En cette période de fin de pandémie, la pénurie de la main-d’œuvre représente un problème de taille pour les entreprises québécoises et canadiennes sur le chemin de la relance économique. Certaines entreprises pourraient contrer la rareté de personnel en prenant le virage de l’Industrie 4.0. Des entreprises à travers la planète en tirent déjà avantage en accentuant l’utilisation de nouvelles technologies de communications mobiles, de robotique et les technologies numériques à l’intérieur de leurs activités quotidiennes. Et dans tout cela, il ne faut pas oublier que l’intelligence artificielle devient de plus en plus accessible.
Sur le site Internet de la Banque de développement du Canada (BDC), le vice-président Recherche et Économiste en chef, M. Pierre Cléroux, définit l’Industrie 4.0 de la façon suivante : « À la base, l’Industrie 4.0 consiste à surveiller et à contrôler en temps réel vos machines et votre équipement en installant des capteurs à chaque étape du processus de production ». En gardant un œil sur chacune des étapes de production, une entreprise saura améliorer la qualité de ses produits et réduire au minimum les temps d’arrêt alors que les données recueillies en temps réel permettent de savoir le moment précis pour procéder à l’entretien des équipements et d’être alerté d’une panne possible.
L’Industrie 4.0, une expression qui a vu le jour en 2011, n’est en réalité rien de moins que la suite logique de l’évolution de l’industrialisation de la société moderne :
Un buffet de technologies
Professeur au département du Génie des systèmes à l’École des technologies supérieures (ÉTS), M. Louis Rivest, affirme que « l’Industrie 4.0 s’adresse aux entreprises de toutes les tailles. C’est un peu un buffet à volonté où un industriel se rend pour y piger un groupe de technologies qui lui conviendraient le mieux afin de répondre à un ou plusieurs besoins. Avant de choisir les bonnes technologies pour implanter l’Industrie 4.0 dans une entreprise, il faut s’assurer d’abord de déterminer le problème qu’on cherche à solutionner. Il faut choisir la ou les bonnes technologies pour chaque problème. Il n’existe pas de kit standard qui transformera une usine en un établissement 4.0. Ce n’est pas comme cela que ça fonctionne ».
Il y a 30 ou 40 ans, on installait des robots avec des fonctions précises, c’était une technologie nouvelle. « Aujourd’hui, la robotique est une option parmi un grand nombre de technologies. Les entrepreneurs ont le choix des technologies et il s’agit pour eux de choisir celles qui répondent à leurs besoins. Ce qui caractérise l’Industrie 4.0, ce ne sont pas les technologies disponibles, car effectivement certaines sont assez récentes, mais d’autres sont là depuis des années. La principale caractéristique, selon moi, c’est la connectivité ubiquitaire permettant de tout relier », ajoute le professeur Rivest. « La soi-disant révolution, c’est cette connectivité ubiquitaire qui fait que tout est connecté continuellement. Une machine qui doit s’alimenter de composants signale à un robot que ses réserves diminuent et le robot lui apportera d’autres composants, c’est ça la connectivité ».
Tablette, ordinateur personnel, cellulaire et combien d’autres appareils sont utilisés aujourd’hui par des industriels et des entrepreneurs de tous genres pour suivre ce qui se passe dans leurs entreprises à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. « Cette connectivité est l’essence même de l’Industrie 4.0. Ajoutons à cela la transformation numérique, une clé de la compétitivité, et nous avons des solutions intéressantes. Ici à l’ÉTS, nous offrons maintenant un programme court de 2e cycle en Entreprise numérique. La beauté du 4.0 c’est que son implantation ne requiert pas nécessairement de gros investissements, car le tout peut se faire petit à petit, projet par projet. Tout dépend des besoins. C’est à cette étape qu’il peut être intéressant pour un industriel de faire appel à de l’expertise externe pour, tout d’abord, cerner les besoins réels les plus urgents. Ce n’est qu’une fois que les besoins sont priorisés que l’entreprise saura quelles technologies acquérir et pourra entamer le déploiement. Il faut choisir le bon projet pour la business », renchérit M. Rivest.
Il n’est pas rare que des entrepreneurs se tournent vers l’ÉTS afin de trouver des réponses à leurs questions ou des solutions à leurs problèmes. « Dans les projets que j’ai réalisés, il y a souvent des bouts de technologie qui sont plus difficiles à apprivoiser. C’est dans de telles circonstances qu’il peut être avantageux de se faire accompagner. Il existe différents spécialistes pour cheminer avec des industriels. L’avantage de confier ce genre de travail à des gens de l’ÉTS, par exemple, ou à des universitaires en général, c’est que nous sommes neutres, nous n’avons pas un produit à vendre », explique Louis Rivest, qui a commencé à développer ses connaissances d’Industrie 4.0 en 2015 lorsqu’il a réalisé un mandat sur le sujet pour le CEFRIO (Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations, qui a fermé ses portes en 2020).
Démocratiser la technologie
L’intelligence artificielle (IA) joue déjà un rôle important dans la transition numérique et l’Industrie 4.0. Une start-up de Québec, Umaneo, a développé diverses solutions reposant à la base sur l’IA afin d’automatiser certains processus. « Il faut commencer par discuter avec le client pour arriver à déterminer quelle initiative serait la plus porteuse. Nous avons développé des outils afin d’optimiser le processus d’appel d’offres. Notre modèle d’IA trouve les meilleures opportunités parmi les appels d’offres publiés au Canada et aux États-Unis, pour ensuite les trier et déceler les meilleures opportunités pour nos clients », explique M. Jean Morissette, un des co-fondateurs d’Umaneo. « Nous espérons étendre notre approche au reste du monde assez rapidement ».
