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Maximiser les leviers stratégiques pour la croissance de l’entreprise

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Commercialisation et propriété intellectuelle

Au cœur de la stratégie d’affaires de toute entreprise, on retrouve une stratégie de propriété intellectuelle (« PI ») liée à la valorisation de ses technologies, de son expertise et de sa réputation, ceci afin de maximiser la commercialisation de produits à l’international. À une ère où toutes les entreprises effectuent un virage numérique important, et vu l’environnement technologique en mouvance, il devient encore plus critique de s’assurer de détenir une forte stratégie de propriété intellectuelle adaptée à la situation de l’entreprise et à ses projets de croissance.

Ainsi, le présent article se veut un survol des principaux enjeux stratégiques liés à (1) la création d’une stratégie de propriété intellectuelle, (2) la commercialisation des produits à l’étranger, (3) la valorisation de l’entreprise par la PI et (4) le virage vers le numérique en milieu industriel et manufacturier.

1- Établir une stratégie de PI adaptée

Il n’existe pas de stratégie de PI qui soit universellement applicable, tout comme il n’existe pas de stratégie d’affaires applicable à toutes les entreprises. Une stratégie de PI doit être parfaitement alignée avec les objectifs d’affaires de l’entreprise. Par conséquent, les stratégies à préconiser sont intimement liées à certains facteurs externes tels que le secteur d’activité de l’entreprise, le marché, les compétiteurs, le financement ou les transactions éventuelles. Elles ne peuvent donc être fondées sur un modèle générique et doivent plutôt, de par l’évolution constante des conditions du marché, être relativement flexibles afin que chaque entreprise puisse réajuster sa stratégie régulièrement.

Afin d’établir une telle stratégie de PI pour l’entreprise, l’évaluation de son portfolio actuel de PI est une étape primordiale, car elle permet de comprendre les actifs détenus en plus de permettre d’évaluer la possibilité de les utiliser de manière plus optimale ou d’en acquérir davantage. À vrai dire, ce type de stratégie permet d’aider l’entreprise à bien se positionner dans le marché souhaité. C’est pourquoi la stratégie de PI doit inclure tous les actifs de PI plus classiques, tels que les brevets, les marques de commerce, les dessins industriels et les droits d’auteurs, mais aussi tout ce qui touche de près ou de loin à la gestion des données collectées et à l’utilisation de logiciels.

Par ailleurs, un objectif stratégique particulier pour l’entreprise, comme la commercialisation sur un nouveau marché, amènera assurément un réalignement de la stratégie de PI afin de tenir compte de ce nouvel objectif. Rappelons-le, la flexibilité d’une stratégie est primordiale.

2- La commercialisation des produits à l’étranger en utilisant la PI comme levier

Lorsque la commercialisation des produits à l’étranger est envisagée, l’influence que peut avoir la PI est souvent sous-estimée. En effet, celle-ci peut donner à une entreprise un avantage considérable en servant de levier stratégique ou de barrière à l’entrée pour les compétiteurs.

2.1 – Les brevets et dessins industriels

Dans le monde industriel et manufacturier, comme il s’agit d’un des actifs stratégiques les plus puissants en matière de PI, les brevets sont, à juste titre, omniprésents. Il faut toutefois se rappeler que la protection qu’offre le brevet se limite au pays dans lequel il est délivré. Ainsi, lorsqu’une entreprise souhaite commercialiser un produit pour lequel elle détient un brevet dans un pays donné, celle-ci, de par l’exclusivité du brevet, est grandement avantagée face aux compétiteurs. Par ailleurs, l’entreprise elle-même devient plus intéressante pour des investisseurs ou acquéreurs potentiels qui, par exemple, verraient dans le brevet un actif stratégique lui donnant de la valeur comme cible d’acquisition.

