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Entre inquiétude et optimisme

La crise sanitaire de la COVID-19 est sans contredit inédite dans l’histoire, tant par son ampleur que par ses impacts. Mais au-delà des questions de santé publique, la pandémie a aussi créé de toutes pièces une crise économique. Si d’autres facteurs influencent inévitablement les perspectives pour 2021, il n’en demeure pas moins que la COVID-19 reste l’élément central des impacts actuels concrets et de l’imprévisibilité pour les mois à venir. Mais à travers ce brouillard, certains indicateurs se dessinent.

Tous ceux à qui nous avons parlé pour tenter de tracer un portrait de ce qui nous attend sont unanimes : l’élément clé de la reprise économique à venir, c’est la durée de la pandémie et des mesures de confinement qu’elle entraine.

« Les gens en sont au point où ils ont traversé une longue période difficile, mais ils voient la lumière au bout du tunnel », nous dit Stephen Tapp, économiste en chef adjoint à Exportation et développement Canada. « Ceux qui pensent que la situation ne durera pas beaucoup plus longtemps sont optimistes, alors que ceux qui croient que nous vivront cette crise pour un autre 12 mois sont plutôt pessimistes. »

EDC a publié en décembre les résultats de son sondage de fin d’année sur l’indice de confiance commerciale. Le premier constat, c’est que comparativement au sondage précédent publié à la fin du printemps 2020, la confiance des répondants au sondage a connu une solide remontée de 21 %. Mais lorsqu’on tient compte que cette confiance atteignait son niveau le plus bas des 20 dernières années, à 56, le nouvel indice de confiance de 67,5 reste un prix de consolation, à 3 % sous son niveau pré-pandémie. En fait, cette reprise de la confiance ne nous amène qu’aux niveaux de la confiance au lendemain du 11 septembre 2001, et légèrement au-dessus de l’indice de confiance lors de la crise de la dette européenne en 2012.

Avec les nouvelles mesures de confinement annoncées par Québec et d’autres provinces, ainsi qu’une baisse de certains indicateurs économiques aux États-Unis en fin 2020, Desjardins est retourné à sa calculatrice pour réviser ses prévisions économiques et financières. Le 21 janvier, Desjardins publiait ses prévisions révisées.

« Quand on intègre ces mesures, ça nous force à réviser à la baisse nos prévisions à court terme », explique Benoit Durocher, économiste principal chez Desjardins. « Par contre, c’est quand même temporaire. La campagne de vaccination est commencée, on se doute bien que ces mesures vont être levées un jour ou l’autre. Et avec la vaccination qui suit son cours, il y a lieu d’être optimiste pour la suite des choses. Mais à court terme, on est un petit peu plus négatif. »

Après une baisse du PIB réel canadien de 5,6 % en 2020, Desjardins prévoit une hausse de 3,5 % en 2021, et de 4,8 % en 2022. Pour le Québec, la baisse de 2020 s’est établie à 5,4 %, et les hausses prévues par Desjardins pour 2021 et 2022 sont respectivement de 3,4 et 4,2 %.

Un optimisme prudent

« À très court terme, on a donc dû réviser nos scénarios à la baisse, surtout au premier trimestre de 2021 », précise Benoit Durocher. « Mais la suite des choses est plus positive qu’on pensait. Il va y avoir du rattrapage, et en plus, la campagne de vaccination va bon train. On est quand même assez optimiste pour la suite des choses, pour le restant de l’année 2021. »

Stephen Tapp d’EDC souligne aussi que si certains indicateurs économiques se sont améliorés et stabilisés à l’automne, et si les marchés financiers affichent des niveaux records, l’emploi a baissé en décembre, tant au Canada qu’aux États-Unis.

« C’est vraiment difficile de juger si les pessimistes ont raison et si les autres sont trop optimistes. »

Chez Manufacturiers et Exportateurs du Québec, Véronique Proulx reste prudente dans ses prévisions, mais les membres de l’organisation semblent montrer un certain optimisme.

