La valeur de la ressource partie en fumée se chiffre en milliards de dollars
Par Eric Bérard
Présenté par les Salons Industriels
Les feux de forêt qui ravagent des pans entiers de la province ont des impacts sur tout l’écosystème industriel du Québec. On pense bien sûr à l’industrie forestière en premier lieu et à toute la chaîne de valeur qui y est liée – sciage, pâtes et papiers, fabrication d’objets en bois – mais les dégâts touchent pratiquement tous les secteurs.
En date du 10 juin 2023, la SOPFEU indiquait que 728 345 hectares de forêt avaient été affectés par les 120 incendies en activité alors que la moyenne des 10 dernières années à pareille date est de 2 147 hectares. C’est 340 fois plus qu’à l’habitude.
Travailleur absents, approvisionnement, agriculture, mines
Ces brasiers intenses ont forcé l’évacuation de plus de 13 000 personnes, dont plusieurs sont des travailleurs d’usine de tous les secteurs d’activité, qui ne peuvent plus nécessairement se rendre au travail s’ils ont été relocalisés à des centaines de kilomètres de leur domicile et de leur usine.
Certaines entreprises manufacturières vivent également des problèmes d’approvisionnement et d’expédition puisque les activités de camionnage sont affectées par des fermetures de routes.
Le secteur agricole n’a pas été épargné, ce qui pourrait nuire à l’industrie de la transformation alimentaire.
L’exploration minière a été suspendue, tout comme l’exploitation à certains endroits.
C’est notamment le cas de l’entreprise O3, membre du Groupe Osisko, qui exploite un gisement aurifère dans la région de Val-d’Or, en Abitibi-Témiscamingue.
« Pour la sécurité de nos travailleurs et les communautés locales, et selon les directives gouvernementales, nous avons suspendu nos activités sur le terrain jusqu’à ce que la situation soit sous contrôle », a dit l’entreprise par voie de communiqué le 9 juin.
D’autres mines, souterraines celles-là, ont dû interrompre leurs activités parce que l’air ambiant était de trop mauvaise qualité pour ventiler en toute sécurité les galeries où les travailleurs s’affairent.
C’est sans compter l’usine de pâte Nordic Kraft, de Lebel-sur-Quévillon en Jamésie, qui a dû stopper ses opérations parce que les routes qui y mènent sont fermées. Le feu s’en est approché dangereusement et les inquiétudes concernent en premier lieu les citernes de produits chimiques qui s’y trouvent.
Des milliards $ de dégâts en forêt, la construction pourrait écoper
Il demeure que c’est sans conteste l’industrie forestière qui est touchée le plus au cœur.
Le Magazine MCI a eu l’occasion de s’entretenir avec le directeur général de la Coopérative forestière de Petit-Paris, Alain Paradis, qui exploite notamment une scierie à St-Ludger-de-Milot, au nord-est du Lac-St-Jean.
Si plus de 700 000 hectares de forêt ont été « affectés » par les incendies, M. Paradis estime que c’est un peu plus de 400 000 qui ont véritablement brûlé et sont totalement perdus pour l’industrie.
Selon notre expert invité, un hectare compte en moyenne 100 mètres cubes de bois. La scierie qu’il exploite paie une centaine de dollars le mètre cube de bois que lui livrent les entreprises forestières qui l’ont récolté.
Les prix peuvent évidemment varier d’une région à l’autre mais si on fait un calcul conservateur, 400 000 hectares multipliés par 100 mètres cubes de bois donnent un total de 40 millions de mètres cubes. Et lorsque chacun de ces 40 millions de mètres cubes de bois est mulitiplié par 100 $, on arrive à un total de 4 milliards $ de pertes.
Et ça, c’est uniquement pour la ressource brute, non encore transformée. Les pertes seront donc énormes dans l’entièreté de la chaîne d’approvisionnement.
M. Paradis n’hésite pas à parler de catastrophe. « Au Québec, on récolte à-peu-près 20 millions de mètres cubes par année. C’est quasiment deux ans de récolte qui disparaissent », constate-t-il.
« Si le capital [la somme de ce qu’on est autorisé à récolter] est entaché par des feux de forêt, ça va avoir un impact sur la capacité d’une forêt. On va en couper moins et ça va venir affecter des usines et, oui, malheureusement, ça risque de faire fermer des usines », se désole le directeur général de la coop de Petit-Paris.
M. Paradis ne croit pas que cette perte de matière première pousse, à court terme, à la hausse les prix du bois d’œuvre nécessaire à l’industrie de la construction, puisque la demande est actuellement relativement faible.
« Présentement ce qui fait mal, c’est qu’à cause des taux d’intérêt, de l’inflation, etc., partout en Amérique les gens ont le pied sur le frein pour ce qui est de la construction », dit-il.
En raison de la crise du logement qui sévit partout en Amérique du Nord, M. Paradis croit cependant que cette période de ralenti en construction – et en demande de bois d’œuvre – ne pourra être que de courte durée.
« Si l’offre n’est pas là, si on n’est pas capables de fournir, c’est clair que ça va avoir un impact à la hausse sur le prix du bois d’œuvre », analyse notre invité.
Les camionneurs forestiers qui sont payés à la tonne transportée sont présentement privés de revenus mais doivent néanmoins continuer de payer les mensualités de leur matériel roulant. Idem pour les entreprises forestières en arrêt forcé mais qui continuent d’assumer les frais de financement des abatteuses et autres pièces de machinerie.
La même logique s’applique aux entrepreneurs qui construisent les chemins forestiers et qui sont, eux aussi, en pause involontaire même si les factures continuent d’arriver.
« Les impacts économiques de ce feu-là vont être énormes », résume Alain Paradis.
Un devoir de solidarité
On le voit à la lumière de ce qui précède, pratiquement aucun secteur d’activité économique n’est épargné, directement ou indirectement, par ces feux de forêt d’une ampleur jamais vue.
Mais s’il est une chose que la pandémie de COVID-19 nous a apprise, c’est que les gens du secteur industriel sont résilients et savent se serrer les coudes.
La première chose que nous avons pu constater dans les salons industriels organisés un peu partout au Québec après la période de confinement, c’était la joie des visiteurs et des exposants de pouvoir enfin se revoir « en vrai », de se serrer joyeusement la main après des mois d’interdiction.
Gageons que ces mains tendues continueront d’être synonymes d’entraide. Nos industriels sauront innover une fois de plus et le Magazine MCI continuera de les appuyer.
Nous sommes sincèrement de tout cœur avec les humains, les gens qui se trouvent derrière tous ces chiffres que nous avons cités, dans chacune des régions touchées.
Ils doivent composer avec cette réalité difficile, sur le plan professionnel ou personnel, parfois les deux.
Chapeau à vous tous et faisons preuve de solidarité.