Avant de divulguer publiquement l’invention et de la commercialiser, que ce soit au Canada ou à l’étranger, il sera important de se poser certaines questions, notamment celle à savoir si la technologie est potentiellement brevetable. Une recherche en brevetabilité permettra d’établir ce potentiel. Ensuite, par la mise en place d’une stratégie alliant un premier dépôt (souvent le dépôt d’une demande de brevet provisoire aux États-Unis, donnant 12 mois pour déposer une demande dite « régulière »), puis par le dépôt d’une demande en vertu de traités internationaux (dont le Traité de coopération en matière de brevets (« PCT »)), une entreprise pourra gagner jusqu’à 30 mois avant de sélectionner les pays où elle souhaiterait ultimement détenir un brevet. Il s’agit d’une période hautement stratégique pour tenter de conquérir de nouveaux marchés tout en permettant de garder la porte ouverte à l’obtention d’un brevet dans de multiples pays, de même qu’à l’accueil de nouveaux investisseurs ou partenaires stratégiques afin d’aider à financer le processus d’enregistrement.

Par ailleurs, dès le dépôt d’une demande de brevet, il sera possible pour l’entreprise d’utiliser toute la puissance stratégique de l’expression « patent pending / brevet en instance », qui permet de gagner de la crédibilité tout en conférant une aura de nouveauté encore plus intéressante à toute innovation. Non seulement les partenaires commerciaux de l’entreprise seront plus intéressés par l’innovation, mais les concurrents seront, eux, sur leurs gardes pour ne pas entrer en contrefaçon du brevet éventuel. Cet avantage stratégique est d’autant plus intéressant que la demande de brevet ne deviendra publique que 18 mois suivant son dépôt, donnant ainsi une longueur d’avance à l’entreprise sur ses concurrents, qui risquent d’être plus frileux à l’idée de concurrencer directement l’entreprise.

Il convient de garder en tête que la commercialisation dans un nouveau pays peut aussi apporter sa dose de risques, notamment à savoir si le produit n’entre pas en contrefaçon un brevet existant dans ce pays. Afin de valider l’existence de tels brevets problématiques dans une juridiction donnée, il est recommandé d’effectuer une recherche en liberté d’exploitation (aussi connue sous « Freedom to operate » ou « FTO »).

Il ne faut pas non plus oublier les dessins industriels, lesquels protègent l’aspect visuel ou esthétique d’un produit. Notons qu’il est également possible d’enregistrer un dessin industriel pour l’interface d’un logiciel. Ces protections, moins couteuses et plus rapides à obtenir qu’un brevet, sont des outils stratégiques dont la force est sous-estimée. Les entreprises ne doivent pas hésiter à en tirer profit afin de maximiser la valorisation d’un portfolio de PI bien diversifié.

2.2 – Les marques de commerce

Lors de la commercialisation dans un nouveau marché, il est primordial de ne pas oublier la question des marques de commerce. Par exemple, même si les marques d’une entreprise sont déjà enregistrées au Canada, cela ne signifie pas que la commercialisation des produits aux États-Unis pourra se faire sous les mêmes marques de commerce. En effet, la portée des enregistrements de marques de commerce est nationale, ce qui signifie qu’avant d’entrer dans un autre marché, il faudra d’abord (1) valider la disponibilité de la marque de commerce pour l’enregistrement et (2) débuter rapidement les procédures d’enregistrement de la marque dans ce pays pour cristalliser les droits de l’entreprise et éviter les pépins futurs.

On doit donc ainsi s’assurer qu’il n’existe pas d’autres marques similaires pouvant potentiellement faire obstacle à l’emploi de la marque sur le marché en question. Cette démarche permettra aussi d’éviter tout risque de litige au moment où l’entreprise est en pleine campagne de commercialisation pour se faire connaître. On retiendra donc que ce qui fonctionne au Canada n’est pas synonyme de succès à l’étranger.

2.3 – La collecte et l’utilisation de données dans d’autres juridictions

Afin de ne pas commettre d’impairs importants lors de l’entrée dans un nouveau pays, notamment avec un produit connecté (« IoT »), il est impératif de valider le contexte législatif applicable en matière de gestion des données personnelles. En effet, dans les dernières années, plusieurs changements d’importance dans le secteur ont fait en sorte que les obligations des entreprises quant à la protection des données personnelles se sont considérablement resserrées dans différentes juridictions. À ce titre, l’Union européenne s’est dotée de la loi la plus sévère en matière de protection des renseignements personnels, soit le Règlement général sur la protection des données (« RGPD »). Ayant une portée extraterritoriale, le RGPD prévoit notamment de nombreux droits aux utilisateurs, tels que le droit à la portabilité des données ou le droit à l’oubli, ainsi que des amendes très élevées en cas de violation. Depuis son entrée en vigueur, le RGPD sert de modèle à diverses législations à travers le monde, dont le California Consumer Privacy Act (« CCPA »), adopté récemment en Californie. Bien que ne visant que les entreprises établies en Californie et œuvrant principalement dans le domaine de la vente de données, le CCPA confère, tout comme le RGPD, une série de droits aux utilisateurs, forçant les entreprises à agir dans un cadre considérablement plus restreint.

