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May

Le secteur manufacturier se transforme

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La démocratisation de l’automatisation

À quoi ressemblent les usines dernier cri ? Quelles nouvelles formes prennent-elles et où en est le Québec en matière d’automatisation de la production ? Nous avons abordé ces thèmes et plus encore avec deux experts de la robotique industrielle.

Chez AGT Robotics de Trois-Rivières, le directeur du marketing et des ventes, M. Denis Dumas, évoque la convivialité sans cesse croissante des systèmes d’automatisation.

La firme qu’il représente se spécialise dans l’intégration de solutions de soudage automatisées et plusieurs de ses clients sont des fabricants de charpentes métalliques qui utilisent le système BeamMaster.

« Qui dit robotisation va dire programmation robot. Et la problématique pour nos amis charpentiers, c’est que lorsqu’ils fabriquent un bâtiment, chaque poutre, chaque charpente va être unique », dit M. Dumas. Il peut y avoir quelques récurrences dans un bâtiment entier, mais en nombre insuffisant pour que les firmes de charpentes métalliques remplacent des soudeurs par des gens qui vont faire de la programmation robot, précise-t-il.

C’est dans cet esprit qu’AGT a élaboré le logiciel Cortex. « C’est un système qui va aller automatiquement générer, via un fichier CAD, les cordons de soudage, les recettes de soudage, les trajets robots, associer tout ça, le mettre dans un séquenceur et l’envoyer directement dans le robot, ce qui va permettre de souder directement depuis le CAD jusqu’au robot, sans passer par la case programmation », explique M. Dumas.

Il s’agit donc, en quelque sorte, d’automatiser l’automatisation, de la rendre plus accessible au commun des mortels.

M. Kevin Tardif, responsable du développement des affaires pour les produits d’automatisation électriques chez Festo, croit lui aussi que l’automatisation du secteur industriel tend à se démocratiser.

Il indique que les nouvelles technologies ont permis d’élaborer des systèmes d’automatisation de différents niveaux de complexité, dont des systèmes plus simples qui correspondent parfaitement aux besoins de certaines entreprises pour qui les robots hautement sophistiqués seraient simplement « surqualifiés » et trop coûteux pour en justifier l’acquisition.

M. Tardif fait d’autre part remarquer que la nouvelle génération de techniciens en usine est celle qui a grandi avec une tablette informatique dans les mains et qui commande ses repas sur un téléphone intelligent en appuyant sur une seule touche. Ils sont habitués à ce que la technologie soit simple et intuitive, et c’est ce que les robots Festo doivent leur procurer.

Cette flexibilité accrue permet aussi de recueillir beaucoup plus d’information, « ce qui est à la base de l’industrie 4.0 », explique M. Tardif.

« On a une machine, on veut savoir ce qui se passe sur la machine. Est-elle fonctionnelle? Est-elle à risque de bris? C’est un peu ce que ça nous amène », explique l’expert de Festo.

Cette information plus détaillée permet notamment de faire un entretien prédictif plutôt que correctif lorsqu’il y a une panne de fonctionnement qui cause un coûteux arrêt de production.

L’entretien prédictif dépasse en fait aussi l’entretien préventif où l’on applique la même politique de lubrification ou de remplacement préventif « mur à mur », ce qui entraîne des dépenses inutiles alors que seulement quelques interventions ciblées et ponctuelles auraient suffi.

« On est maintenant capables de prédire des bris en fonction des paramètres qu’on peut lire », dit M. Tardif, donnant pour exemple le monitoring de la pression d’air qui permet de détecter le potentiel d’une fuite sur une machine donnée. Le système peut même automatiquement vérifier si la pièce de remplacement nécessaire est en stock dans l’usine et, si ce n’est pas le cas, générer tout aussi automatiquement une requête d’achat.

Cette quête de la flexibilité est également au cœur des priorités d’AGT Robotics. L’entreprise peut bien sûr élaborer des solutions ultra complexes comme le système de soudage à 10 axes conçu pour la firme Canmec, de Saguenay, qui a aidé cette dernière à fabriquer de gigantesques vannes de 27 000 kg destinées à des barrages hydroélectriques.

Le robot en lui-même a six axes de rotation, auxquels AGT en a ajouté quatre afin de faciliter l’accès aux pièces, en faisant par exemple appel à des rails pour assurer le mouvement vertical du robot le long de la colonne qui le soutient.

