L’usine digitale constitue une nouvelle façon d’organiser les moyens de production en permettant de relier l’univers numérique au monde réel. Les réseaux virtuels (Internet des objets et systèmes cyber-physiques) servent au contrôle des objets physiques (machines, outils, etc.) et permettent une communication constante et instantanée entre les différentes machines et les postes de travail qu’ils soient basés à Montréal, Shanghai ou à Dusseldorf.
La première étape menant à la fabrication intelligente consiste en une évaluation sérieuse de la capacité numérique de l’organisation. Il existe des outils exhaustifs pouvant servir de base pour apprécier l’état d’avancement numérique d’une installation. Ce diagnostic permet d’orienter de manière conforme la démarche vers l’usine du futur. Cette prémisse est directement associée à la maîtrise et à la liaison d’outils numériques (logiciels, progiciels, etc.) et d’équipements dans le système de gestion de l’entreprise. Cette évaluation servira à l’élaboration d’une stratégie numérique adaptée à la réalité de l’entreprise.
Selon Gilles Charron, directeur du développement des affaires chez Productique Québec, « il n’existe pas de cheminement identique d’une entreprise à l’autre. Pour connaître son point de départ, il faut d’abord évaluer le degré de maturité numérique de l’entreprise en effectuant un audit rigoureux qui fournit un indicateur quantitatif lié à la présence d’outils numériques logiciels et d’équipements, à leur maîtrise, leur degré de partage et à leur intégration. »
D’une part, on doit évaluer si les technologies sont à jour. En d’autres mots, les logiciels dont on dispose sont-ils vieillots ou mis à niveau? De plus, les opérateurs ont-ils un degré bas, moyen ou élevé de littératie (apprentissages de base) numérique et sont-ils formés pour les bonnes applications et fonctionnalités des outils?
« L’utilisateur maîtrise-t-il suffisamment le logiciel pour produire les informations nécessaires à l’ensemble des processus qui utiliseront ces données numériques, et ceci, pour tous les logiciels interconnectés de l’entreprise, » questionne M. Charron.
Enfin, le « data » (ensemble des données nécessaires aux opérations) est-il connecté? À titre d’exemple, le programme de dessin (dimensions, normes, etc.) est-il en lien avec le logiciel de gestion (ERP ou autre)? On parle alors de « connectivité horizontale »; les solutions logicielles sont alors intégrées aux différentes étapes de la planification et de la fabrication (de logiciel d’application informatique à équipement de production et vice versa) permettant la saisie de données en temps réel. Quant à l’intégration verticale, elle suppose que les logiciels sont reliés entre eux et aux différents équipements afin d’obtenir des données uniformes tout au long des opérations.
Une fois l’état de situation connu, on passe à l’élaboration d’une planification numérique pouvant couvrir plusieurs volets. On peut avoir besoin d’acquérir des technologies (système ERP, etc.), d’effectuer leur mise à jour ou encore d’automatiser pour le développement de macros (tâches répétitives (ordres) effectuées fréquemment par l’ordinateur de façon automatique) dans les logiciels, la formation du personnel ou encore des projets de connectivité comme le partage de l’information numérique.
« Le plan d’action, poursuit le représentant de Productique Québec, a pour objectifs d’optimiser les outils actuels, de dresser le plan d’acquisition des technologies futures et d’en assurer la cohésion et l’intégration, tout cela en tenant compte du modèle d’affaires. »
Pour en faire une réussite, mettre en place une nouvelle machine ou un nouveau progiciel exige une planification rigoureuse. On doit s’assurer que les objectifs sont clairement énoncés et suivis; ils servent de guide durant l’implantation. Les contraintes de disponibilité ou de réticences aux changements sont également à considérer, tout comme l’expertise du fournisseur ou encore les compétences du personnel à utiliser les nouveaux outils.
Dans cette démarche, il faut prévoir le type d’investissement adapté au projet pilote ou à l’initiative. De plus pour un meilleur positionnement d’affaires, il convient d’évaluer la valeur des actifs numériques (logiciels, machines-outils à commande numérique (CNC), robots, capteurs, etc.).
De leur côté, les employés sont appelés à une nouvelle façon de voir les processus. On ne parle plus d’un opérateur manuel qui dépose les matériaux à transformer sur la machine mais bien qui programme la machine afin qu’elle réalise une commande bien précise.
Dans cette aventure, on peut s’attendre à ce que la main-d’œuvre change de vocation. De manuelle à cérébrale, la tâche se transforme et l’employé devra faire face à de nouveaux défis d’un tout autre ordre. Un savoir-faire accru sera nécessaire pour analyser des données sur une lunette connectée ou encore pour le contrôle d’un robot injectant des matières premières dans des moules.
« Quand on installe des robots qui vont exécuter des tâches manuelles répétitives, explique M. Charron, les employés sont embauchés non pas pour leur bras mais pour leur compréhension de la nature du procédé. L’opérateur va travailler davantage avec des données que de la matière, compte tenu que la matière est transformée par les machines. »
Ainsi, un atelier d’usinage aura besoin d’un soudeur apte à faire fonctionner un robot. Il devra programmer et superviser l’automate requis pour effectuer des points de soudure sur une pièce. Il complètera le travail pour les soudures plus délicates.
De plus, on repense la façon de disposer des modes opératoires. « On peut mettre en place des formulaires d’efficacité ou des marqueurs directement dans les instructions de travail visuelles pour surveiller en toute transparence l’état de production, précise Éric Schiocchet, responsable des ventes chez Visuel Knowledge Share (VKS). Il est également possible de transmettre des courriels lorsque les choses ne se passent pas comme prévu afin de s’assurer que le support est donné de manière proactive. »
Dans ce contexte, le facteur humain représente l’élément-clé du succès. « En documentant la meilleure façon de réaliser chaque tâche, ajoute le représentant de VKS, les entreprises peuvent garantir que leur force de travail atteindra toujours leurs objectifs grâce à des informations visuelles faciles à utiliser. L’information centralisée est la meilleure pratique aujourd’hui en fabrication connectée. »
Les gestionnaires peuvent également recevoir des informations en temps réel permettant de résoudre des problèmes avant qu’ils ne se présentent ou encore de cibler des zones problématiques afin de proposer des projets d’amélioration continue. Les suivis en direct et les alertes instantanées favorisent la productivité.
Par ailleurs, les effets pervers de la perte de connaissance et de savoir-faire se manifestent lors d’un changement de personnel, de vacances d’employés ou encore lors de la prise de retraites. Le numérique ne règle pas entièrement le problème mais il apporte une solution permettant de conserver la connaissance si précieuse aux manufacturiers.
« Les entreprises possèdent des milliers de processus en place, illustre M. Schiocchet. Certains sont documentés, tandis que beaucoup d’autres se promènent dans la tête des employés. En captant les connaissances et l’expérience des opérateurs seniors et des ingénieurs experts, on permet aux organisations d’isoler les meilleurs processus et de garantir qu’ils sont suivis à chaque intervention. »
Par Roger Riendeau