« Dans le secteur manufacturier au Québec, à la fin octobre, on était revenu à 95% du niveau d’emploi pré-pandémie. La plupart des manufacturiers ont rappelé une bonne partie de leurs travailleurs. C’est sûr que la subvention salariale du fédéral aide plusieurs entreprises présentement. Mais il y a quand même eu une certaine reprise des activités. Et on n’est toujours pas revenu au niveau pré-pandémie. »

Tous égaux devant la pandémie?

Charles Milliard de la Fédération des chambres de commerce du Québec souligne que les entreprises n’ont pas toutes été affectées de façon égale par la pandémie.

« Notre membership est très diversifié comparativement à d’autres organisations qui sont plus sectorielles. Nous avons des membres de tous les secteurs d’activité et toutes les régions. Globalement, selon les sondages qu’on a faits récemment, environ 20% des entreprises ont tiré un certain bénéfice de la pandémie. Ils veulent évidemment que la pandémie prenne fin, mais ils ont quand même pu améliorer leur sort. Pour les autres, il y a beaucoup de résignation, mais aussi de la détresse. »

À la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, qui regroupe majoritairement des petites PME et des entreprises du secteur des services, la situation est plus critique.

« Quand on regarde les données des entreprises qui sont ouvertes par rapport à leurs revenus au Québec, la situation est encore très précaire pour les PME. Et on est encore dans un 2e confinement », souligne François Vincent, vice-président pour le Québec à la FCEI.

Si le commerce des biens a connu une bonne reprise en V, du côté des services, la reprise se fait encore attendre.

Charles Milliard de la FCCQ estime que jusqu’à maintenant, le pire a été évité.

« Le nombre de faillites est beaucoup moins élevé qu’on aurait pu penser il y a 10 mois, mais c’est parce qu’il y a beaucoup d’entreprises qui sont maintenues en vie artificiellement, avec la subvention salariale, avec le compte d’urgence, avec l’aide pour les loyers commerciaux. »

Mais selon François Vincent de la FCEI, l’inquiétude est palpable, et les membres de l’organisation sont loin d’être optimistes pour les mois à venir. Lors d’un sondage effectué en novembre, 77 % des répondants se disaient préoccupés par les incertitudes liées à la 2e vague de la COVID-19, et 48 % par l’endettement de l’entreprise. Et au Québec, 30 % des répondants estimaient que leur entreprise ne survivrait pas si elle devait fermer une seconde fois.

Stephen Tapp de EDC estime lui aussi que l’impact sur les petites entreprises sera plus grand et qu’inévitablement, certaines devront fermer leurs portes.

Soutien gouvernemental : une nécessité

Autre réponse unanime, le soutien gouvernemental restera nécessaire jusqu’à ce que la reprise soit bien installée. Véronique Proulx de MEQ salue les efforts des deux paliers de gouvernement.

« L’aide fédérale a été essentielle et salutaire pour le secteur manufacturier, pour passer au travers de la crise. Maintenant, on entre en phase de reprise, de relance économique. Ça va être important pour nous de s’assurer que les sommes sont investies dans les bons secteurs et les bons leviers, pour assurer une reprise économique durable et structurante. »

Tout comme pour MEQ, la FCCQ et la FCEI s’accordent pour dire que le soutien de Québec doit maintenant prendre la forme d’une aide directe, et non de prêts.

« Les mesures au provincial sont principalement des mesures de prêt et garantie de prêt, alors qu’au fédéral, c’est beaucoup de l’aide directe », souligne Charles Milliard de la FCCQ. « Il faut absolument réduire le ratio d’endettement des entreprises. C’est pour ça qu’on plaide pour une augmentation de l’aide directe du gouvernement provincial. On n’a pas beaucoup d’écoute à ce niveau en ce moment. »

L’endettement des entreprises inquiète aussi François Vincent de la FCEI.

