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Apr

Nourrir l’économie en se tournant vers la modernisation

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Dossier de la transformation alimentaire

Sur toutes les tribunes, les experts en nutrition nous conseillent de manger moins d’aliments transformés, les associant plus ou moins à de la malbouffe. Du même souffle, on vantera les vertus santé de l’huile d’olive en cuisine… qui est pourtant un exemple parfait d’aliment transformé.

« Transformation alimentaire veut dire “tout aliment dont on a modifié l’apparence de départ”. Alors des carottes en sac, c’est un aliment transformé », déclare Sylvie Cloutier, présidente-directrice générale du Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ) à l’occasion d’une entrevue au Magazine MCI.

Même le tofu le plus santé est un aliment transformé en usine. « Un bloc de soya bio a eu 12 étapes de transformation avant qu’il sorte dans la boîte à l’autre bout », souligne-t-elle.

Cela illustre bien à quel point la transformation alimentaire est présente partout dans nos vies et représente le premier secteur manufacturier en importance au Québec, avec ses 70 000 emplois directs, 100 000 emplois indirects et des livraisons annuelles de plus de 30 milliards $.

Lorsqu’on lui demande en quoi diffère une usine de transformation alimentaire de celle d’un autre secteur industriel, Mme Cloutier a cette réponse toute simple : « On gère du vivant. » Et la manipulation d’aliments frais vient avec tout un lot de normes et de réglementations strictes, qui touchent tous les équipements à l’intérieur des usines, jusqu’aux emballages.

« Tout doit être certifié, tout doit être conforme aux standards de l’industrie agroalimentaire parce qu’on ne traite pas un morceau de bois ou un morceau de métal comme on traite un produit qui est consommé par l’humain », souligne Mme Cloutier.

Il suffit de consulter la section du site Web de Santé Canada dédiée aux transformateurs alimentaires pour constater le sérieux de la démarche. Vous désirez utiliser un lubrifiant pour vos machines? Vous devez absolument limiter votre liste de fournisseurs à ceux identifiés sur le site et aux numéros de modèles spécifiés. Même chose pour le type de revêtement des courroies de convoyeurs qui doivent aussi être de grade alimentaire.

Ces normes strictes s’appliquent aussi aux travailleurs, qui doivent recevoir des formations supplémentaires en matière de salubrité. Ça représente des coûts et des embûches de recrutement supplémentaires, dans un contexte où la main-d’œuvre se fait rare.

Montrer patte blanche

On n’entre pas et ne sort pas d’une usine alimentaire comme d’un moulin. Il y a ce qu’on appelle des « chambres blanches » qui sont des espèces de zones tampons, ou des sas, où les employés se lavent les mains, revêtent leurs habits spéciaux, passent leurs bottes dans des produits désinfectants avant d’entrer, enfilent des gants, etc.

La pandémie de COVID-19 est venue compliquer encore davantage les choses pour les gestionnaires de personnel des usines de transformation alimentaire, souligne la présidente de la CTAQ. Avec une distanciation accrue entre les employés, moins de gens peuvent travailler en même temps dans un espace donné.

« Plusieurs ont ajouté des quarts de travail pour faire en sorte de distancier les travailleurs et ont dû ajouter des stations de désinfection, ajouter des plexiglas », dit Mme Cloutier pour expliquer comment certaines lignes de production ont dû être modifiées.

Chérie, passe-moi le 50 livres de farine

La pandémie a aussi eu des effets inattendus sur la chaîne d’approvisionnement de tout le secteur. Les usines qui fournissent les restaurants, les hôtels ou les cafétérias d’écoles ne leur livrent pas les aliments dans les mêmes formats que ceux destinés aux tablettes d’épicerie.

À titre d’exemple, le beurre que l’on achète à la livre est souvent livré en emballages de 100 kilos aux établissements commerciaux ou institutionnels. « Ce sont les mêmes produits, mais qui sont packagés autrement », indique la présidente du CTAQ.

Alors il a fallu s’adapter lorsque ces secteurs ont été fermés à différents moments et que les gens n’ont eu d’autre choix que de cuisiner davantage à la maison. La folie furieuse de la fabrication de pain maison a donné lieu à des épisodes cocasses lorsque la farine et la levure sont devenues quasi introuvables et que des fournisseurs qui ne vendent habituellement pas au détail ont pris le relais. « On a retrouvé des poches de farine de 50 livres dans nos épiceries », se remémore Mme Cloutier.

