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Jun

La pénurie de main-d’œuvre prend de l’ampleur au Québec et freine la relance économique

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Si vous êtes propriétaire d’une entreprise, vous avez sans doute vécu directement les impacts causés par le manque de main-d’œuvre disponible. Avoir de la difficulté à recruter et à garder vos meilleurs employés, être obligé de refuser des contrats par manque de main-d’œuvre, voilà quelques exemples des défis posés par la pénurie de main-d’œuvre qui sévit actuellement au Québec.

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) talonne quotidiennement le gouvernement au sujet de la pénurie de main-d’œuvre. Clémence Joly, analyste des politiques pour l’organisation, a récemment publié une étude qui démontre qu’une intervention gouvernementale encore plus forte est nécessaire pour lutter contre ce phénomène.

Les entrepreneurs québécois souffrent davantage de la pénurie de main-d’œuvre durant la crise de la COVID-19. L’étude de la FCEI révèle cette réalité assez préoccupante des propriétaires de PME. « Nos données sont actuelles et tentent de retranscrire, sans filtre, la réalité du terrain. Elles prennent le pouls du quotidien des entrepreneurs, de leurs défis, de leurs préoccupations et de leurs attentes en tenant compte de la crise sans précédent qu’ils vivent en ce moment », commente Clémence Joly, analyste des politiques pour la FCEI et auteure de cette recherche.

Mais la pénurie de main-d’œuvre n’est pas un phénomène nouveau au Québec, où il perdure depuis des décennies. Un taux de chômage particulièrement bas (autour de 6,4 % actuellement selon Statistique Canada) augmente la pression sur les PME qui éprouvent des difficultés à trouver la perle rare et/ou à la retenir. Cette situation s’est même accentuée durant la pandémie de COVID-19. « Ce n’est pas qu’une question d’un manque d’arrimage entre les besoins du marché du travail et les candidats disponibles, il manque tout simplement des candidats », poursuit Clémence Joly. « Cela touche toutes les industries, toutes les qualifications d’emploi et toutes les régions du Québec. Selon notre étude, 51 % des entrepreneurs, tous domaines confondus, ont dû travailler davantage pour pallier le manque de personnel. Et les secteurs manufacturiers, de l’hébergement et de la restauration et du commerce de gros et de détail sont les plus touchés par les impacts de la pénurie de main-d’œuvre. »

D’ailleurs, l’étude révèle que 41 % des entrepreneurs issus du secteur manufacturier ont dû effectuer plus d’heures de travail pour combler le manque de main-d’œuvre, 30 % ont dû annuler des ventes ou des contrats et 30 % ont été contraints de prolonger la durée de leurs contrats.

En plus d’exercer une pression supplémentaire sur les entrepreneurs, la pénurie de main-d’œuvre freine la productivité des entreprises québécoises. Les conséquences peuvent être dramatiques pour les entrepreneurs. En baissant leur productivité, les PME font face à une nouvelle difficulté. « Beaucoup d’entreprises souffrent d’un manque d’effectifs et par conséquent, de possibilités de développement manquées si elles sont obligées de refuser des ventes et des contrats ou de reporter des projets. Près d’un manufacturier sur trois a perdu au moins une opportunité d’affaires ! », s’inquiète Mme Joly. Alors que les entrepreneurs traversent certainement la pire crise de leur existence depuis plus d’un an à cause de la pandémie, ces différentes opportunités sont aussi une question de survie pour les entreprises. Les données de la FCEI démontrent que les PME fonctionnent encore au ralenti. En date du 13 avril 2021, seulement 60 % des PME du Québec étaient complètement ouvertes. « Cela fait obstacle à la reprise et à la croissance des entreprises qui sont le cœur de notre économie. Plus les PME du Québec fonctionneront à plein régime, plus la pénurie de main-d’œuvre se fera ressentir », prédit la représentante de la FCEI.