« Il va falloir que les entreprises soient capables d’assumer le remboursement des prêts qu’ils ont pris pour pallier une situation sur laquelle elles n’avaient aucun contrôle, parce que leurs affaires ont été ralenties par des décisions gouvernementales pour limiter la propagation du virus. Au Québec, l’endettement moyen des PME en raison de la pandémie dépasse les 100 000 $. C’est un enjeu qui sera important à prendre en considération par les différents paliers de gouvernement. »

Véronique Proulx de Manufacturiers et Exportateurs du Québec souhaite elle aussi voir des mesures plus directes de Québec.

« Je pense que le gouvernement du Québec aura l’opportunité lors du prochain budget d’en faire davantage en termes d’aide directe pour stimuler l’investissement manufacturier. Quand je parle d’aide directe, je parle de crédits d’impôt à l’investissement plus généreux, qui vont avoir un réel impact sur la décision d’investir d’une entreprise. »

Elle souligne que le secteur manufacturier au Québec s’est fortement diversifié au cours des dernières années, et que cette diversification lui permet d’être en meilleure posture pour faire face à la crise et entrevoir la relance. Véronique Proulx voit dans la relance à venir une occasion à ne pas manquer.

« De façon générale, ce qu’on voit au Québec, c’est notre retard de productivité. Il y a un retard au niveau de l’investissement et de l’intégration de nouvelles technologies. Je pense qu’il y a une opportunité pour les manufacturiers de profiter de cette crise pour revoir leur façon de faire, d’investir pour être dans une bonne posture au niveau de la relance. Mais en même temps, ça nous prend un appui des deux paliers de gouvernement pour être capable de donner cet élan-là. Les gens avec qui je parle sont assez unanimes, si les crédits d’impôt ne sont pas bonifiés, si les subventions ne sont pas généreuses sur des projets d’investissements qui visent à augmenter notre productivité, malheureusement le Québec manquer une belle opportunité. »

Commerce international

S’il y a un autre point sur lequel nos intervenants sont unanimes, c’est l’effet Biden, ou si vous préférez, l’effet « Post-Trump ».

« Le principal facteur de succès en affaires, c’est la prévisibilité », souligne Charles Milliard de la FCCQ. « Et le principal legs du président Trump, c’est l’imprévisibilité. Et même si les Démocrates ont une fâcheuse tendance au protectionnisme, ça va nécessairement être bon pour le climat d’affaires entre nos deux pays. »

Véronique Proulx de MEQ abonde dans le même sens.

« Avec les élections américaines et l’administration Biden qui se met en place, il va y avoir plus de prévisibilité dans les relations canado-américaines, et donc dans la planification qu’on peut faire de notre développement de marché aux États-Unis. C’est un gouvernement qui va être protectionniste, c’est faux de penser que les Démocrates ne sont pas protectionnistes. Mais il sera plus facile de prévoir comment on entrevoit notre développement de marché et notre plan de croissance sur ce marché, en connaissant les règles du jeu. »

Par ailleurs, selon EDC, le commerce international a repris plus rapidement que prévu après le premier confinement. Et largement plus rapidement que lors de la crise économique de 2009.

Mais si l’incertitude générée par l’imprévisibilité de Donald Trump est maintenant chose du passé, de fortes tensions demeurent dans nos relations avec notre deuxième principal client, la Chine, tant en raison de l’affaire d’extradition de la directrice financière de Huawei et des « deux Michael », des positions du Canada dans le dossier des Ouïghours, que de l’instabilité et du manque de transparence de la Chine dans le traitement des transactions internationales.

Nos exportateurs sont par ailleurs plus nombreux que jamais à chercher à percer d’autres marches, tant dans l’Asie du Sud-Est qu’en Europe. Selon EDC, 74% des entreprises sondées comptent exporter vers de nouveaux marchés internationaux au cours des prochaines années, et 28% prévoient investir à l’extérieur du Canada, deux chiffres record. Il pourrait s’agir, selon Stephen Tapp d’EDC, d’une réaction directe à l’incertitude sur les marchés américains et chinois.

Mais tant à l’échelle nationale que du côté des échanges mondiaux, un fait demeure : tant que la pandémie ne sera pas sous contrôle, toute relance restera utopique.

Par Claude Boucher

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