Et l’intérêt croissant des compagnies gazières et pétrolières pour l’exploitation des ressources naturelles du territoire québécois est bien réel, comme le démontre les 460 permis d’exploration qui leur ont été accordés jusqu’à ce jour.
Or, le plus récent débouché dans cette affaire est porteur d’espoir : le Comité d’évaluation environnementale stratégique (ÉES), dont le plan d’action a été dévoilé le 28 octobre dernier, aura pour mission de trouver l’encadrement adéquat pour une extraction des gaz de schiste responsable. Mais le Comité a-t-il ce qu’il faut pour accomplir une telle mission ?
Partout sur le globe, le développement des gaz de schiste est un sujet vivement controversé. Néanmoins, plutôt que d’être divisés sur la question, les Québécois semblent adopter une position relativement homogène, c’est-à-dire non pas vis-à-vis l’exploitation comme telle, mais plutôt contre l’expansion de cette industrie tant que celle-ci comporte des conséquences néfastes pour l’homme et l’environnement qui nous sont inconnus et par le fait même, impossibles à contrôler.
Ces appréhensions sont légitimes, car les scientifiques et quelques cas empiriques ont fait valoir les nombreux dangers de cette technologie encore expérimentale, allant de la contamination de la nappe phréatique à la pollution de l’air atmosphérique, exposant ainsi les individus, les terres agricoles et l’environnement à des substances chimiques toxiques.
Les demandes des citoyens ne sont donc pas déraisonnables, bien au contraire. En fait, elles reflètent un principe fondamental au développement durable : le principe de précaution. Tel que mentionné dans l’article 15 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement (1992), ce principe est le suivant :
« En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement » [1].
Mais tandis que ce principe incarne pour certains la responsabilisation de l’individu face aux risques hypothétiques, en l’occurrence de la fracturation hydraulique, pour d’autres, il s’agit d’un obstacle de plus à la création de la richesse. Toutefois, si les dangers liés au procédé de fracturation hydraulique sont connus et calculés, alors le principe de précaution peut être dépassé.
C’est pourquoi la tâche du ÉES est d’une importance cruciale, en ayant la double tâche de calculer et d’informer les citoyens sur tous les aspects de la question d’une part, et d’autre part, en incarnant la responsabilité éthique environnementale que le gouvernement souhaite donner au Québec. En visant les balises qui succéderont au principe de précaution, l’ÉES doit donc produire des rapports crédibles, car il ne peut se passer de la confiance des citoyens.
Une autre préoccupation légitime des citoyens dans la question des gaz de schiste est celle des redevances des droits miniers des compagnies gazières. Le gouvernement Charest s’était d’ailleurs fait durement critiquer à ce sujet du fait que jusqu’au 17 mars dernier, Québec ne demandait qu’un faible 10 à 12,5 %. Heureusement, on prévoit désormais élever le régime de redevances à un taux variant de 5 % à 35 %, selon la valeur du gaz et de la productivité des puits.
Par ailleurs, cette modification ne saurait parvenir à résoudre tout à fait les inquiétudes des citoyens car pour le moment, l’amélioration du taux des redevances des droits miniers ne sera pas effective avant la fin de l’évaluation environnementale stratégique !
Du point de vue du développement durable, l’aspect économique de la question révèle ici toute l’importance du lien de confiance des citoyens envers le gouvernement et les multinationales dans la tournure du débat. Car si les gens n’ont pas confiance ni au ÉES dans l’exactitude de leur recherche, ni dans leur véritable poids politique d’encadrement normatif, ni encore dans le bénéfice économique escompté, alors la nationalisation de l’industrie de cet hydrocarbure deviendra la meilleure munition pour que son développement soit durable.
Déjà, c’est l’idée que fait miroiter le parti de l’opposition lorsqu’il a plaidé dernièrement que le Québec devrait récolter au moins 50 % des avantages économiques provenant de ce type d’hydrocarbure.
Bref, le mouvement d’Occupy Wall Street et de ses variantes mondiales démontrent notamment la méfiance, souvent exagérée mais parfois justifiée, de la population envers les corporations en général. Si donc il reste un avenir qui soit collectif, je crois qu’il repose en grande partie sur ce que peut réellement accomplir une instance telle que le ÉES.
Emmanuelle Gauthier-Lamer Étudiante, Maîtrise philosophie Université de Montréal