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Les finances publiques encore sous contrôle, mais il faut un plan

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Dépenses inédites et revenus en chute

Avec ses effets sur les revenus des entreprises ainsi que des consommateurs, le virus de la COVID-19 a rapidement connu une mutation, par laquelle il s’attaque de façon tout aussi virulente à l’économie qu’à la santé de ceux et celles qui en sont atteints.

Pour limiter les dégâts, les gouvernements provincial et fédéral ont multiplié les programmes d’aide, injectant des quantités colossales de fonds publics dans l’économie pour la tenir à flot. Cela a bien sûr eu une incidence directe sur l’état des finances publiques. Québec et Ottawa ont encaissé moins de revenus tout en devant dépenser plus.

Résultat : la dette fédérale oscille autour des 1060 milliards $ alors qu’elle était aux environs de 700 milliards avant la pandémie. Le déficit pour l’année en cours à Ottawa est d’un peu plus de 300 milliards $ mais pourrait franchir la barre des 500 milliards $ d’ici la fin de l’année.

Le provincial a été un peu moins sollicité puisque les programmes les plus coûteux – PCU, subvention salariale d’urgence, etc. – étaient assumés par Ottawa. Cela n’a pas empêché la dette provinciale de franchir le cap des 200 milliards et de créer un déficit de 12 à 15 milliards $ pour l’année en cours.

S’ils peuvent sembler affolant au premier abord, les chiffres de ces deux dettes doivent être mis en perspective, de manière à illustrer ce que cet endettement représente par rapport au produit intérieur brut (PIB), la valeur totale de la richesse générée par une économie.

Au fédéral, ce ratio était de 31 % l’an dernier et, explique le professeur Luc Godbout, titulaire de la chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, il est passé à 49 % selon les données de juillet. Le Québec a suivi une courbe similaire et son ratio est actuellement d’environ 43 % du PIB.

Tout est question de contexte. Lorsqu’on étudie les données du Fonds monétaire international (FMI), le Canada demeure le pays le moins endetté du G7 par rapport à son PIB avec un taux de 49 %. À titre de comparaison, le Royaume-Uni flirte maintenant avec les 80 % et la moyenne du G7 est de 100 %. La dette du Japon dépasse maintenant 150 % de son PIB.

« Chaque pays a sa dynamique. Malgré tout, sur la scène internationale avant la crise, le Canada n’était pas si mal positionné en termes d’endettement, était plutôt même correctement positionné », constate M. Godbout, qui rappelle que les agences de notation suivent de près cet indicateur pour établir la cote de crédit des différents États. Et cela est d’une importance cruciale puisque cette cote reflète le taux auquel un pays peut emprunter et donc le poids qu’occupe le service de la dette dans l’ensemble des dépenses fédérales.

Les choses vont bien de ce côté puisque le Canada garde une excellente cote de crédit. Seule l’agence Fitch l’a abaissée, la faisant passer de AAA à AA+ ce qui est toujours fort honorable. Rien à voir avec la décote du milieu des années ’90, alors que le ministre des Finances Paul Martin composait avec un sommet historique d’endettement de 68 % du PIB, coupant dans les transferts aux provinces et aux particuliers, rappelle l’expert de l’Université de Sherbrooke.

Séparer le ponctuel du permanent

Lors de son discours du Trône du 23 septembre, le premier ministre Justin Trudeau a d’ailleurs tablé sur les faibles taux d’intérêt actuels pour annoncer la reconduction de plusieurs programmes de dépenses destinés à soutenir l’économie, en plus de créer quelques nouvelles initiatives qui grèveront aussi les finances publiques.

Pour le professeur Godbout, cette tangente demeure soutenable, à certaines conditions. « C’est correct de faire des déficits importants en période comme celle qu’on vit, c’est correct d’avoir un plan de relance qui va coûter cher. Mais dans la prochaine mise à jour économique, la nouvelle ministre des Finances devra envoyer un signal disant ce que sera la cible budgétaire une fois la crise passée. On vise quoi comme horizon pour retrouver un ratio dette/PIB acceptable, retrouver un équilibre budgétaire? Il va falloir se donner une espèce d’ancrage dans le temps qu’on va être capable de suivre. Ça va donner de la crédibilité au gouvernement et c’est le genre de truc qui évite la décote », dit-il, ajoutant qu’un tel plan devra être déposé d’ici Noël ou au plus tard à la fin mars.

Cette nécessité de préciser le plan de match de la reprise trouve écho chez Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec (CPQ). « Il est important de commencer à planifier la relance économique, tout en réfléchissant à la situation de nos finances publiques et de notre endettement », dit-il en entrevue au Magazine MCI.

Pour M. Blackburn, il faut dès maintenant envisager la manière de rembourser cette dette qui ne peut croître indéfiniment et qu’il faudra éventuellement rembourser. « Ce n’est pas parce que les taux d’intérêt sont bas qu’on se doit de ne pas apporter une grande importance aux déficits et aux dettes parce que ultimement, quelqu’un devra payer ces dettes-là et lorsque ce sera le temps de payer, on ne sait pas quelle sera la hauteur des taux d’intérêt », dit-il.