D’autre part, on a découvert que les gens ne mangent pas nécessairement la même chose qu’au restaurant lorsqu’ils doivent eux-mêmes faire la cuisine. Le poulet par exemple ne s’est pas vendu autant. Idem pour des produits comme le veau ou le canard, qui sont davantage valorisés en restaurant qu’en épicerie. « Il y a certains secteurs d’activité qui se sont retrouvés avec des surplus », explique Mme Cloutier.

Les coûts associés à ces chamboulements dans la gestion des ressources humaines et de la chaîne d’approvisionnement seront-ils refilés aux consommateurs? « À court terme, non parce qu’on ne peut simplement décider du jour au lendemain qu’on augmente nos prix », dit Mme Cloutier, expliquant que les transformateurs sont liés par contrats à leurs distributeurs.

Mais à moyen et long terme, on pourrait tous devoir payer un peu plus pour notre panier d’épicerie. « C’est sûr et certain qu’il va y avoir des transferts de coûts vers les consommateurs éventuellement, à moins qu’on se rattrape dans cette deuxième vague-ci en termes de revenus nets », prédit la PDG du regroupement de transformateurs.

Achat local et gaspillage

Cela dit, la pandémie a aussi eu des effets positifs, notamment la mise en valeur de l’achat local et du travail des agriculteurs d’ici. L’industrie de la transformation alimentaire n’avait cependant pas attendu cet effet de mode puisque, bon an mal an, elle achète 70% de tout ce qui pousse ou est élevé au Québec. La proportion atteint presque 100% pour les produits de la mer, selon la présidente du CTAQ.

« On a une production au Canada qui est en fonction de notre climat et on maximise tout ce qu’on est capables d’aller chercher ici », dit-elle. Parce que les olives de notre huile ne sont pas cultivées chez nous, pas plus que les épices que nous consommons ou certains fruits et légumes en période hivernale.

Le premier ministre François Legault a bien fait un appel à l’intensification de la production maraîchère en serres, mais Mme Cloutier croit qu’il est peu probable que cela puisse avoir un impact significatif. « Il y a des serres au Québec et c’est très bien, mais je ne crois pas que ça approvisionne 1% de nos besoins en termes de fruits et de légumes frais à l’année », dit-elle.

Le grand public est aussi devenu de plus en plus sensibilisé au fléau du gaspillage alimentaire, alors que, là aussi, les transformateurs avaient déjà pris les devants. « On est un des secteurs qui gaspille le moins. À peu près tous les rejets des usines sont transformés en autre chose », indique Mme Cloutier, faisant notamment référence aux fruits et légumes qui ne répondent pas aux canons de beauté des étals de produits frais et qui sont utilisés dans la transformation alimentaire, pour en faire des jus ou des sauces par exemple.

L’organisme d’économie circulaire Loop s’est même lancé dans la distillation de gin fabriqué à partir des retailles de pommes de terre d’une usine de croustilles.

Cap sur l’automatisation

Lorsqu’elle regarde l’horizon pour son industrie, Sylvie Cloutier y voit essentiellement le manque de main-d’œuvre. « C’est l’enjeu numéro un depuis plusieurs années », dit-elle.

Pour remédier à la situation, les transformateurs travaillent sur deux fronts à la fois. Dans un premier temps, la collaboration avec les intervenants locaux et régionaux. « Il ne faut pas oublier que la grande partie de la transformation alimentaire, c’est en région. Ce n’est pas dans le centre-ville de Montréal », dit-elle pour illustrer l’importance de travailler avec les municipalités pour attirer de la main-d’œuvre en région.

Il faudra aussi automatiser et robotiser davantage les opérations de transformation alimentaire pour en accroître la productivité et la rendre moins dépendante d’un bassin de main-d’œuvre sans cesse décroissant.

Cette automatisation exige des investissements, mais des acteurs ont déjà levé la main pour fournir des capitaux.

Mme Cloutier cite un programme en ce sens récemment bonifié par le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) André Lamontagne. Le ministère de l’Économie et de l’Innovation, Investissement Québec, La Financière agricole du Québec ou Financement agricole Canada, ainsi que des institutions financières plus traditionnelles telles que Desjardins ou la Banque Nationale pourraient aussi contribuer au financement de ce virage numérique, estime la porte-parole des transformateurs alimentaires.

Ce virage vers la productivité et la rentabilité des usines de transformation est d’autant plus crucial qu’il a un impact direct sur toute la filière agroalimentaire, qui se bat sur un marché de plus en plus mondialisé.

« La “can” de petits pois du Québec doit être de meilleure qualité que la “can” de pois importée et doit se retrouver sur la tablette à un prix équivalent », martèle Mme Cloutier.

Par Eric Bérard

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