Mais pour des applications plus simples, il existe également des solutions clés en mains, plus généralistes. « On a des systèmes dont l’ingénierie est déjà établie », précise le porte-parole d’AGT.

Plus de polyvalence découle de cette flexibilité accrue et c’est ainsi qu’une foule de secteurs d’industrie font appel aux solutions de soudage automatisées. « Ça peut aller de la fabrication de cadres de vélos à des godets pour de la machinerie industrielle en passant par de très grosses pièces », témoigne M. Dumas.

Polyvalence est également un mot clé du vocabulaire de Festo, et cela s’applique notamment à la rapidité et à la simplicité de l’opération qui consiste à faire passer une ligne de production de la fabrication du produit « x » au produit « y », ce que l’on appelle parfois le recommissioning.

« Pour l’industrie, on veut des lignes de production qui vont pouvoir changer de mission après un certain temps pour s’adapter à une nouvelle gamme de produits », déclare M. Tardif.

C’est d’une importance cruciale dans des secteurs comme l’électronique, où les cycles de remplacement sont très courts. « Les produits finis électroniques, par exemple un téléphone cellulaire, ont une durée de vie réduite jamais vue auparavant », dit-il, ajoutant qu’il n’est pas rare que, lors du lancement d’un nouveau produit électronique, les concepteurs soient déjà à travailler à l’élaboration de la prochaine génération.

Quantifier : la question qui tue

Il est établi que l’automatisation permet de rehausser le niveau de productivité et d’uniformiser la qualité de la production. Mais à quel point? Peut-on le quantifier? La question est souvent posée, tant aux gens d’AGT Robotics qu’à ceux de Festo et il n’est pas simple d’y répondre puisque chaque usine est unique en soi.

Il existe tout de même quelques paramètres généraux en la matière, qui tournent autour du temps de disponibilité.

Pour le soudage par exemple, Denis Dumas donne l’exemple du temps pendant lequel une torche de soudage va toucher le métal et le souder. « Avec un soudeur moyen, ça va varier de 17 % à 25 % de son temps. Avec un robot, on va commencer à 35 % et aller jusqu’à des 65 % de temps de soudage. »

« Le robot ne soude pas plus vite, mais sur une même période donnée, il va souder plus longtemps, de façon plus efficace », dit-il pour illustrer que le robot n’a pas à soulever et rabattre sa visière de protection pour vérifier son travail, à installer des fixations ou valider la recette de soudage. « Il y a beaucoup de choses qu’un soudeur doit faire en manuel qu’un robot n’a pas à faire parce qu’il est préprogrammé », rappelle le porte-parole d’AGT.

Chez Festo, Kevin Tardif parle de disponibilité machine pour faire des évaluations de comparaisons robots/humains. « On produit par exemple 95 % du temps avec un robot, tandis qu’avec une personne qui fait la même tâche ce sera à 60 % », dit-il pour illustrer que cette perte représente des coûts pour l’entreprise, des coûts qu’un investissement en robotisation permet de récupérer.

Pénurie de main-d’œuvre

La pandémie de COVID-19 a eu pour effet d’exacerber le phénomène de pénurie de main-d’œuvre, alors que la distanciation physique forçait parfois l’ajout de quarts de travail dans certaines usines puisque moins de travailleurs pouvaient se trouver en même temps sur une superficie donnée.

Les entrepreneurs qui n’avaient pas encore fait le saut se sont vite tournés vers les professionnels de l’automatisation.

« Ce que j’entends de l’industrie, c’est “On manque de ressources, on n’est pas capables de produire à la hauteur de ce qu’on voudrait produire” », témoigne M. Tardif. « C’est un point central dans n’importe quelle industrie manufacturière. Ils n’ont plus de personnel en nombre suffisant », ajoute-t-il.

M. Dumas vit une situation similaire chez AGT Robotics. « Bien souvent on vient nous voir parce qu’il n’y a pas de soudeurs disponibles. Alors ces clients sont obligés d’automatiser parce qu’ils ne trouvent plus de personnel pour le faire », dit-il.

Aide gouvernementale

Nos deux invités s’entendent pour saluer les efforts que déploient les gouvernements pour faciliter le virage numérique et l’automatisation de l’industrie par différents programmes d’aide.

