Selon Saimen, le Québec regorge de talents créatifs, qui transparaissent bien sûr via les arts de la scène, la composition musicale, les effets spéciaux et les projets multimédias. Cette créativité se manifeste également par les innovations et les inventions technologiques développées par de plus en plus de gens. L’avènement des incubateurs et accélérateurs, notamment rattachés aux universités, est venu appuyer ce mouvement de démarrage d’entreprises par des étudiant(e)s regroupé(e)s autour d’une nouvelle idée, ou d’entrepreneurs innovants.
Le Jumpstart Our Business Startups Act, ou JOBS, loi adoptée sous Barack Obama en 2012, est venue encourager le financement des petites entreprises aux États-Unis en assouplissant de nombreuses réglementations, permettant aux entreprises d’utiliser le financement participatif, communément appelé crowdfunding, pour émettre des titres.
De ce JOBS Act, combiné avec le développement rapide des réseaux sociaux sur internet, sont nées les multiples plateformes de sociofinancement qui ont permis à plusieurs startups de rapidement financer leurs projets. Cette démarche se fait souvent en utilisant la présentation d’un prototype du produit, ou même d’une simulation en imagerie 3D, qui est encore loin d’être fabriqué en grande quantité. Il faut saluer l’initiative de ces entrepreneur(e)s qui ont la vision et le courage de se lancer ainsi en affaires. Plusieurs tâches de développement de marché, distribution, ventes, gestion des finances, etc. les attendent, qui s’ajoutent à celle d’avoir à fabriquer le produit lui-même. Ce passage du prototype à la fabrication de masse est trop souvent perçu comme un ruisseau qu’on peut passer à gué, alors qu’il s’agit plutôt d’un grand pont chevauchant un fleuve agité. Le but de cet article est de vous partager quelques éléments qu’il faut prévoir, ou auxquels il faut porter une attention particulière, durant cette traversée.
Deux solutions s’offrent généralement à ces entreprises : fabriquer elles-mêmes leur produit, ou utiliser les services d’un « manufacturier sous contrat » (Contract Manufacturing, ou CM) qui le fabriquera pour elles. Apple et Foxconn sont un bon exemple de ce principe, le premier créant et vendant des produits innovants qui sont fabriqués par le second. Les fait d’utiliser un CM est un peu comme installer son bureau dans un espace partagé, ou opter pour l’autopartage : on évite des préoccupations qui sont hors du domaine d’expertise de l’entreprise. Un modèle hybride est aussi parfois de mise, où l’entreprise fera l’assemblage final de son produit sans gérer les aléas de la chaîne d’approvisionnement, confiant au CM les achats techniques, le contrôle qualité, l’assemblage des sous-composants et la logistique de leur acheminement.
Chez Saimen, nous recevons des demandes de fabrication de nouveaux produits très diversifiées, autant dans la nature de ceux-ci que dans leur état d’être « prêts à fabriquer ». Les gens auront trop souvent sous-estimé l’effort et le temps encore requis pour emmener leur produit à une fabrication de masse, alors que leurs investisseurs pressent le pas pour que les ventes débutent ou qu’un engagement de livraison ait déjà été pris sur le site de sociofinancement.
Que l’entreprise décide d’assembler elle-même son produit, ou de faire appel à un CM, les principes qui suivent devraient être considérés.
La création d’un nouveau produit implique naturellement de tenter d’en protéger l’idée. À ce titre, il est recommandé de se faire accompagner par un(e) spécialiste en la matière qui saura guider le projet selon les étapes de développement du produit. Nous rencontrons trop souvent des gens qui ont tardé à protéger le fruit de leur créativité, ou qui n’ont pas axé leur effort sur le bon moyen. On peut par exemple commencer par enregistrer le droit d’auteur, basé sur un croquis, puis un dessin industriel qui protègera l’apparence du produit. Si on invente un nouveau processus, un brevet pourra être de mise. Un droit d’auteur peut aussi être associé à un plan de circuit intégré. Finalement, une marque de commerce devrait être inscrite dans les territoires visés. Tout cela fait partie de ce qui est communément appelé la « propriété intellectuelle » (IP).
D’autres mesures de protection doivent être mises en place avec les partenaires et le CM, comme les ententes de confidentialité avec clauses de non-contournement. Chez Saimen, par exemple, nous veillons à séparer la liste de composantes (BOM) en différentes listes qui ne contiennent que les items pertinents à chacun des fournisseurs. Ceci fait en sorte que la nature complète du produit ne sera connue que par l’entité responsable de son assemblage final, ou uniquement par notre équipe lorsque l’assemblage final se fait à notre usine.
Aux entreprises qui lancent un nouveau produit technologique, nous recommandons trois phases bien définies pour en favoriser un lancement efficace sur le marché. Les acronymes EVT, DVT et PVT décrivent ces étapes successives de fabrication. Celles-ci visent à minimiser les risques et les coûts, en cernant les problèmes de conception et le processus de fabrication avant de produire des milliers d’unités qui seraient alors problématiques ou inutilisables. Les changements au design de produit deviennent de plus en plus coûteux et complexes à mesure que son processus de fabrication mûrit.
