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La petite fille aux boulons devenue femme d’affaires d’exception

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Par Eric Bérard

C’est la période des Fêtes, laissons-nous aller à un moment de nostalgie. Vous vous rappelez du conte « La petite fille aux allumettes », une enfant qui vendait ces petits bouts de bois aux passants pour gagner sa vie?

Dans un registre similaire mais beaucoup moins tragique, Marie-Claude Desrochers apprenait plutôt les rudiments de la vente de boulons au sein de l’entreprise familiale de fournitures industrielles lorsqu’elle était jeune fille.

Aujourd’hui, la femme de 44 ans est présidente-directrice générale d’EIJ (Équipements Industriels Joliette) et a récemment été nommée parmi les meilleures gestionnaires d’entreprises d’ici par le Réseau des femmes d’affaires du Québec.

En grande entrevue au Magazine MCI, Marie-Claude Desrochers avoue qu’elle a vécu des sentiments un peu contradictoires lorsqu’elle a appris la nouvelle de sa prestigieuse nomination.

« J’étais surprise et j’étais fière en même temps. Briller, c’est difficile des fois. Il y a quelque chose de le fun mais aussi de gênant là-dedans, ça me sortait de ma zone de confort », dit-elle.

Au gala de remise des prix, elle a invité tous les membres de son équipe ayant cumulé une vingtaine d’années dans l’entreprise.

« L’entreprise a 53 ans d’histoire et j’ai des gens qui ont travaillé avec mon grand-père, mon père et moi. C’était le fun de le partager parce que ces gens-là ont aussi vécu le changement de patrons et les changements dans l’entreprise », dit la diplômée des HEC.

Et la spécialiste en marketing en elle ne peut nier qu’une distinction comme celle-là ne peut être que positive pour l’image et la visibilité de son entreprise.

« Je n’ai jamais eu autant de vues son mon LinkedIn », dit-elle en s’esclaffant de son rire contagieux.

Justement, pourquoi avoir choisi le marketing plutôt qu’une discipline plus directement collée au milieu industriel, le génie mécanique par exemple? Sa réponse est à la fois toute simple et empreinte de gros bon sens.

« Si on n’a pas de clients pour nous, on n’a pas d’entreprise », dit-elle dans un premier temps. En effet, c’est l’ABC des affaires.

« Mon père avait fait comptable, et moi ça ne me tentait vraiment pas d’être un comptable. Par contre, tout ce qui est ventes, positionnement sur le marché, c’est toujours ça qui m’a intéressée. »

L’approche clientèle, la stratégie de différenciation, la manière d’aborder les marchés, sont des aspects de son travail qui la passionnent.

Faire sa place dans un monde d’hommes

Reste que la quincaillerie industrielle, c’est un monde d’hommes et, dans ce contexte à forte prédominance masculine, elle a dû faire ses preuves.

Question de bien la préparer à prendre la relève, son père Louis l’a fait travailler dans tous les départements de l’entreprise lorsqu’elle en a officiellement joint les rangs à l’âge de 22 ans.

« Que ce soit l’entreposage, la préparation de commandes, l’expédition, le service à la clientèle, les achats : j’ai tout appris notre entreprise de fond en comble », témoigne Mme Desrochers.

La passation du flambeau de son père vers elle, en 2010, s’est passée sans heurts ou jalousie au sein de la famille. Elle n’a qu’une sœur, dont les intérêts se portent vers d’autres sphères d’activités.

« Ça s’est fait naturellement », dit-elle au sujet de la transition père-fille à la présidence de l’entreprise en 2010. « Depuis mon tout jeune âge, je n’ai jamais pensé que j’allais faire autre chose dans la vie. »

« Il y a quand même une différence entre travailler pour son père et être le président-directeur général de l’entreprise. Il y a une bonne marche entre les deux jobs », s’exclame-t-elle dans un autre éclat de rire.

En effet, son parcours n’a pas été un chemin parsemé de roses. Il y a eu des embûches et des préjugés à surmonter.

« Je me rappelle de clients qui m’ont dit que je n’étais pas à ma place », se souvient la femme d’affaires.

Au comptoir de pièces à l’avant du commerce, certains préféraient ignorer la jeune femme.

« Il est arrivé que j’aille répondre à un client et qu’il ne me regarde même pas. Il regardait l’homme derrière moi », se souvient-elle.

Le plus cocasse (ou le plus désolant, c’est selon), c’est qu’on lui préférait parfois des collègues masculins qui avaient été formés par… elle, donc qu’elle dépassait nettement en connaissances et en compétences.

« Au début je le prenais vraiment dur. Je ne comprenais pas qu’ils ne veuillent pas faire affaire avec moi. »

Marie-Claude a également eu à faire sa place auprès des fournisseurs. Il fallait établir le climat de confiance nécessaire à toute négociation d’affaires fructueuse.

« Il a fallu que j’en prouve des choses aux gens, il a fallu que j’en prouve des choses à nos clients, à nos fournisseurs, aux employés aussi. Il a fallu que je fasse mes preuves sans arrêt, en fait », dit celle qui s’autoproclame avec une pointe d’humour “experte des boulons” chez EIJ.

Ses efforts ont porté fruit.

« Avec le temps, les gens comprennent que tu prends à cœur leurs besoins, leurs demandes et que si tu n’as pas la réponse, tu vas aller la trouver », dit-elle au sujet du respect à son endroit qui est allé grandissant.

Accueillir tous les genres et différences

Pour Mme Desrochers, prendre sa place de femme ne signifie pas lutter contre les hommes.

C’est d’ailleurs la position qu’elle défend au sein du Gender Equity Network.