En reconnaissant que les entreprises se privent de revenus en ne retrouvant pas tous les appels d’offres, Umaneo a développé un logiciel avec un moteur d’IA facilitant le travail humain en diminuant les tâches à moindre valeur ajoutée. « Les appels d’offres que nous retraçons sont souvent des propositions très techniques. Nous clonons les connaissances de l’ingénieur aux ventes chez un client afin de mieux comprendre les appels d’offres. Des entreprises sont souvent incapables de répondre aux appels d’offres à cause de leur complexité. Maintenant, Umaneo peut le faire pour elles. Le moteur d’IA et le réseau de neurones nous permettent d’enregistrer la mémoire corporative d’un employé en vacances ou qui quitterait l’entreprise. C’est l’élément quasi holistique incorporé dans nos produits, » dit M. Morissette.
Comme les autres co-fondateurs de la start-up, Jean Morissette a travaillé au sein d’une grande entreprise avec beaucoup de moyens avant de décider de se lancer en affaires : « Les produits d’Umaneo sont des solutions de qualité, mais ils ont aussi été conçus afin de démocratiser la technologie. Les grosses boîtes ont les moyens et le personnel que les PME n’ont pas pour mettre la main sur des appels d’offres. Nos solutions peuvent réaliser le travail qu’elles sont incapables de faire. Nous développons des produits porteurs de sens qui peuvent avoir un impact économique et social dans un monde où il y a polarisation de la richesse en rendant ce monde plus égalitaire ».
La technologie a propulsé des entreprises de tous les secteurs vers de nouveaux sommets, mais le manufacturier a pris du retard dans l’automatisation. Umaneo propose des solutions qui traitent l’information non structurée afin de la comprendre et de la structurer avant de transformer le tout en un appui aux ventes lié à la génération de revenus. Dans certains cas, les clients veulent des produits plug & play, alors que d’autres cherchent des solutions sur mesure et un certain accompagnement. Dans les deux cas, les solutions sont adaptées aux besoins du client. « Le réseau de neurones permet aux capteurs vidéo installés sur un véhicule de traiter toute la vidéo afin de rendre les véhicules autonomes. Nous utilisons ce même type de technologie afin de lire tous les textes des appels d’offres, paragraphe par paragraphe, et de mieux comprendre le texte et ses complexités. Ce faisant, il est plus facile aux clients de répondre aux appels d’offres, en plus grands nombres ». Peut-être qu’un jour pas si lointain, les solutions Umaneo produiront automatiquement des soumissions en respectant les capacités de production et les délais requis. À plus long terme, les fondateurs ambitionnent de repérer tous les appels d’offres de la planète et d’acquérir une compréhension mondiale de l’offre et de la demande afin de mettre le tout au service de nos entreprises et institutions.
Pas simplement des nouveaux outils
BearingPoint, un cabinet indépendant de conseil en gestion et en technologies, avec des bureaux dans 37 pays répartis sur cinq continents, énonce que des mots comme Méga données (Big Data), systèmes cyberphysiques, cloud (infonuagique), Internet des objets (IoT – Internet of Things) ou encore jumeau numérique (digital twin) sont fréquemment évoqués lorsqu’il est question d’Industrie 4.0. Mais l’Industrie 4.0p ne se résume pas simplement à une simple collection de nouveaux outils et ce n’est pas non plus la solution à tous les problèmes. L’Industrie 4.0 serait plutôt l’intersection de ce que permettent les nouveaux développements technologiques dans une grande variété de domaines. La technologie est un élément clé de l’industrie 4.0, mais elle y demeure une facilitatrice permettant d’étendre le champ des possibilités.
Évolution, révolution, transformation ???
Comme le souligne M. Christian Hohmann, un spécialiste en excellence opérationnelle et consultant de Bordeaux, France, dans un blogue : « Les articles et communications autour d’Industrie 4.0 abondent de qualificatifs et semblent se livrer à une surenchère. Entre évolution, révolution ou transformation, comment devrait-on comprendre le concept d’Industrie 4.0 ? L’évolution est un passage progressif d’un état à un autre, un processus de changement lent. Une révolution est un changement soudain, traumatisant et consécutif à une crise non maîtrisée. Ce n’est pas là une caractéristique que je prêterais à Industrie 4.0. Une transformation est le changement souhaitable. Planifier en vue d’atteindre les objectifs stratégiques et mener de manière systématique, par étape et avec des points de contrôle. Choisir un qualificatif unique pour les changements induits par Industrie 4.0 me semble impossible. En fonction du contexte, ce sera l’un, l’autre ou plusieurs – voire tous- qui s’appliqueront ».
En lisant ce texte, on comprend rapidement qu’il n’y a pas de définition claire de l’Industrie 4.0, pas plus qu’il n’existe de manuel d’instruction pour son implantation. Ce qui est assez précis, d’un autre côté, c’est qu’il y a un tracé à suivre pour enclencher la transition vers le 4.0, soit en commençant par déterminer les problèmes les plus importants à régler et ensuite choisir les bonnes solutions parmi toutes les technologies disponibles. Et dans certains cas, l’intelligence artificielle y jouera un rôle important. Quant à la quincaillerie requise, bien entendu, il peut s’agir de nouvelles machines pour l’automatisation ou encore des robots, mais les plus importants éléments de cette transition numérique sont, sans contredit, les appareils permettant la connectivité ubiquitaire, comme le démontre si bien le professeur Rivest. Et selon ce dernier, l’Industrie 4.0 peut s’appliquer à tous les types d’entreprises, ou presque, qu’elles soient manufacturières ou de service.
Remerciement : Christian Hohmann, ETS et Umaneo
Par Guy Hébert