L’industrie québécoise de la construction doit faire face à tout un éventail de défis. La météo est souvent exécrable dans ses extrêmes de froid, de chaleur et de pluies torrentielles qui rebutent les plus vaillants des travailleurs, rarissimes dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre et de vieillissement de la population.
Heureusement, les Québécois sont des gens inventifs qui ont su dompter les éléments au fil des siècles, mettant à profit les dernières technologies créées ici ou ailleurs.
« Bien souvent, c’est dans la contrainte qu’on arrive aux meilleurs résultats », résume l’architecte Marie-Lise Leclerc, dont le talent a été mis à profit dans le cadre des travaux de reconstruction suivant les tragiques événements de Lac-Mégantic et qui travaille à l’agrandissement de l’usine de Boulangerie St-Méthode.
Le confort et la sécurité des travailleurs étant parmi les facteurs d’attraction et de rétention les plus importants pour les entreprises de construction, il n’est pas surprenant que bon nombre d’avancées techniques ou technologiques y tirent leur source.
Les panneaux muraux préfabriqués en usine, baptisés Murox, du géant québécois des structures Canam en sont un excellent exemple. Non seulement permettent-ils de diminuer grandement les temps d’installation en chantier, ceux et celles qui les assemblent le font bien à l’abri, dans un environnement contrôlé et sécuritaire.
En raison du caractère unique de chaque projet de construction industrielle, les panneaux Murox sont pour l’instant fabriqués à la main en usine, explique George Poumbouras, ingénieur et vice-président au développement des affaires chez Canam-Bâtiments. Mais cela permet de réduire énormément la quantité de main-d’œuvre requise sur un chantier, précise-t-il : « On ne peut plus déployer des armées d’ouvriers, le modulaire est de plus en plus présent. Le manque de main-d’œuvre pousse l’industrie de la construction à évoluer. »
Ces propos trouvent écho chez Guillaume Houle, responsable des affaires publiques à l’Association de la construction du Québec (ACQ). Selon lui, les exportations de systèmes ou sous-ensembles préfabriqués n’ont jamais été aussi élevées, en particulier dans le secteur résidentiel. « On exporte énormément ces maisons préfabriquées aux États-Unis et en Europe. Bien entendu, la robotisation va probablement jouer un rôle dans ces usines-là », estime-t-il.
Mais avant de penser à installer quoi que ce soit en chantier, industriel, notamment, encore faut-il disposer de plans précis et, là encore, la technologie a permis de faire des pas de géants qui améliorent la précision de l’exécution en plus de couper les délais et les dépenses liés aux travaux.
Pour l’architecte Leclerc, les percées dans les logiciels utilisés en planification de construction – Revit à titre d’exemple – représentent l’innovation la plus significative. Finies les manœuvres de transfert de plans 2D en modèles 3D. « Ça nous permet de modéliser chacun des éléments en 3D dès le départ afin que le client comprenne bien la direction que nous prenons avec nos plans », dit-elle.
Les avantages se décuplent du fait que des logiciels de ce type sont conçus pour s’intégrer dans un modèle appelé « BIM » (Building Information Modeling), qui permet une transparence de tous les instants à l’ensemble des intervenants liés à un projet de construction et de détecter, avant même l’arrivée sur un chantier, que l’emplacement d’une canalisation de liquide de refroidissement entre en conflit avec celui d’une conduite de ventilation, par exemple.
C’est tout sauf anodin puisque le problème potentiel étant détecté avant que les ouvriers y soient confrontés, on éviter de payer des travailleurs à attendre que la situation soit réglée ou de les retourner chez eux parce que leur section de chantier n’est pas prête au moment prévu en raison d’un retard qu’accuse un autre corps de métier.
« Tout le monde sait quoi faire et dans quel ordre le faire. On améliore concrètement la productivité en chantier et on gère en amont les défauts de fabrication plutôt que de les gérer sur le chantier », résume le porte-parole de l’ACQ au sujet des avantages du système BIM. « Surtout dans les projets industriels, on gagne beaucoup d’efficacité avec ça », confirme M. Poumbouras.
