Les émissions de gaz à effet de serre du transport routier au Québec représentent environ 40% des émissions totales. Et près du tiers de ces émissions proviennent de l’utilisation des véhicules lourds. Mais alors que l’électrification du transport des personnes est appuyée par une technologie qui a déjà fait ses preuves, l’électrification du transport de marchandises devra compter sur des technologies encore émergentes. Et c’est ici que l’hydrogène vert entre en jeu.
Si l’offre de voitures électriques peine encore à répondre à la demande du marché au Québec, il n’en demeure pas moins que la technologie actuelle, soit l’alimentation de moteurs électriques par des blocs-batteries rechargeables, répond bien aux attentes. Avec une autonomie moyenne dépassant les 400 kilomètres, malgré une perte notable par grand froid, on peut aujourd’hui parler d’une technologie qui arrive à maturité.
Du côté des camions poids moyen et poids lourd destinés au transport de marchandises, on est encore loin du compte. Les principaux fabricants de véhicules lourds offrent déjà des solutions économiquement et technologiquement viables pour le transport urbain, sur les mêmes bases que les voitures électriques. Dotés d’une autonomie avoisinant les 200 à 300 kilomètres sur une seule charge, les camions poids moyen électriques, comme ceux produits ici au Québec par la Compagnie Lion, peuvent répondre à un fort pourcentage des applications de livraison urbaine et régionale. Et certains manufacturiers, comme Volvo ou Kenworth, offrent déjà une version poids lourd électrifiée, mais dont l’autonomie ne permet que de courtes distances.
À l’heure actuelle, même si elle a fait des bonds importants au cours des dernières années, la solution « batterie » ne répond donc pas aux exigences du transport de marchandises sur de plus longues distances. La technologie privilégiée par l’ensemble de l’industrie : des moteurs électriques alimentés par des piles à combustion à l’hydrogène. Selon le Conseil nord-américain pour l’efficience du transport de marchandises, le NACFE, on ne doit plus parler d’un choix entre l’électrique à batterie et l’électrique à l’hydrogène ; il faut plutôt penser à une combinaison des deux technologies. Le plus récent rapport du NCAFE énonce que l’hydrogène sera donc un facteur important dans l’électrification des transports longue distance, combiné à la technologie de véhicules à batterie pour de courtes distances. Mais la conclusion la plus importante de ce rapport, c’est que la décarbonation du transport de marchandises nécessitera le développement de l’offre et des infrastructures d’hydrogène vert.
Hydrogène gris, hydrogène vert
Réduite à sa plus simple expression, une pile à combustible à hydrogène produit de l’électricité en combinant cet hydrogène à de l’oxygène. Sa principale vertu écologique est de n’émettre que de l’eau et de la chaleur. Mais pour y arriver, encore faut-il que cet hydrogène soit disponible. À l’heure actuelle, la vaste majorité de l’hydrogène offert sur le marché est produit par procédés chimiques impliquant la transformation d’énergies fossiles, procédés qui génèrent donc des gaz à effet de serre. Pour qu’une motorisation à pile à combustible soit véritablement zéro émission, cet hydrogène gris est donc exclu.
L’hydrogène vert est, de son côté, produit par un moyen excluant l’utilisation d’énergies fossiles : l’électrolyse. La plupart d’entre nous ont fait l’expérience, dans les cours de science au secondaire, du procédé de l’électrolyse. Deux simples électrodes trempant dans l’eau décomposent le H2O en hydrogène d’une part, et oxygène de l’autre part. C’est en fait le principe inverse de la production d’énergie par une pile à combustible, qui elle recombine les deux éléments.
La clé de voute de l’hydrogène vert : la disponibilité d’une énergie électrique tout aussi verte. Pas surprenant, donc, que le Québec soit bien placé pour le développement de l’hydrogène vert.
Le Québec à l’avant-garde
C’est en janvier 2021 qu’Air Liquide a inauguré la plus grande unité de production d’hydrogène vert par électrolyse à membrane à Bécancour. D’une capacité de 20 MW, cet électrolyseur PEM produit plus de 8 tonnes d’hydrogène par jour. Air Liquide a justifié le choix de Bécancour par l’accès à une énergie renouvelable abondante fournie par Hydro-Québec, et d’autre part la proximité du marché de la mobilité hydrogène dans le nord-est du continent. L’unité PEM d’Air Liquide a été développée par… le plus grand manufacturier indépendant de moteurs diesel au monde, Cummins.
