Monde du travail, droits d’auteur et autres considérations éthiques – Promesses et défis de l’intelligence artificielle
Par Eric Bérard
Lorsque les guichets automatiques sont apparus à la Banque Nationale, des craintes énormes ont surgi à l’égard de possibles pertes d’emploi, raconte l’ex-président de l’institution financière en entrevue à Radio-Canada. Pourtant aujourd’hui, le nombre d’emplois a doublé au sein de l’entreprise, dit-il.
Pour Joël Séguin, spécialiste de l’intelligence artificielle (IA) et directeur ventes et marketing chez Kezber Expert TI, cette réaction de recul est inhérente à la nature humaine lorsque de nouvelles technologies font leur apparition.
Bien avant les guichets automatiques, les débuts de l’ère industrielle ont aussi causé des craintes chez les travailleurs, souligne-t-il.
« On avait peur de toutes sortes de choses, et puis éventuellement on s’est adaptés. On a créé de nouveaux types d’emplois, on a modifié les façons de travailler. Ce sera un peu la même chose qu’on va vivre à ce moment-ci, il va falloir revoir certains métiers », indique l’expert au sujet de l’IA.
Tony Aubé, développeur de produits en intelligence artificielle et ancien de Google établi à San Francisco depuis 10 ans, abonde dans le même sens. Il arrive que des syndicats lui demandent de faire des présentations sur l’IA.
« Ils veulent savoir en quoi l’intelligence artificielle va avoir un impact chez la population en général, chez les employés et être capables de se préparer à la venue de ça », explique-t-il.
Les concepts d’IA générative et autres dérivés peuvent être étourdissants, parce que ça part dans toutes les directions à la fois tellement les possibilités semblent illimitées.
« Le problème avec l’intelligence artificielle, ce n’est pas la technologie, c’est la façon dont elle est présentée. On dirait qu’on a oublié que l’humain qui va l’utiliser ne comprend pas tous les tenants et aboutissants de cette technologie-là. »
Selon lui, c’est peut-être parce que, lorsqu’il est question d’IA, on a tendance à ne présenter que les réalisations les plus extraordinaires, que les gens estiment hors de leur portée. C’est pourquoi il prône l’approche des petits pas pour apprivoiser l’IA.
« Comme ça, les gens après ça vont dire “là je saisis. Là je vois où ça peut m’amener”. »
M. Aubé croit lui aussi que cette nouvelle façon d’utiliser la technologie peut rendre de grands services.
« L’intelligence artificielle vient humaniser les ordinateurs. On est capables de récréer tous les sens en informatique, de recréer le cerveau pour faire accomplir aux ordinateurs des tâches qui sont beaucoup plus humaines », dit-il, affirmant qu’une personne qui sait manier les outils de l’IA peut facilement se délester de plusieurs heures de travail par jour.
Selon M. Séguin, ce que l’IA va changer dans le monde manufacturier, c’est l’avenir des outils de validation, en amenant des outils qui accompagnent les travailleurs au quotidien, dans de multiples postes au sein des entreprises, en accomplissant des tâches à faible valeur qu’ils doivent présentement s’imposer.
On peut penser à la gestion de la boîte de courriels principale par la réceptionniste, aux entrées de données dédoublées et ennuyantes à la comptabilité. Bref, cet accompagnateur fait le travail de débroussaillage pour que l’humain, en bout de processus, puisse prendre une décision éclairée.
« Ça va permettre de prendre des décisions plus rapidement, de manière plus claire et permettre d’appliquer le cerveau à des tâches à valeur ajoutée qui vont faire avancer ton entreprise », estime le spécialiste de Kezber.
Son confrère Tony Aubé cite l’exemple de l’entreprise montréalaise Neolegal, qui a élaboré un outil d’intelligence artificielle destiné à la communauté juridique et lui fait épargner énormément de travail.
« L’avocat peut prendre toutes ses notes de ses rencontres avec ses clients, mettre ça dans l’interface et ça va générer une mise en demeure sur mesure, en fonction du nom du client, en fonction du cas. Après ça, l’avocat peut faire simplement une révision, changer des phrases au besoin et c’est fait », illustre-t-il.
Lui-même a créé son propre assistant personnel pour différentes tâches, par exemple les demandes de subventions.
« Je peux prendre le formulaire de subvention, prendre toutes les questions qu’ils me posent et je vais coller ça dans mon assistant. Il va remplir tout le formulaire pour moi automatiquement, ça sauve des heures et des heures de travail », dit-il.