Tous deux soulignent à quel point la visibilité de l’avancement des travaux est cruciale et qu’il s’agit là aussi d’un aspect de la construction où la technologie se taille une place toujours plus grande.
Les drones facilitent nettement cette visibilité. Ils permettent par exemple aux arpenteurs de faire plus rapidement et avec plus de précision les relevés qu’utilisent les architectes pour des calculs tels que ceux des pentes de drainage.
Les gérants de chantiers, eux, les envoient survoler les bâtiments à la fin d’une journée de travail pour en faire des photos et recueillir des données précieuses pour la planification de la suite des travaux.
Cela permet de « savoir où on est rendus, si on respecte nos délais », explique M. Houle. Mieux encore, les données recueillies par les drones sont transmises automatiquement au modèle informatisé BIM afin d’éviter les erreurs humaines.
Réalités modifiées et impression 3D
Les réalités virtuelles (immersives) et augmentées (superposition de vision du réel avec des éléments inexistants) représentent une autre manière de favoriser la transparence et la compréhension de l’évolution d’un chantier de construction. Un client peut ainsi déambuler sur le plancher de béton d’une usine en devenir, voir de ses yeux une colonne qui y est installée et, en superposition dans sa visière de réalité augmentée, la cage d’ascenseur qui se trouvera éventuellement tout juste à côté.
Une procédure d’assemblage pourrait également être projetée dans la visière d’un ouvrier peu expérimenté afin de le guider dans ses tâches de chantier.
Des spécialistes de chez Canam se sont rendus aux États-Unis où ils ont participé à des conférences sur le thème de la réalité augmentée. « On peut prendre un iPad, le positionner à un endroit en particulier et les plans se superposent sur l’image qu’on voit. C’est quelque chose [la réalité augmentée] qu’on regarde activement », confie M. Poumbouras.
Et si l’impression 3D n’est pas fréquemment utilisée pour la fabrication de maquettes architecturales puisque les clients visualisent mieux leurs projets par des projections animées en trois dimensions, explique Mme Leclerc, cette technologie n’en pas moins présente dans l’industrie de la construction.
Guillaume Houle cite en exemple une passerelle d’acier utilisée par des piétons à Amsterdam aux Pays-Bas, entièrement imprimée en 3D par l’entreprise MX3D, et évoque la capacité de ces systèmes à imprimer des salles en entier, y compris les espaces requis pour les portes et fenêtres.
Les Chinois ne sont pas en reste, alors que la compagnie Zoomlion présentait en novembre dernier à Shangai un mélangeur à mortier justement destiné à des travaux de construction par impression 3D.
Robotisation et capteurs
Parlant de mortier, il est pour l’instant toujours posé à la main par la majorité de nos maçons et briqueteurs. Toutefois, souligne M. Houle, la tâche peut désormais être facilitée par des robots poseurs de briques tels que ceux mis au point par la firme australienne Fastbrick Robotics. « L’être humain est ainsi fait qu’il se fatigue. Le robot, lui, ne se fatigue pas et va toujours garder le même rythme tout au long de la journée », explique-t-il, évoquant les gains de productivité pouvant être réalisés et la réduction des blessures aux ouvriers qui n’ont plus à soulever ces lourds blocs de façon répétitive.
Des tâches telles que le meulage de pièces en hauteur, alors que le travailleur a sans cesse les bras en extension, peuvent également causer des lésions professionnelles à la longue.
Là aussi, la technologie vient sauver la mise grâce à des recherches d’abord menées pour le secteur militaire : les exosquelettes. Ceux-ci s’apparentent à un survêtement enfilé par l’utilisateur et permettent d’atténuer des chocs répétitifs comme ceux d’un marteau-piqueur ou encore de répartir une charge soulevée dans tout le corps plutôt qu’uniquement sur la région des bras ou des épaules.