« La technologie PEM est celle que nous avons choisie pour le développement de la production d’hydrogène à plus grande échelle », nous explique Alex Savelli, directeur des technologies d’hydrogène d’Accelera, la nouvelle unité d’affaires récemment créée par Cummins pour le développement de technologies vertes. « Cet électrolyseur produit de l’hydrogène à une pression de 30 bars, et répond mieux à différentes sources d’énergie comme le solaire ou l’éolien. De plus, une unité PEM prend beaucoup moins d’espace que les autres technologies disponibles. »
Plus récemment encore, c’est cette même technologie d’Accelera qui a été choisie par Recyclage Carbone Varennes pour son système d’électrolyse de 90 MW. Les quatre HyLYZER-5000 de RCV produiront chacun 10 tonnes d’hydrogène par jour. L’usine utilisera de l’hydrogène et de l’oxygène renouvelables pour transformer des déchets non recyclables en biocarburants et en produits chimiques circulaires. Bien que l’hydrogène produit par RCV ne servira pas à alimenter des piles à combustion destinées au transport, ce nouvel électrolyseur vient démontrer la faisabilité technique de la production d’hydrogène vert.
L’industrie du transport routier ne peut, à elle seule, appuyer le développement de l’hydrogène vert, de l’aveu même du récent rapport de NCAFE. Afin de promouvoir ce vecteur énergétique, il faudra compter les autres secteurs qui utilisent l’hydrogène dans divers procédés chimiques et industriels. Par ailleurs, si le transport de l’hydrogène pur est complexe, il devient plus facile à transporter lorsque combiné à l’azote pour former de l’ammoniac, un moyen d’ailleurs utilisé pour le transport vers des marchés à la recherche de nouvelles sources d’énergie, comme l’Europe dans le contexte de la crise énergétique liée au conflit en Ukraine.
Avantages et inconvénients
Le développement de motorisations électriques alimentées par pile à hydrogène va bon train. L’Europe est le théâtre de nombreux projets-pilotes pour le transport lourd sur de plus longues distances, et du côté nord-américain, les essais se multiplient, même si aucun camion à pile à hydrogène n’est actuellement offert sur le marché. Hyzon Motors offre de son côté la conversion de camions au diesel vers des moteurs électriques à pile à hydrogène.
Cette solution pour le transport de marchandises est privilégiée par les experts et les constructeurs en raison de l’autonomie qu’elle offre. De plus, comparativement aux batteries seules, les systèmes à pile à combustible impliquent un poids additionnel moins important. Mais l’avantage le plus important réside dans le temps nécessaire au ravitaillement, beaucoup plus rapide que la recharge de batteries.
Mais le rendement énergétique de l’hydrogène laisse à désirer. Alors que le transfert d’énergie des batteries Lithium-Ion aux roues du véhicule est pratiquement d’un pour un, la solution hydrogène entraine de sérieuses pertes de rendement, de l’ordre d’environ 70%. C’est que pour produire un kilogramme d’hydrogène, il faut 58,7 kWh d’électricité, tandis que l’énergie électrique qui en résulte n’est que de 13,4 kWh.
Mais pour Alex Savelli d’Accelera, il s’agit-là d’un faux débat.
« Oui, les piles à hydrogène représentent une perte de rendement, mais cette perte est encore plus importante dans les moteurs à combustion. Si vous êtes véritablement sérieux quant à la décarbonation du monde, spécialement quand il s’agit de camions lourds, à long terme, les piles à combustion sont une meilleure solution que les batteries Lithium-Ion. »
Les piles à hydrogène n’en sont qu’à leur début pour l’industrie du camionnage longue distance. Et le réseau de distribution reste un enjeu. Mais avec la vitesse de développement de cette technologie et les divers incitatifs offerts par les différents gouvernements, tant en Amérique du Nord qu’en Europe, l’hydrogène sera sur nos routes dans très peu de temps.
Par Claude Boucher
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