Outre le contexte international, les entreprises québécoises doivent aussi savoir que le projet de loi 64, présentement à l’étude, risque d’intégrer au Québec un cadre législatif très similaire à celui du RGPD en Europe. Ce projet de loi prévoit notamment la mise en place de nouveaux droits pour les utilisateurs, l’obligation de l’instauration de programmes de gestion de la vie privée, ainsi que la possibilité d’amendes pouvant aller jusqu’à 10 millions de dollars ou 2 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.

La validation de la conformité à ces aspects dans un nouveau marché pourra éviter bien des maux de tête à l’entreprise et surtout lui permettre de valoriser plus rapidement les données collectées, que ce soit pour tirer profit de technologies comme l’intelligence artificielle ou pour détenir de l’information stratégique sur le marché.

3- La valorisation de l’entreprise par ses actifs de PI

Voilà un aspect primordial de la PI qui est souvent oublié : la valorisation de ses actifs intangibles pour donner de la valeur à l’entreprise elle-même. À ce sujet, une étude de la firme américaine Ocean Tomo a révélé en 2015 que les actifs dits « intangibles », dont fait partie la PI, composaient 84 % de la valeur des entreprises cotées à l’indice S&P 500[1]. En juillet dernier, la firme a révisé son étude pour l’année 2020 afin de tenir compte de l’impact de la pandémie, et a évalué que les actifs intangibles composent dorénavant 90 % de la valeur des entreprises cotées à l’indice S&P 500. Ainsi, plus que la valeur des immeubles, de la machinerie et des équipements, celle de la PI joue un rôle central dans la valeur globale d’une entreprise, surtout dans une ère ou l’évolution rapide des technologies affecte la position des entreprises dans leur marché respectif.

Ainsi, que ce soit en vue de l’obtention de financement ou dans le cadre d’une transaction, l’importance stratégique des actifs de PI occupe désormais un rôle prédominant. En fait, de plus en plus d’institutions financières et d’investisseurs en capital de risque considèrent le fait de financer sur la base exclusive de droits de PI. Cela est évidemment en partie dû à la valeur considérable de certains actifs. À titre d’exemple, le magazine Forbes évalue la valeur de la marque Apple à plus de 241 milliards de dollars américains[2]. De plus, le portfolio de brevets de l’entreprise Nortel a été vendu, suite à sa faillite, pour 4,5 milliards de dollars américains, soit une valeur plus élevée que celle de l’entreprise alors qu’elle opérait[3]. À plus petite échelle, le fait pour une entreprise de détenir des actifs de PI enregistrés contribue aussi à augmenter sa valeur, laquelle variera selon l’impact stratégique de ces actifs dans un marché ou dans un autre.

4- Les éléments de PI à considérer pour un virage vers le numérique et l’industrie 4.0

Avant même la pandémie de COVID-19, le virage numérique vers l’industrie 4.0 était une priorité pour un grand nombre d’entreprises. Cela étant, la pandémie n’a fait qu’accélérer cette tendance. Ce virage n’est cependant pas sans obstacle, et un bon nombre de considérations juridiques doivent être prises en compte afin de bien entamer ou poursuivre cette transformation.

À cet égard, un des points les plus importants pour tout développement de nouvelles plateformes logicielles a trait à la propriété des droits de PI sur ces nouveaux développements. En effet, si une entreprise vise le développement d’un site web, d’une application ou de tout logiciel spécifique à ses besoins, elle devra s’assurer d’obtenir une cession des droits sur les développements spécifiques faits pour elle par un fournisseur.