Le Conference Board du Canada, par la voix de son économiste en chef Pedro Antunes, a des préoccupations similaires. Au lendemain du discours du Trône, M. Antunes notait que cet exercice avait mis en lumière un grand nombre de mesures devant venir en aide aux Canadiens mais il y voyait une faille. « Toutefois, la mise en place et le financement de plusieurs de ces programmes seront un immense défi », disait-il dans un document d’analyse.

M. Antunes a par ailleurs remarqué un certain « mélange des genres » dans les visées économiques du discours du Trône, dont il constate que plusieurs des mesures « s’ajouteront de façon permanente aux dépenses fédérales. » Il ajoute que seules des hausses de recettes fiscales pourront financer ces initiatives et que « le discours du Trône dit bien peu de choses sur la manière dont cela pourra être atteint. »

Le spécialiste en finances publiques de l’Université de Sherbrooke est lui aussi agacé par ce flou artistique. « Qu’on fasse des dépenses qui sont, entre guillemets, ponctuelles, c’est une chose. Mais là on dirait que dans le discours il y avait beaucoup de gestes qui n’avaient plus de lien avec le contexte de la pandémie », dit M. Godbout en faisant référence à des projets tels que le réseau national de garderies ou l’augmentation du soutien financier aux aînés de plus de 75 ans. Il salue ces propositions mais estime que : « Là, on entre plus dans un contexte de promesses électorales qui ont un caractère permanent que dans un contexte de relance lié à la pandémie. »

Rattrapage en 2022?

Ce qui préoccupe le président du CPQ, c’est que le bassin de travailleurs et de contribuables pouvant financer ces mesures rétrécit comme peau de chagrin. « Il va y avoir moins de travailleurs sur le marché du travail, donc il va y avoir des défis extrêmement importants par rapport à la démographie au Canada et particulièrement au Québec. »

Parmi ces défis, M. Blackburn cite la formation de la main-d’œuvre pour appuyer des secteurs clés de l’économie québécoise où il dit voir un énorme potentiel de croissance. « La relance va nécessairement passer par une augmentation des investissements dans l’innovation et la technologie », dit-il, en voulant pour preuve la migration massive vers le télétravail, qui a fonctionné au-delà des espérances.

Le Conference Board estime lui aussi que, pour atteindre ses cibles de création d’emploi, le Canda devra consentir aux plus importants investissements de son histoire « en éducation et en formation des travailleurs, avec un accent sur l’économie du savoir. »

Pour Luc Godbout, c’est l’une des raisons pour lesquelles les dépenses d’infrastructures destinées à relancer l’économie devraient aller au-delà des projets traditionnels, d’autant plus qu’il y a une grave pénurie de main-d’œuvre en construction pour les réaliser. « Au lieu que ce soit des infrastructures routières, qu’on aille un peu dans les infrastructures numériques. Ce serait peut-être un peu plus porteur », analyse-t-il.

Le CPQ ne pourrait être plus d’accord. « L’infrastructure numérique, ce n’est pas seulement l’Internet haute vitesse mais ça comprend également tous les investissements des entreprises pour se tourner vers la modernité, l’innovation et l’ère numérique », dit-il, mentionnant notamment les initiatives de robotisation et d’automatisation.

C’est dans cet esprit que, lors d’un symposium sur les finances publiques tenu sur la Rive-Sud de Montréal le 3 septembre, le CPQ a plaidé auprès de Québec et d’Ottawa pour une accélération de l’amortissement des dépenses d’entreprises, l’acquisition de machinerie plus moderne par exemple.

Le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, a lui aussi participé à ce symposium, où il a fait des projections de croissance de 6 % en 2021, après un recul de l’économie de 6,5 % en 2020.

« Ça voudrait dire qu’il va falloir attendre au début de la première moitié de 2022 pour que l’économie québécoise ait tout récupéré, pour se retrouver là où elle était avant la pandémie, en février 2020 », résume M. Godbout.

Le ministre Girard a lui-même avoué que ces prédictions étaient plus optimistes que celles de la moyenne des économistes mais le président du CPQ ne lui en tient pas rigueur. « Je pense qu’actuellement, il a raison d’être un peu plus optimiste qu’au début de la pandémie », déclare M. Blackburn. M. Godbout abonde dans le même sens, notant que, « En termes d’effet sur les finances publiques, la situation du Québec par rapport au gouvernement fédéral était plus saine avant le début de la crise. »

L’économie et la santé du secteur manufacturier passe par la consommation. Et à cet égard, nombreux sont ceux qui espèrent une vigoureuse période des Fêtes malgré les possibles resserrements d’accès aux commerces pour des motifs sanitaires.

Invité à donner son avis sur la manière dont les consommateurs se comporteront au cours des derniers mois de l’année, M. Blackburn n’a pas voulu s’aventurer aussi loin. « Sincèrement, je pense que Noël 2020 ne sera pas comme l’ont été les Noëls des 2000 dernières années. Le monde a changé en mars 2020. Le monde ne sera plus jamais pareil. »

Par Eric Bérard

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