérations. « C’est à partir de ce moment que nous avons entrepris d’analyser nos besoins en profondeur sur une base régulière », explique Denis Bertrand. « Nous avons eu recours au recrutement en Colombie pour combler des postes de façons ponctuelles en plus de faire appel aux étudiants l’été. En 2008, lorsque la crise économique a éclaté, les Colombiens sont retournés chez eux et c’est à ce moment que l’automatisation l’a emporté sur l’immigration chez nous. »
Dans certaines entreprises les emplois d’été offrent quelquefois des salaires de 20 $ à 25 $ de l’heure en ce moment au Québec et les jeunes s’habituent à une rémunération de cette envergure, selon Bertrand. En 2015, les robots collaboratifs suisses et italiens ont fait leur entrée chez RMC pour effectuer des tâches routinières et répétitives sans aucune valeur ajoutée. Un robot collaboratif, qui travaille côte à côte avec les humains, a chambardé quelque peu la chaîne d’approvisionnement. « Le robot est considéré comme un employé travaillant 24 heures par jour. Notre analyse nous a démontré qu’il y avait un problème au niveau du sablage et du collage qui pouvait être solutionné par des robots. Les robots remplacent de 30 à 40 employés, mais il nous reste encore 50 à 60 postes à combler », renchérit Denis Bertrand.
Chaque semaine, RMC accueille un autobus de personnes venant de Montréal afin de travailler dans l’usine beauceronne pendant la semaine, mais ce ne sont pas des gens qui veulent demeurer sur place pour un emploi à temps plein. « Nous aurons une nouvelle usine à Saint-Clothilde en 2010 dans laquelle nous aurons des robots plus petits. Les robots collaboratifs ont baissé de prix et sont maintenant disponibles à des coûts variant de 75 000 $ à 125 000 $. Il faut surtout s’assurer de ne pas aller trop vite et de bien comprendre chaque poste de travail avant de prendre des décisions. Les employés remplacés par des robots sont souvent déplacés vers des tâches à valeur ajoutée », de conclure Bertrand.
Spécialiste de la découpe au laser, du pliage, du roulage, de la soudure et de l’assemblage de métal en feuille membre du Groupe Mundial, Métal Bernard a regardé du côté de l’automatisation pour des pièces en gros volumes. Selon les dernières statistiques, la région de Québec-Chaudière Appalaches est la plus durement touchée par la pénurie au Québec avec 1,6 chauffeur par poste disponible. À Montréal c’est un peu plus de 2 chômeurs par emploi vacant et à la Laval on parle de 4 chômeurs par poste disponible. Pour Métal Bernard, de Saint-Lambert-de-Lauzon, la solution préconisée semble être l’immigration.
« Nous avons commencé par recruter une vingtaine d’employés en France et maintenant nous recrutons dans une dizaine de pays de la Francophonie », affirme Manon Viel. « Il y a 10 ans, nous avions de la difficulté à combler divers postes de ferblantier et c’est alors que nous avons commencé à regarder vers l’immigration ainsi que de la formation l’interne. Mais ne vous faites pas d’illusions, traiter avec le gouvernement n’est pas chose facile, ça peut même être plutôt compliqué. Il ne faut pas oublier que l’intégration est aussi importante que l’immigration. Nous voulons des employés qui veulent travailler chez nous à long terme et pour y arriver nous tentons de trouver des consultants qui s’y connaissent ainsi que sur nos propres employés. »
Moez Ghouila est un de ces employés qui a participé à un récent voyage en Tunisie, son pays natal, pour aider Métal Bernard à recruter quelque 20 nouveaux employés. « Je suis arrivé au Canada il y a de cela 5 ans et je sais très bien que ce n’est pas facile de s’adapter aux façons de faire ici. Lorsque je rencontre des candidats et des candidates, je dois m’assurer qu’ils sont vraiment intéressés à vivre au Canada et je dois anticiper les problèmes », dit-il. « Il est aussi important que je sois accompagné d’un visage québécois afin que les candidats saisissent bien les nuances et dépassent les barrières culturelles. »
Steve Bussières, de son côté, affirme que PMB a décidé de diminuer les besoins de recrutement en tentant de conserver des employés les plus rapidement possible : « Nous avons adopté la méthode de gestion connue sous le nom d’Entreprise libérée (forme organisationnelle dans laquelle les salariés sont totalement libres et responsables dans les actions qu’ils jugent bonnes – Freedom Form Company). C’est une gestion de la confiance comme point central de la prise de décision. Pensez-y, nous adoptons des règles pour 4% des employés alors que 96% fonctionnent sans aucune intervention. Nous alourdissons le système pour 4% des employés et nous créons des moutons. »
« Le nouveau système que nous avons implanté en janvier 2017 chez PMB élimine en quelque sorte la hiérarchie au sein de l’entreprise. Les employés doivent accepter la responsabilité de prouver qu’ils méritent un poste. Ce sont les membres de l’équipe qui prennent les décisions et qui acceptent, ou non, des contrats alors qu’ils participent au comité des ventes. Il n’y a plus aucun titre dans la boîte et un comité de village composé d’employés et d’anciens dirigeants, chapeaute le tout. C’est une nouvelle façon de faire qui a un impact sur le recrutement, qui est souvent réalisé par les employés et comprend un volet immigration. Il faut accepter que ce changement profond dans le style de gestion part de la tête », déclare Steve Bussières.
Bref, après les présentations, les panélistes ont répondu aux questions de l’auditoire avant de poursuivre les discussions en plus petit groupe. À la fin de cette conférence de la Banque Nationale du Canada, sans vraiment pouvoir déterminer quelle serait la meilleure solution pour eux, les participants avaient quand même de meilleures connaissances de trois pistes de solution.
Par Guy Hébert
Crédit photos: Les Productions Optimales