En marketing, la génération d’avatars à partir de photos réelles pourrait permettre à des représentants virtuels de faire des propositions de vente à des clients potentiels ou créer des vidéos corporatives promotionnelles, estime Joël Séguin. Plus besoin d’embaucher de comédiens ou d’équipe technique pour filmer le tout.
« On dicte ce qu’on veut qu’il dise, on choisit l’apparence, on choisit l’environnement, on envoie ça dans le système et ça nous génère un avatar qui fait une super belle présentation », dit le porte-parole de Kezber.
C’est bien pour l’utilisateur final, mais beaucoup moins drôle pour les comédiens, doubleurs qui font des voix, caméramans et réalisateurs qui voient leurs emplois menacés.
Même chose en musique où l’IA peut être utilisée sans musiciens humains pour créer vos ritournelles (jingles) publicitaires à partir de pratiquement rien en quelques secondes à peine.
Tony Aubé donne aussi l’exemple du monde de l’image. Dans de nombreux cas, l’IA apprend à partir des images qu’on lui fournit par centaines, par exemple pour faire le contrôle de la qualité des items produits en usine. La machine apprend par exemple à déceler ce qu’est une pièce parfaite, une imperfection mineure ou une plus majeure qui impose d’écarter la pièce qui passe sous sa caméra.
Le problème, c’est que dans certains cas pour alimenter cet apprentissage, des gens d’IA vont aller chercher ces images sur Internet à partir de moteurs de recherche, sans trop se soucier de leur provenance et au dépit de photographes professionnels dont on a utilisé les œuvres sans leur consentement.
« Il y a des balises à mettre. En ce moment c’est vraiment le Far West », dit M. Aubé au sujet des batailles de droits d’auteur entre artistes et utilisateurs de l’intelligence artificielle.
Nos deux spécialistes s’entendent pour dire que l’IA est pleine de promesses pour les entreprises, pour peu que les gestionnaires sautent dans le train à temps.
« Le but dans une entreprise, ce n’est pas qu’il y ait des pertes d’emplois, mais des transformations d’emplois. Un employeur qui est bienveillant va se dire que c’est peut-être l’occasion de faire évoluer certaines carrières, là où des gens n’ont jamais pensé aller », suggère M. Séguin.
Refuser le changement pourrait jouer de vilains tours, met en garde M. Aubé. Selon lui, les dirigeants d’entreprises, peu importe leur âge, ont intérêt à se familiariser avec des outils tels que ChatGPT parce que leurs employés plus jeunes le font peut-être déjà, souvent en secret pour sauver du temps.
L’IA sans cadre d’utilisation balisé peut mener à des pertes ou des fuites de données potentiellement critiques. Bref, dit M. Aubé, mieux vaut contrôler où vont ces données, gérer l’IA plutôt que l’inverse.
Un autre aspect sur lequel nos deux experts invités se rejoignent, c’est la transformation des robots dans nos usines par l’intelligence artificielle, ce qu’il est convenu d’appeler des humanoïdes en raison de leurs caractéristiques quasi humaines.
« Au lieu d’avoir, par exemple, un bras dans une usine qui fait une tâche très très spécifique, on va avoir des technologies qui vont permettre d’avoir des robots qui vont faire plus qu’une tâche », dit M. Séguin des humanoïdes, capables par ailleurs de prendre certaines décisions.
« Ils vont être capables de combiner l’analyse de ce qu’ils voient sur une chaîne de montage et prendre une action comme un humain l’aurait fait, mais à des vitesses accélérées », explique-t-il, ajoutant qu’on pourra leur confier des tâches dangereuses, pouvant être accomplies en toute sécurité et beaucoup plus rapidement par ces robots nouveau genre.
Elon Musk en est déjà à cette étape chez Tesla, souligne Tony Aubé. La firme a récemment présenté la plus récente génération de son robot Optimus.
Il a des caractéristiques de déplacement et des articulations similaires à celles des humains, il est capable de manipuler des objets aussi délicats que des œufs et il a été testé avec succès dans des environnements manufacturiers, par exemple pour l’assemblage avec une parfaite précision de cellules de batteries de voitures électriques. D’autres robots Tesla accomplissent des tâches de manutention en entrepôt.
Nous n’avons à peine effleuré la surface de l’IA et des services qu’elles peuvent rendre aux entreprises, notamment pour le recrutement et la formation des employés.
Des experts-conseils comme ceux que nous avons interviewés sont là pour accompagner les entrepreneurs dans leur périple vers l’implantation de l’intelligence artificielle, une tâche à la fois.
Pour joindre l’équipe de Joël Séguin : www.kezber.com.
Pour le consultant Tony Aubé : www.tonyaube.com/ia
Consultez tous nos articles ici !
Vous pourriez aussi aimer…