Depuis 2002, Hydro-Québec a entrepris de harnacher le bassin versant des rivières Eastmain et Rupert pour y produire de l’électricité. La particularité de ce méga-projet, c’est qu’une clause stipule que les contrats doivent d’abord être accordés à des entreprises du Nord-du-Québec, puis de l’Abitibi-Témiscamingue et enfin du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
«En réalité, puisque le Nord-du-Québec ne compte pas d’entreprises dans tous les domaines requis, c’est surtout l’Abitibi-Témiscamingue qui en bénéficie», mentionne Guy Bourgeois, agent de chantier pour le Comité de maximisation des retombées économiques en Abitibi-Témiscamingue (ComaxAT).
Ainsi, de 2002 à 2006, le projet de la centrale Eastmain-1 a généré des retombées directes de 150 M$ pour l’Abitibi-Témiscamingue.
Et en date de la fin juillet 2009, le projet Eastmain-1A/Sarcelle/Rupert avait quant à lui permis aux entreprises de la région de décrocher des contrats d’une valeur de 198 M$ depuis le début de 2007.
Ces contrats ont permis à plusieurs entreprises de se faire valoir dans des domaines pour lesquels elles n’étaient pas reconnues. «Marcel Baril Ltée de Rouyn-Noranda, par exemple, un grossiste de matériaux de construction spécialisés, s’occupe à présent de tout ce qui concerne l’établissement des campements temporaires de la Société d’énergie de la Baie-James», indique M. Bourgeois.
D’autres entreprises ont profité des contrats octroyés par la société d’État pour développer de nouvelles expertises. C’est le cas de la société amossoise Béton Fortin, qui en août 2007 a décroché un contrat de 8 M$ pour établir une usine de béton près du campement Rupert, à plus de 400 km de son siège social, en pleine taïga. Depuis, l’entreprise est en charge de produire le béton pour l’ensemble des ouvrages du chantier. Un béton qui doit tenir compte des conditions climatiques particulières de la Baie-James.
«Comme les normes sont plus sévères et les délais plus serrés que sur les chantiers ordinaires, les entreprises n’ont pas le choix de développer de nouvelles expertises et des techniques novatrices. On estime d’ailleurs qu’une année de travail ici équivaut à trois années d’expérience dans le sud de la province», illustre Guy Bourgeois,
Ces mêmes expertises pourront ensuite être mises à profit par les entreprises témiscabitibiennes dans des contextes complètement différents. C’est le cas du futur prolongement de la route 167 vers le secteur des monts Otish, où plusieurs projets miniers d’or, de cuivre, d’uranium et même de diamant sont en voie de se réaliser.
«Les compagnies qui auront œuvré sur les chantiers hydroélectriques de l’Eastmain et de la Rupert seront avantagées, c’est certain, car elles seront à la fois proches et habituées à travailler dans les conditions nordiques», soutient M. Bourgeois. À titre d’exemple, le tracé préliminaire de la nouvelle section de la route 167 et l’analyse des impacts environnementaux ont été confiés à la firme Genivar d’Amos.
L’immense mine d’or à ciel ouvert que la Corporation minière Osisko veut creuser à Malartic et pour laquelle elle a reçu l’aval du gouvernement du Québec en août dernier est un autre projet d’envergure où les sociétés témiscabitibiennes pourront se faire valoir.
«Plusieurs entreprises ont profité des bénéfices engendrés par les contrats du Nord pour prendre de l’expansion. Je pense notamment à Construction Promec ou encore Métal Marquis. Elles ont maintenant les reins plus solides et pourront avantageusement concurrencer des sociétés plus imposantes qu’elles», signale l’agent de chantier du ComaxAT.
Paradoxalement, si le développement minier du Nord risque de stimuler encore plus la croissance de plusieurs entreprises de l’Abitibi-Témiscamingue, il amplifie aussi le problème que vit déjà la région face à sa main-d’œuvre: les travailleurs spécialisés se font rares.
«Tous les entrepreneurs se les arrachent, alors chaque entreprise doit faire preuve d’imagination pour les attirer et, surtout, les retenir. C’est pourquoi les salaires dans le Nord sont de deux à trois fois plus élevés que dans le Sud», explique Guy Bourgeois.
L’ampleur des chantiers hydroélectriques du Nord et des projets miniers tels que celui de la mine Raglan de Xstrata Nickel, située dans le Nunavik, au-delà du 62e parallèle, entraîne aussi un phénomène particulier, celui de la sous-traitance en dominos.
«Les contrats sont tellement imposants qu’une entreprise qui décroche un contrat doit souvent faire appel à des sous-traitants, qui eux-mêmes doivent recourir à d’autres sous-traitants. Cette manière de procéder, si elle rend les contrats plus complexes à réaliser, entraîne souvent les sociétés à découvrir des affinités avec des concurrentes et établir des partenariats qui ne seraient peut-être jamais arrivés autrement», fait valoir M. Bourgeois.