« Le Gender Equity Network, c’est un réseau à l’intérieur de mon groupement d’achats [Affiliated Distributors] dont le but est, oui de promouvoir la présence de la femme dans le milieu industriel, mais aussi de ne pas oublier que c’est la force de tous les genres qui fait qu’on bâtit des choses exceptionnelles. »

Au sein de sa propre entreprise, elle estime que la répartition de sa main-d’œuvre est d’environ 55 % d’hommes et 45 % de femmes. Et celles-ci ne se retrouvent pas seulement dans les bureaux.

« Dans tous mes départements il y a des femmes », affirme-t-elle fièrement.

Et même s’il a été démontré qu’il n’est pas facile d’attirer des femmes en milieu industriel, la patronne d’EIJ Québec croit que les modèles féminins peuvent avoir un effet d’émulation et amener d’autres femmes et filles à regarder ce secteur d’activité d’un œil favorable.

« Je sais que j’ai des femmes qui sont venues travailler avec moi parce qu’il y avait une femme qui dirigeait », témoigne Mme Desrochers, qui porte par ailleurs une attention particulière à la manière inclusive dont sont présentées ses offres d’emploi, mettant notamment l’accent sur les valeurs du milieu de travail au-delà des simples descriptions de tâches.

« Quand on affiche une job, on a autant de femmes que d’hommes qui appliquent. Mais je sais qu’il y en a d’autres qui ont plus de difficulté à attirer des femmes », constate-t-elle.

Conciliation travail-famille… pitous

Au moment de notre entrevue, la grève dans le secteur public s’amorçait et plusieurs parents, hommes et femmes, avaient du mal à trouver un endroit sûr où occuper leurs enfants privés d’école.

Pas de problème chez EIJ.

« Si quelqu’un a de la difficulté, ne trouve pas de garderie ou quoi que ce soit, si il ou elle peut travailler à la maison le travail se fera de la maison. Il est déjà arrivé que des gens sont venus travailler au bureau avec leur enfant », explique Mme Desrochers.

« Moi mon rôle, c’est de créer un bel environnement de travail pour ma gang. C’est ça mon rôle. Tout en étant capable de bien répondre à nos clients et d’effectuer le travail qui doit être fait. Le but est de s’entraider ensemble. On forme comme une petite communauté », dit-elle.

Cette communauté compte parmi ses membres un employé atteint d’un trouble du spectre de l’autisme.

Il est arrivé à quelques occasions que des collègues arrivent au travail accompagnés de leur chien parce qu’il n’y avait personne d’autre pour prendre soin de pitou.

« Cette personne-là, elle ne parlait pas. Mais quand les gens se sont mis à amener leur chien, il s’est tellement ouvert ça n’a aucun bon sens. Pendant ses pauses il allait flatter le chien. C’est incroyable comme ça a changé cette personne-là, c’est fou », observe Mme Desrochers au sujet de cette personne, finalement pas si “différente”.

« Je pense que le fait que je permette cette flexibilité-là, les gens me le redonnent. C’est donnant-donnant et ça fonctionne bien pour nous », dit la gestionnaire pour qui le bonheur au travail est gage de performance.

Et l’entreprise dans tout ça?

Lorsque le grand-père de Marie-Claude a fondé EIJ, celle-ci ne vendait que des boulons. Puis, son père s’est dit que l’entreprise pouvait vendre plus que des boulons aux usines et il a introduit une gamme plus large de produits industriels.

Aujourd’hui, sa clientèle est composée d’entreprises du secteur aéronautique, du secteur manufacturier en général, des applications métalliques ainsi que de l’agroalimentaire, de la construction et du transport, entre autres.

Depuis l’arrivée de Marie-Claude, EIJ a ajouté un volet gestion d’inventaires à sa palette de services.

La jeune femme d’affaires s’était mise à calculer les coûts en temps et ressources que représentaient les approvisionnements chez ses clients.

« J’en suis venue à la conclusion de me dire que, si je peux de sauver un P.O. par semaine à ma clientèle, c’est plus de 4 000 $ de temps que je leur redonne où ils peuvent se concentrer sur leur production. »

Au-delà des machines distributrices de biens de consommation courante en usine ou de casiers intelligents, EIJ peut entièrement assurer l’approvisionnement de ses usines clientes, en impartition.

Nous nous sommes faits l’avocat du diable et avons demandé à Mme Desrochers si ce n’était pas là une formidable manière de fidéliser la clientèle en s’assurant qu’elle achète toujours chez elle. Pour un pro du marketing, ce serait logique, non?

Les choses ne sont pas aussi simples, précise-t-elle, disant qu’il y a un revers à cette médaille.

« Ça nous met aussi de la pression sur nous, parce qu’on est responsables. En période de COVID, mes clients il ne fallait pas qu’ils manquent de stock parce qu’on est dans du juste à temps, on est dans de la consignation. Mon client peut m’appeler et me dire “Marie-Claude, ça marche pas”.

« Je deviens comme un employé, avec une évaluation, et si je ne fais pas ma job, je me fais mettre dehors », dit-elle au sujet des responsabilités qui lui incombent.

Parmi les produits vedettes d’EIJ on retrouve, bien sûr, des boulons, mais aussi des items tels que de l’équipement de sécurité, des disques abrasifs pour les meuleuses, des adhésifs, de l’outillage de coupe, des compresseurs d’air et outils pneumatiques ou encore des outils de précision.

Et depuis peu, Marie-Claude a ajouté à la gamme des produits sanitaires de base comme du savon à main, des sacs à ordures, des essuie-tout et même du papier hygiénique.

Parce que, parfois, un boulon ne suffit pas!

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