Les travailleurs sur les chaînes d’approvisionnement en aéronautique ont-ils raison de s’inquiéter pour leur emploi face à la robotisation grandissante des activités ?
Non, disent tous les spécialistes interrogés sur cette question. À leur avis, les emplois sont appelés à évoluer et les travailleurs auront toujours leur raison d’être. Seule condition : savoir s’adapter à de nouvelles qualifications.
«Les PME devront prendre des responsabilités additionnelles, gérer la chaîne d’approvisionnement des plus petites entreprises et travailler avec moins de fournisseurs» – Jean Blondin, président, Abipa Canada (voir photo crédit Abipa Canada)
Chez Héroux-Devtek, le troisième plus important fabricant de trains d’atterrissage à l’échelle mondiale, la robotisation fait son chemin. Selon la nature des activités, l’entreprise estime que les robots effectuent 50 % du travail.
« Ça va toujours prendre des gens pour outiller, programmer et développer, les emplois sont appelés à évoluer de façon plus virtuelle avec plus de programmation, à résoudre les problèmes et à trouver la meilleure façon de fabriquer une pièce », explique Martin Brassard, vice-président et chef de l’exploitation, Héroux-Devtek.
Martin Brassard insiste pour dire que la robotisation et l’automatisation sont essentielles à la survie des entreprises d’ici. « Nous n’avons pas le choix d’aller de l’avant. Des pays comme le Mexique qui alloue un taux horaire de 10 $ l’heure à un opérateur pour faire fonctionner une machine sont impossibles à concurrencer. Or, l’utilisation d’un robot qui manoeuvre trois machines simultanément nous permet de l’être. Pourquoi ? Parce que les salaires sont trois plus élevés. »
«Si la PME est reconnue comme spécialiste, elle devrait conserver sa place parce qu’elle devient un incontournable dans l’industrie» – Martin Hamel, consultant externe, Aéro Montréal (voir photo crédit Aéro Montréal)
Chez Héroux-Devtek, on croit fermement que la tendance vers la robotisation va faire évoluer la nature des emplois et que cela va créer des opportunités au cours des prochaines années. L’entreprise met l’accent sur l’automatisation pour amortir les coûts des composantes.
« Si nous voulons concurrencer les pays dont les coûts de main-d’œuvre sont moins élevés, il faut trouver le moyen d’automatiser nos processus pour produire davantage avec les mêmes ressources que les autres pays », ajoute Martin Brassard.
Pour l’Équipe Humania, un groupe de spécialistes en gestion des ressources humaines, la tendance vers la robotisation est là pour demeurer et même s’accroître, mais cela aura des conséquences humaines sur certains emplois traditionnels comme celui de machiniste.
Et de quelle façon ? Par une diminution de l’importance du rôle de machiniste traditionnel qui devait bien manœuvrer, calibrer et opérer une machine 3 ou 5 axes.
« Malheureusement, ça va désintéresser certains machinistes en les éloignant des rudiments de leur métier du fait que leur côté mécanique et manuel ne sera plus utilisé. Certaines usines ne recrutent plus de machinistes, mais plutôt des gens qui ont un gros bon sens, capables de lire des plans, qui ont le sens de l’organisation », indique Patrick Bernier, président, Humania.
Pour lui, il est clair qu’on assiste à une déqualification du rôle de machiniste. « C’est moins valorisant et nous en sommes qu’au début seulement. Et dans un horizon de 15 ans, nous allons assister davantage à des changements. C’est aussi une réponse de l’industrie à trouver des machinistes et aux enjeux des coûts. Car il ne faut pas perdre de vue qu’une grosse partie des coûts de machinage est attribuée au temps travaillé par le machiniste », ajoute Patrick Bernier.
Selon Humania, deux impacts majeurs sont à prévoir : l’Occident étant moins concurrentiel qu’autrefois et face au déménagement d’entreprises, les coûts de production doivent absolument diminuer. Et en ce sens, Humania estime que la robotisation est un choix incontournable, mais que l’intervention humaine sera toujours nécessaire.
Le deuxième impact est celui de faire appel au développement des connaissances et de la spécialisation. « La complexité et les normes de production sont appelées à augmenter pour répondre aux besoins des gros clients tels Pratt & Whitney et Bombardier.
Ce qui va entraîner la mise sur pied de programmes de formation, où le savoir sera partagé à l’image d’une encyclopédie virtuelle accessible à tous. L’accentuation d’innovation entraîne la flexibilité des programmes de formation et l’obligation de polyvalence chez les travailleurs. Cet impact est réel maintenant », poursuit Patrick Bernier.
Pour devancer les concurrents, Humania propose de consolider les chaînes d’approvisionnement afin de créer un meilleur pouvoir d’achat. Mieux encore, fusionner 3-4 entreprises de la chaîne d’approvisionnement pour leur permettre d’avoir accès à un plus grand bassin de main-d’œuvre et un meilleur pouvoir de négociation.
Selon le Partage Automatisé des Ressources dans des Communautés (PARC), la tendance vers la robotisation est l’occasion de mettre en valeur les hautes compétences des travailleurs. Un projet mobilisateur de 2,9 M$ de PARC vise à faire l’expérience du partage des ressources tant humaines que matérielles et de données dans des communautés d’entreprises et d’organisations. L’objectif ultime est de formaliser ces processus de partage sur un système expert technologique.
« Plusieurs entreprises sont déjà participantes comme Bell Helicopter, Aéro Montréal et Pratt & Whitney. Elles sont toutes préoccupées à faire évoluer la gestion de nos ressources. Toutes les parties prenantes d’une chaîne d’approvisionnement ont un intérêt commun à trouver des solutions », précise Marie-Chantal Chassé, présidente, PARC.
À son avis, les entreprises qui acceptent de partager les ressources vont gagner en efficacité en raison de la création innovante de la continuité d’emplois.
« La société québécoise est en train de se concerter pour innover d’une façon technologique, humaine, sociale et organisationnelle. On ne peut pas laisser l’innovation dormir, il faut être inventif dans nos façons de faire et que nos ressources soient pleinement mises à contribution. La communauté aéronautique est en train de s’ouvrir envers ces nouveaux modèles de communautés de coopération entre les organisations. C’est extrêmement positif et emballant », soutient Marie-Chantal Chassé.
De son côté, le vice-président, développement des affaires chez PARC, Patrick Philipps, précise qu’en raison des cycles économiques dans l’aéronautique, la ressource humaine pourrait continuer à travailler dans le marché pour une entreprise sur un projet spécifique autre en attendant le retour des activités. « Le but est de ne pas perdre le savoir, la connaissance et l’employé qui a pris des années à être formé dans une discipline donnée. »
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