La firme californienne Ekso Bionics a déjà toute une gamme de ces exosquelettes destinés aux métiers de la construction.
Aussi, afin de mieux prendre soin des travailleurs sur les chantiers, on peut désormais compter sur des vêtements dits « intelligents » puisqu’ils sont dotés de capteurs permettant de mesurer des paramètres tels que le rythme cardiaque d’un ouvrier ou encore le niveau de chaleur ou de froid auquel il est exposé afin de lui éviter des blessures.
Des capteurs ont aussi fait leur apparition chez Canam, où la clientèle a commencé à demander des fonctionnalités de monitoring de ce qui passe à l’intérieur de leurs murs (niveau de charge, température, humidité, etc.). « Au niveau connectivité, on a maintenant la technologie pour mener à bien ce genre d’initiative, ce que nous n’aurions pas pu faire il y a 10 ans, » se félicite George Poumbouras.
L’environnement est aussi mieux protégé grâce un autre type de capteurs, ceux-là installés sur les camions qui transportent les déchets de construction afin d’en améliorer la traçabilité et ainsi minimiser les risques de déversements illégaux et potentiellement contaminants, sur des terres agricoles par exemple.
Télécommunications
La multiplication des données générées ou émises par tous ces drones d’inspection, modèles architecturaux modulables en temps réels et capteurs de toutes sortes fera en sorte que le modèle actuel de télécommunication sera bientôt insuffisant, voire désuet. « Tout ça va éventuellement nécessiter le réseau 5G », croit M. Houle, faisant référence au modèle 4G actuel destiné à tirer sa révérence.
Cette avalanche de nouvelles technologies, aussi fascinantes soient-elles, ne doivent pas faire perdre de vue qu’elles ne sont pour l’instant pas à la portée de toutes les bourses et qu’il faut un certain volume d’activité pour en tirer un retour sur investissement valable.
Inventaire technologique et R&D
À cet égard, le porte-parole de l’ACQ rappelle que 85 % des entreprises de construction du Québec comptent cinq employés et moins. Pour nombre de ces petits entrepreneurs, la modernisation d’un système de paye artisanal permettrait à elle seule de dégager une marge de manœuvre leur permettant de concentrer leur temps et leurs efforts sur le cœur de leurs activités.
La mondialisation de l’économie a ainsi motivé la mise en place d’une « veille technologique » à l’ACQ, qui scrute ce qui se fait ailleurs dans le monde. « On tente de suivre le pas pour ne pas être dépassés par nos concurrents étrangers », dit M. Houle.
Selon ce dernier, l’industrie de la construction du Québec doit procéder à un inventaire des technologies qui peuvent lui être utiles, ainsi que des formations permettant d’en tirer le plein potentiel.
« Il faut d’abord savoir où on en est, quel est l’état de la situation au Québec », dit-il, après avoir affirmé sans détour qu’il se fait à son avis trop peu de recherche et développement (R&D) sur les technologies de la construction.
Bien sûr, des firmes comme Canam font leur part. Selon M. Poumbouras, à elle seule la division Murox qui représente environ 10 % de la taille de l’entreprise compte deux personnes à temps plein, qui ne font que de la R&D. « Ça donne une idée de notre engagement à cet égard », dit-il.
Mais selon M. Houle, l’industrie de la construction dans son ensemble doit élargir ce mouvement. « Il faut s’assurer, avec la participation du gouvernement du Québec, d’aider ces entreprises à procéder au virage technologique et à acquérir des outils technologiques qui vont nous permettre de réaliser des gains en productivité au cours des prochaines années. » L’ACQ envisage d’ailleurs de déployer un service de diagnostic technologique afin de venir en aide à ses membres.
« Les nouvelles technologies dans l’industrie de la construction, c’est une solution à la pénurie de main-d’œuvre. Ce n’est pas la panacée qui va régler tous les problèmes, mais on pourrait gagner en productivité », conclut-il.
Par Eric Bérard