Certains visent un secteur entier – le secteur minier récemment par exemple – et d’autres initiatives sont plus ciblées et viennent en aide à une entreprise en particulier. À titre d’exemple, le gouvernement du Québec a alloué au début du mois d’avril un prêt de 11 millions $ à la firme Annexair pour poursuivre l’automatisation de ses activités.

L’entreprise, dont le siège social se trouve à Drummondville, fait la conception et la fabrication de systèmes de ventilation de calibres institutionnel, commercial et industriel.

« Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui les attendaient », dit l’expert d’AGT Robotics au sujet de ces initiatives gouvernementales, ajoutant qu’il fait d’ailleurs partie de son travail de se tenir à jour quant aux différents programmes en place et d’en informer les clients susceptibles d’y être admissibles.

Chez Festo, Kevin Tardif aime bien lui aussi le signal que ces programmes gouvernementaux envoient. « C’est un signe que notre société va vers le progrès, ce qui est une très bonne chose », dit-il.

D’autant plus que l’ancienne croyance selon laquelle l’automatisation est réservée aux grandes multinationales ne tient plus la route. « Le prix des systèmes automatisés réduit constamment », constate M. Tardif.

M. Dumas opine dans la même direction. « À l’heure actuelle, on n’est plus obligé d’avoir un gros volume de production pour s’automatiser », dit-il, faisant référence à des systèmes qui peuvent gérer une grande variété de produits qui, individuellement, sont fabriqués en faible volume (low volume, high mix).

Les travailleurs eux-mêmes acceptent de plus en plus l’apport de la robotique parce qu’elle sert plus souvent qu’autrement à accomplir des tâches répétitives et peu ergonomiques, pouvant avec le temps engendrer des blessures professionnelles, explique l’expert Festo.

« Ces gens-là ne seront pas à la rue, je suis persuadé qu’ils vont se relocaliser dans l’usine parce qu’il y a quand même des procédés qui sont complexes à automatiser », dit-il.

Les secteurs à surveiller

Selon M. Tardif, les différents secteurs d’activité du Québec sont à des degrés divers de maturité en ce qui a trait à l’automatisation. Le secteur de la transformation alimentaire a du rattrapage à faire, dit-il à titre d’exemple. « Il y a certains gros joueurs qui sont de plus en plus automatisés mais il reste qu’il y a beaucoup d’interventions humaines », observe-t-il.

À l’inverse, l’automatisation fait déjà partie de la culture de l’industrie du bois, dans les usines de sciage et autres étapes de transformation des produits du bois, selon M. Tardif. « Ça fait longtemps qu’ils ont débuté l’automatisation », dit-il.

Mais là où la demande est en train d’exploser, c’est dans les centres de préparation de commandes de commerce en ligne.

« Tout ce qui est gestion d’entrepôt, il a fallu mettre la pédale au fond à cause du changement drastique lié à la COVID », dit M. Tardif au sujet de l’engouement foudroyant pour le commerce électronique.

« Il y a déjà des projets bien entamés avec Amazon pour justement l’automatisation de ces centres-là », dit-il. Ces projets étaient déjà en route avant la pandémie, mais celle-ci a été un formidable accélérateur du processus avec le changement des habitudes de consommation.

« Tout ce qui est triage (sorting), aller chercher des items à un endroit et venir générer une commande, automatiser les systèmes de convoyeurs », c’est un naturel pour l’industrie de l’automatisation, selon lui.

Vers le 5.0 ?

On a beaucoup parlé de l’industrie 4.0, mais a-t-on déjà commencé à envisager le virage 5.0?

C’est le cas chez Festo. Selon Kevin Tardif, ce sera l’âge de l’intelligence artificielle. « Le 3.0 nous a permis d’automatiser, le 4.0 nous a permis d’aller chercher de l’information, le 5.0 ça va être de traiter cette information-là de façon autonome», analyse-t-il.

«Quand on a beaucoup de données, on est capables de déterminer des comportements, de définir différentes choses », dit M. Tardif au sujet de la puissance des algorithmes basés sur la répétitivité.

Selon lui, l’intelligence artificielle permettra de « pousser l’automatisation à un autre niveau. »

Par Eric Bérard

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