EVT
La première phase est appelée EVT, pour Engineering Validation & Testing (phase de validation et de test d’ingénierie). À ce premier stade, l’entreprise devrait déjà avoir effectué des itérations de conception de prototypes, ayant suffisamment développé le design technique du produit pour entrer en production, incluant des plans 3D et 2D avec tolérances, de même qu’une nomenclature des composantes (BOM). Entre 1 et 10 unités seront produites utilisant de l’impression 3D pour les pièces de plastiques. Les moules étant généralement très coûteux, il s’avère prudent d’attendre que toutes les modifications aux pièces soient effectuées avant de passer à l’injection avec moules.
Lorsqu’une agence de design est impliquée dans le développement du produit, cette étape sera l’occasion pour eux de voir à quoi ressemblera réellement leur design et comment les pièces s’emboîteront. La fixation entre les pièces est un élément trop souvent négligé : on ne peut pas que coller les pièces, comme cela se fait si facilement dans un logiciel CAD ! Les écarts dimensionnels par rapport aux tolérances indiquées dépendront de ce que les fournisseurs pourront réaliser, ceci en fonction du prix visé pour les pièces. Tout au long de ce développement, le prix de l’unité total devra être surveillé pour assurer un niveau de qualité acceptable pour le vendre, selon les caractéristiques requises. Parfois, il est nécessaire de réduire les fonctionnalités du produit initial pour mieux réaliser une version qui testera à la fois le marché que le produit lui-même.
Des pré-certifications devraient aussi être envisagées pour s’assurer que les unités passeront les tests de certifications requis, par exemple les tests électriques et de chute.
Le résultat sera un prototype fonctionnel, accompagné de plans et d’une nomenclature finale pour mettre en place les détails de la chaîne d’approvisionnement et de la fabrication. Ces unités doivent être testées par le partenaire, mais pas encore envoyées à des clients.
Chez Saimen, nous profitons de cette étape EVT pour qualifier les fournisseurs de niveau 2 et de niveau 3. Les opportunités de réduction des prix pourront être envisagées, de même que la recherche d’équivalences de composants électroniques. En fonction de la quantité de changements requis, un autre cycle EVT peut être lancé. Sinon, c’est l’étape DVT qui s’enclenche.
DVT
Dans la deuxième phase, appelée DVT pour Design Validation & Testing (phase de validation et de test de conception), de 10 à 100 unités seront produites, similaires à celles qui devraient être obtenues par la production de masse. Les moules seront fabriqués pour la plupart des pièces de plastique, réservant encore la possibilité de changements aux pièces plus critiques qui seront alors encore faites par impression 3D. Les nouvelles composantes sélectionnées pour la réduction des coûts seront utilisées. Les choix de composantes et sous-assemblages provenant des fournisseurs de niveaux 2 et 3 seront officialisées, les tests de fonctionnalité et les procédures d’assemblage seront documentés. La conception, suffisamment finalisée, permettra d’effectuer des tests et des certifications. Des échantillons seront envoyés aux partenaires et clients pour avis et tests.
Si les résultats des tests des bêta testeurs sont concluants, il sera permis de passer à la prochaine étape. Sinon, des unités en DVT devront être refaites en modifiant les items requis. Il faut éviter de retourner aussi loin qu’en EVT, à moins qu’il s’avère nécessaire de modifier des éléments de conception du produit. Il est toujours préférable de vivre ces revers à ce moment-ci, plutôt qu’une fois que la production de masse est lancée.
Un autre défi ici sera de garder la confiance des investisseurs, généralement pressés de voir le produit se commercialiser. L’entreprise et le CM doivent bien documenter les processus pour soigner cette confiance des investisseurs, car les fonds doivent continuer d’être présents afin de financer toutes ces étapes menant à la fabrication du produit.
PVT
La phasePVT, pour Production Validation & Testing (validation de production) est la dernière étape avant la production de masse. C’est celle durant laquelle, si tout va bien, l’entreprise pourra acheminer des unités aux premiers clients. Cette étape sert de test pour s’assurer que tout sera prêt pour la production de masse. Tous les composants et processus devront être dans leur phase de production de masse prévue, y compris des moules pour toutes les pièces de plastique; ceci comprend aussi l’emballage, le contrôle de qualité et la logistique.
Les unités produites dans cette phase, entre 100 et 1000, seront similaires à celles qui proviendront de la production de masse, mais en plus petite quantité afin de tester l’ensemble du processus d’assemblage et la qualité finale.
Durant cette phase PVT, le processus d’assemblage final se déplace vers le site officiel de production. L’ensemble du processus de production est optimisé et validé, incluant les tests de rendements et de qualité. Les derniers tests de certification peuvent enfin avoir lieu. Peu à peu, le nombre d’unités produites par lot pourra aller en augmentant, vers l’aboutissement de toutes ces heures de travail et de collaborations.
Une fois le fleuve agité traversé, la créativité initiale pourra maintenant être tournée vers les améliorations du produit et ses nouvelles fonctionnalités, suite aux expériences et recommandations des usagers. Nous souhaitons à tous les créateurs et innovateurs de vivre la satisfaction de voir leur idée prendre forme avec succès, en plus d’avoir contribué à stimuler l’économie et le développement de leur environnement d’affaires.
Par Jean-Luc Hébert, Vice-président, Saimen