Pour bien des gens des centres urbains, l’agriculture a quelque chose de bucolique, un parfum de poésie d’antan. Pourtant, les champs et les sites d’élevage grouillent d’innovations industrielles et technologiques qui génèrent chaque année des milliards de dollars.
Là comme ailleurs, la pénurie de main-d’œuvre fait en sorte que les rares travailleurs disponibles doivent pouvoir faire toujours plus, surtout si la demande mondiale en céréales et autres denrées explose en raison de conflits militaires dans de grands pays exportateurs.
Il y a bien sûr les travailleurs étrangers temporaires qui peuvent venir en renfort, mais la fermeture des frontières lors des premières vagues de coronavirus a mis en lumière à quel point tout notre secteur agroalimentaire peut dérailler en leur absence.
En entrevue pour le Magazine MCI, le président général de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Martin Caron, explique que l’agriculture au Québec emploie 60 000 personnes. « Sur ces 60 000, on est rendus à 22 000 travailleurs étrangers temporaires », dit-il.
Les producteurs agricoles sont de plus en plus enclins à évaluer le niveau de risque pour leur entreprise que représente cette dépendance aux travailleurs étrangers et décident de se tourner vers l’automatisation ou la robotisation de certaines tâches. Et cela se fait à grande vitesse.
« Dans notre quotidien, on vit avec l’automatisation, la robotisation et les nouvelles technologies », indique M. Caron.
Il peut s’agir de robots de traite, à titre d’exemple. Certains modèles se déplacent d’une vache à l’autre tandis que, dans les exploitations en stabulation libre (vaches sans entraves), ce sont les bêtes elles-mêmes qui se déplacent vers le robot lorsqu’elles sentent que le moment de la traite est venu.
Le robot pulvérise une solution désinfectante sur les trayons, s’y connecte et un système de pompe à vide achemine le précieux liquide vers une unité de filtration, puis un réservoir refroidisseur. Le médaillon électronique porté par chaque vache permet à la machine d’identifier laquelle a été traitée et d’enregistrer des données à son sujet.
Après le passage du camion-citerne qui vide le réservoir tous les deux jours environ, tout doit être soigneusement nettoyé avant de démarrer un nouveau cycle. Les opérations de lavage sont monitorées à l’aide de dispositifs électroniques.
Lui-même producteur laitier, M. Caron explique : « J’ai des micro-interrupteurs et des détecteurs thermiques qui sont là pour s’assurer que le nettoyant a bien été utilisé, que l’eau de nettoyage était à telle température pour éviter les bactéries. Si le lavage ne se passe pas bien, il y a une alarme qui est déclenchée et on va voir pour vérifier ce qui se passe. On a des lecteurs aussi qui nous indiquent où est la problématique. »
Des robots sont également utilisés couramment pour distribuer les rations de nourriture aux animaux d’élevage. Et dans plusieurs cas, toute cette technologie peut être liée au téléphone intelligent du producteur, lui permettant de superviser et de gérer à distance les opérations, lui permettant d’accomplir d’autres tâches… Ou simplement de passer un peu plus de temps avec ses proches. « Le robot de traite nous amène beaucoup plus une qualité de vie au niveau familial », confirme le président de l’UPA.
Pour un producteur de volailles, le cellulaire pourrait lui indiquer qu’il fait trop chaud ou trop froid dans le poulailler, ou encore qu’un bris quelconque s’est produit dans le système électrique.
La techno est dans le pré
Aux champs, que ce soit pour de la production maraîchère ou céréalière, la technologie est tout aussi présente. À titre d’exemple, il existe des robots qui peuvent enlever les mauvaises herbes sans abîmer les plantes cultivées à l’aide de puissants algorithmes visuels qui leur ont appris à faire la différence entre les bons végétaux et ceux qui sont nuisibles.
Même les tracteurs utilisés pour déplacer la machinerie de semis, de labours ou de récoltes sont désormais des merveilles d’ingénierie à plus faible empreinte carbone.
Leurs moteurs diesel modernes font appel à des technologies de pointe comme la réduction catalytique sélective. Celle-ci, par l’injection d’une solution d’urée et d’eau distillée dans les gaz d’échappement, permet de limiter considérablement les émissions d’oxyde d’azote (NOx) et autres gaz à effet de serre.
Mais l’avancée la plus considérable, selon M. Caron, demeure l’autoguidage des tracteurs par système de positionnement satellite (GPS), qui leur confère un niveau de précision inégalé.
« Ça nous permet de diminuer les passages dans les champs, ça nous permet aussi de diminuer les quantités de pesticides parce qu’on a des lecteurs optiques qui sont sur nos systèmes de pulvérisation qui nous permettent d’y aller seulement au besoin », explique notre invité.
