L’économie est en perpétuel changement et il faut être rapide pour saisir les occasions d’affaires lorsqu’elles se présentent. La pandémie de COVID-19 n’a fait qu’exacerber ce sentiment d’urgence, tout en forçant des changements de paradigmes qui nous ont menés à cette nouvelle normalité. Quels sont les grands projets d’investissement les plus susceptibles de bénéficier à notre secteur industriel? Nous en discutons avec des observateurs aguerris.
Président de la firme d’analyse économique E&B Data et conférencier émérite, Jean Matuszewski se spécialise dans le suivi d’investissements au Canada depuis plus de 20 ans. L’historique des données lui permet de mener des analyses prospectives et d’envisager l’investissement comme élément précurseur de l’économie de demain.
En entrevue au Magazine MCI, il déclare surveiller de près les grands projets d’immobilisations. « Les indicateurs qu’on surveille sont davantage orientés vers ce qui se passe à l’extérieur et qui peut avoir des influences sur le Canada ou le Québec », dit-il.
Parce que les économies ouvertes que nous sommes demeurent toujours ouvertes aux possibilités d’exportations et le secteur des infrastructures semble prometteur à cet égard.
Parce qu’au sud de nos frontières, « Les États-Unis ont un déficit d’infrastructures très bien documenté », observe M. Matuszewski, selon qui l’éventualité de l’élection des démocrates et de la mise en place de leur programme d’infrastructures de 1 500 milliards de dollars pourrait représenter des occasions d’affaires pour nos entreprises, puisque les firmes américaines ne suffiraient pas à la tâche.
« S’il y a de tels programmes massifs qui se mettent sur pied juste de l’autre côté de la frontière, ça peut augurer d’un autre cycle industriel très porteur au cours des 10 à 15 prochaines années », estime-t-il.
Et dans la nouvelle économie du savoir, lorsqu’il est question d’infrastructures, on ne parle pas que de routes, de ponts et autres ouvrages bétonnés. Le plan démocrate prévoit par exemple le développement de l’infrastructure Internet à haut débit aux États-Unis.
Ce dossier fait vivement réagir Charles Milliard, président-directeur de la Fédération des Chambres de commerce du Québec (FCCQ). Parce que, malgré les récentes annonces du gouvernement Legault, l’Internet haute vitesse n’est toujours pas présent sur l’ensemble du territoire québécois, ce qui nuit à la compétitivité de nombreuses entreprises industrielles.
La situation est particulièrement délicate en cette ère de télétravail où la gestion de lourdes masses de données est nécessaire à domicile autant qu’en usine.
« Ça n’a aucun sens. On est en 2020, on est un pays du G7 et on n’est pas capables de faire des “zooms” sur le territoire québécois. C’est quand même une aberration que dans certaines régions, encore aujourd’hui, on n’ait pas accès à Internet haute vitesse », clame-t-il.
Décarbonisation, valorisation et transformation
Chose certaine selon M. Matuszewski, tout ce qui se rapporte de près ou de loin à la décarbonisation de l’économie est promis à un bel avenir. Il en veut pour preuve le taux de survie des investissements annoncés avant la pandémie. « Les projets dans le domaine environnemental continuent d’aller de l’avant », dit-il.
La production d’énergie non fossile et les transports collectifs ont particulièrement le vent dans les voiles, estime le président d’E&B Data. « La somme de ces deux types de projets nous fait atteindre près de 40 % de la valeur de tous les projets », dit-il.
« La valeur des projets qui sont liés à la décarbonisation dépasse les projets liés aux énergies fossiles, » ajoute-il pour illustrer son propos. On pense ici à des projets comme le REM mais il y a des équivalents partout au Canada auxquels peuvent participer des industries d’ici, croit-il. Rien que la liste d’épicerie de Metrolinx, l’autorité des transports en commun du grand Toronto, oscille autour des 20 milliards.
« C’est vraiment le plus grand bloc d’opportunités, je crois, pour des entreprises québécoises, desservir des marchés hors Québec dans le domaine des infrastructures de transport. C’est vraiment ça qui est le plus actif, le plus massif actuellement », déclare M. Matuszewski.
Charles Milliard croit lui aussi que le marché intra-canadien est porteur pour les entreprises québécoises. Ce serait pour elles une manière de diminuer leur dépendance au marché américain, vers lequel se dirigent bon an mal an 70 % de leurs exportations (voir le dossier import/export de notre collègue Claude Boucher dans ce numéro).
« Je suis convaincu que l’accord de circulation des biens et des services au Canada est sous-utilisé. Des fois on regarde loin alors que le profit est peut-être seulement à quelques heures de voiture ou de train », indique le patron de la FCCQ.
Il note au passage qu’il existe maintenant des bureaux du Québec dans différentes provinces canadiennes afin de raffiner l’accord de libre-échange canadien, un peu sur le modèle des délégations à l’étranger.
Voilà une excellente initiative, abonde Jean Matuszewski. « Les opportunités sont suffisamment majeures pour justifier parfois des antennes, des présences hors Québec pour être mieux en mesure de répondre à ces opportunités », dit-il au sujet du reste du Canada.
M. Milliard estime d’autre part que la construction et l’aménagement d’entrepôts et autres types d’équipements liés au commerce électronique est à surveiller, cette façon de faire des emplettes ayant explosé depuis le début de la pandémie.
Et bien qu’il embrasse ces avancées technologiques, M. Milliard juge que « Les projets de développement du secteur primaire au Québec sont encore une force économique importante. »
La clé, selon son collègue Louis Lyonnais, conseiller en matière de stratégie et affaires économiques à la FCCQ, est de valoriser ici-même les matières extraites du sol. « Il ne s’agit pas seulement d’extraire les ressources, il faut ensuite leur donner une deuxième, troisième transformation pour faire travailler aussi les gens sur le territoire du Québec », dit-il.
Encore faut-il avoir accès à ce territoire, renchérit M. Milliard, selon qui le gouvernement québécois devrait « mettre des billes » dans le transport aérien régional. « On ne peut pas relancer une région si on ne peut pas y accéder autrement qu’à pied ou en voiture », constate-t-il.
Le dirigeant de la FCCQ semble par ailleurs apprécier la clarté du « terrain de jeu » économique d’ici. « Ce que j’aime dans la situation économique du Québec, c’est que le ministère des Finances a donné une direction sur le retour à une certaine normalité. »
MM. Milliard et Lyonnais appuient également l’esprit du projet de loi 61 visant à alléger les processus menant à la matérialisation des projets d’investissement, tout en respectant les règles actuelles. Il cite notamment les secteurs miner et gazier où plusieurs projets sont en attente, dit-il.
« C’est encore très compliqué, les entreprises ont l’impression de refaire les mêmes étapes 50 fois », plaide son collègue Lyonnais, selon qui la situation est d’autant plus problématique qu’il s’agit souvent de projets à haut risque et à long terme et où le Québec est en compétition directe avec l’international.
Cela dit, l’avenir pourrait fort bien appartenir aux plus résilients selon Charles Milliard. « À chaque crise économique, il y a des opportunités intéressantes pour les joueurs qui sont encore debout », conclut-il.
Par Eric Bérard