« La pandémie et les restrictions économiques, surtout lors de la première vague, ont pris le pas sur la pénurie de main-d’œuvre, mais ce phénomène criant a juste été mis sur pause un court instant », poursuit l’analyste. « Voilà pourquoi les PME demandent au gouvernement de poursuivre les investissements et les efforts pour les aider à relever ce défi qui les empêche de fonctionner pleinement. De bonnes mesures et programmes existent déjà en termes d’emploi, de recrutement, de requalification de la main-d’œuvre, de formation et de rétention des travailleurs, etc. Mais on peut en faire plus, aller encore plus loin dans le soutien et les ressources offerts spécifiquement aux entreprises aux prises avec cette pénurie. » Alléger les taxes et les impôts des PME (54 %), améliorer les crédits d’impôt pour les entreprises afin de leur permettre d’offrir de meilleures conditions de travail (52 %) et les accompagner dans la recherche de candidats (41 %) sont les trois premières mesures supplémentaires demandées par les entrepreneurs œuvrant dans le secteur manufacturier que le gouvernement pourrait prendre pour résorber cette pénurie.

Il existe des solutions et des gestes à poser. Le climat entrepreneurial doit favoriser le marché du travail. L’écosystème d’affaires doit pouvoir évoluer dans les meilleures conditions et perspectives possibles. L’enjeu est dans les mains du gouvernement selon l’experte de la FCEI. « Nous tenons à sensibiliser le gouvernement sur le retour en force de la pénurie de main-d’œuvre, et nous l’invitons à considérer plusieurs pistes de réflexion pour en réduire ses impacts. Au milieu de tout cela, et il ne faut surtout pas l’oublier, le recours aux travailleurs issus de l’immigration est aussi une avenue à privilégier, voire à prioriser », fait remarquer Clément Joly.

Faire venir des talents au Québec n’est pas évident actuellement. Indépendamment du contexte de la pandémie, les procédures d’immigration constituent un fardeau important : les étapes administratives, les délais d’attente et la sélection peuvent être de sérieux freins au besoin de main-d’œuvre urgent. La FCEI sondera d’ailleurs ses membres au sujet de l’immigration en mai. « L’immigration fait partie des leviers à activer dans le coffre à outils qui en compte bien d’autres tellement l’enjeu est criant pour les entrepreneurs québécois », assure Clémence Joly. « Le gouvernement peut aussi très bien limiter les contrecoups de la pénurie et aider les PME en baissant les taxes et les impôts des PME, ou encore en bonifiant les crédits d’impôt. Offrir des incitatifs fiscaux permettrait à nos entreprises d’avoir plus de flexibilité, d’agilité et d’être plus concurrentielles en proposant par exemple une bonification des conditions de travail, de la formation aux employés ou l’acquisition de machines ou d’outillages. D’ailleurs, c’est ce que feraient les PME si le fardeau fiscal était allégé. Les entrepreneurs du Québec pourront composer avec l’enjeu en étant accompagnés pour y faire face et en ayant les outils et moyens nécessaires mis en place par le gouvernement », ajoute Clémence Joly.

Dans son malheur, le Québec peut se targuer d’avoir des arguments pour se tirer d’affaire, mais il faut être prudent pour ne pas tomber dans un piège. On peut penser que cela signifie que l’économie va bien, que les entreprises ont tendance à enregistrer une croissance, à mettre en place des plans d’embauche à court, moyen et long terme et qu’elles ont besoin d’effectifs supplémentaires pour répondre à l’augmentation significative de la demande. Mais il ne faut pas oublier la pyramide des âges du Québec. « Certains pourraient se servir de la pénurie de main-d’œuvre pour faire pression sur les entreprises, notamment pour stimuler des augmentations salariales. Attention ! », nous avertit Clémence Joly. « Si on répond mal aux besoins de main-d’œuvre des entreprises ou qu’on tarde à les outiller convenablement au pire de la crise, il sera probablement trop tard pour contrer les effets négatifs. Cela pourrait entraîner des pertes économiques, d’opportunités et d’expertise. Ce serait comme lancer au loin la clé pour redémarrer l’économie du Québec. Ce n’est pas demain qu’il faut agir, mais bel et bien maintenant. » Tel pourrait être le salut de l’économie québécoise.

Par Julien Dubois, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante

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