« Le tracteur a déjà mémorisé les endroits où il doit passer pour ne pas affecter les plants en terre », nous dit M. Caron, précisant que la machine se base sur l’information recueillie au moment des semis pour savoir avec précision où sont les plants et quelles zones sont à travailler. Et quand vient le temps des récoltes, des capteurs de rendement permettent d’aller chercher des données sur l’efficacité dans les champs.
Pour l’instant, les agriculteurs doivent demeurer à bord de ces engins autoguidés, mais la célèbre compagnie John Deere a dévoilé en janvier dernier un tracteur entièrement autonome, prêt à être produit à grande échelle, affirme l’entreprise.
John Deere explique que le tracteur autonome permet à l’agriculteur de vaquer à d’autres tâches pendant que la machine travaille toute seule. Il compte six paires de caméras stéréoscopiques qui lui permettent de détecter les obstacles de tous les côtés et de calculer les distances. Les images captées par les caméras sont analysées par un réseau de neurones profond qui catégorise chaque pixel en environ 100 millisecondes et détermine si le tracteur peut continuer sa route ou s’immobiliser lorsqu’un obstacle est repéré. Le tracteur autonome vérifie en outre continuellement sa position par rapport à un périmètre virtuel pour s’assurer d’être toujours au bon endroit, avec un degré de précision inférieur à 2,5 cm (1 po).
Internet haute vitesse et génération de données
Que l’on parle d’autoguidage GPS conventionnel ou de tracteurs entièrement autonomes et sans chauffeur, il demeure que ces technologies ont besoin de liens Internet haute vitesse pour fonctionner adéquatement.
Et c’est là que le bât blesse, selon le président de l’UPA. « Quand vous voulez avoir accès à l’autoguidage, il faut s’assurer d’avoir accès à un service Internet haute vitesse. C’est une des problématiques qu’on vit dans quelques régions », dit-il.
Toutes ces machines extraient, enregistrent et génèrent une quantité phénoménale de données et un débat a présentement lieu au Québec quant à la confidentialité et à la propriété de ces données. Des géants du « big data » s’y intéressent de plus en plus. Il y a Google qui a lancé son initiative agricole appelée « Mineral », mais également Telus qui a elle aussi désormais sa division Telus Agriculture (voir l’encadré en bas de texte).
Achat local et électrification
Martin Caron est un fervent défenseur de l’achat local. Il donne l’exemple de certains silos qui viennent des États-Unis et qui peuvent sembler de véritables aubaines. Mais, dit-il, leurs acheteurs déchantent souvent lorsqu’ils y découvrent des lacunes. « On a des producteurs qui achètent ces silos-là et s’aperçoivent, lorsqu’ils sont installés, qu’ils ne sont pas conformes aux exigences qu’on a ici en matière de santé et sécurité », nous dit le président de l’UPA, selon qui le Québec ne doit pas seulement viser l’autonomie alimentaire, mais également l’autonomie en matière d’équipement agricole. Il existe d’ailleurs au Québec d’excellents fabricants de silos, qu’ils soient de béton ou d’acier vitrifié pour en améliorer l’imperméabilité.
Dans ces silos se trouvent différents types de grains et de fourrage, toutes de matières dont il faut abaisser le niveau d’humidité une fois qu’elles sont ensilées. Généralement, cela se fait par des systèmes de chauffage au propane, mais la quantité de cette énergie fossile qui est utilisée peut être réduite par des systèmes de ventilation haute performance et, à terme, par du chauffage à l’électricité propre produite ici.
Par Eric Bédard
La firme de télécommunications Telus a procédé à une série d’acquisitions d’entreprises spécialisées en agronomie, traçage et gestion de la chaîne d’approvisionnement, désormais regroupées sous la bannière Telus Agriculture.
La nouvelle unité d’affaires vise à tirer parti des données afin d’améliorer l’efficacité, la productivité et les rendements au bénéfice des entreprises du secteur agroalimentaire et des consommateurs, indique l’entreprise.
Selon Telus, les différents acteurs du secteur agricole auront la possibilité d’utiliser ses systèmes de données évolués et d’intelligence artificielle pour simplifier leurs activités et améliorer la traçabilité des aliments.
« En numérisant toute la chaîne de valeur, de la ferme à la fourchette, et en reliant les technologies entre elles pour la première fois, nous faciliterons les échanges sécurisés de renseignements pour permettre aux agriculteurs, aux éleveurs, aux agroentreprises, au secteur agroalimentaire et aux consommateurs de prendre des décisions plus éclairées », a affirmé Darren Entwistle, président et chef de la direction de Telus lors du lancement.
Par Eric Bérard