Ce point important est souvent mal compris dans le marché : même si l’entreprise paie pour les services du fournisseur, ce dernier conservera la propriété des droits de PI sur les développements effectués, à moins d’obtenir une cession par écrit de sa part sur ces droits. Ainsi, il est critique de faire des validations dans les documents de soumission, d’offre de service, de contrats de service et autres que les droits de PI sont bien cédés à l’entreprise. Ceci permettra d’éviter tout conflit au moment de changer de fournisseur, de mettre à jour le logiciel ou de procéder à une transaction ou à un financement. En effet, dans ces situations, des vérifications seront faites pour déterminer la propriété des logiciels clés de l’entreprise. En cas de flou ou de problème sur ces questions, une transaction pourrait avorter ou encore être affectée négativement en ce qui a trait à la valeur de l’entreprise.

Heureusement, par l’effet de la loi, les droits de PI sur des développements faits par des employés internes de l’entreprise dans le cadre de leur travail sont, eux, automatiquement cédés à l’entreprise. Il est toutefois recommandé de confirmer le tout avec plus de précision dans le contrat d’emploi signé par les employés, afin d’éviter tout flou entourant la nature de leur travail et, vu le contexte changeant du télétravail, ce qui pourrait être réalisé à l’extérieur des heures de travail.

Par ailleurs, de plus en plus d’entreprises font appel, dans le cadre du développement de solutions numériques, à des logiciels ou modules sous licences dites « libres », plus communément appelées Open Source (« OS »). Bien que cela offre un avantage significatif pour le développement plus rapide et moins couteux de solutions numériques, les entreprises sont toutefois soumises aux conditions prévues dans les licences OS et qui peuvent, selon le cas, avoir des conséquences négatives mal comprises. Certaines licences plus « contaminantes », dont les licences GPL, pourraient par exemple obliger l’entreprise, dans certains cas, à redistribuer publiquement le code source de sa plateforme qui intègre du code sous cette licence. Ce genre de situation peut encore une fois affecter très négativement une transaction ou un financement. Il est donc impératif d’être proactifs et d’effectuer en amont les validations concernant les licences incorporées dans les actifs logiciels de l’entreprise, afin d’éviter toute mauvaise surprise à un stade critique de la vie de l’entreprise, comme un financement ou une transaction. Toutes les licences OS ne sont pas problématiques. La création d’actifs logiciels ayant une grande valeur stratégique, il convient plutôt d’être prudent et de mettre en place de bonnes politiques internes ou avec les fournisseurs concernant leur utilisation.

5- Conclusion

En résumé, la commercialisation et les actifs de PI sont deux sujets qui sont intimement liés. Que ce soit au niveau stratégique, pour la diversification des activités, pour la valorisation de l’entreprise en vue de financement ou de transactions, ou pour s’adapter au marché changeant, les droits de PI sont des actifs d’importance qui ne peuvent être sous-estimés et ignorés. Compte tenu du contexte mondial actuel, il est maintenant temps plus que jamais de miser sur ces actifs intangibles afin d’explorer et d’exploiter les opportunités offertes et diversifier ses activités commerciales. C’est en tirant profit de ces actifs stratégiques que nos entreprises québécoises et canadiennes pourront tirer leur épingle du jeu dans un contexte économique mondial.

[1] Ocean Tomo, «Intangible Asset Market Value Study», oceantomo.com, en ligne : <https://www.oceantomo.com/intangible-asset-market-value-study/>.

[2] Forbes, «The World’s Most Valuable Brands: 2020 Ranking», Forbes.com, en ligne : <https://www.forbes.com/powerful-brands/list/>.

[3] Marie-Pierre FRAPPIER, « Faillite de Nortel il y a 10 ans : “La fin d’un symbole” », Les Affaires, 14 janvier 2019, en ligne : <https://www.lesaffaires.com/dossier/les-affaires-fete-ses-90-ans/faillite-de-nortel-il-y-a-10-ans-la-fin-d-un-symbole-media-histoire-presse-techno/607499>.

Par Vincent Bergeron, Associé, avocat et agent de marques de commerce et Élisabeth-Lesage-Bigras, avocate – ROBIC, s.e.n.c.r.l.

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