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May

La pandémie a étiré l’élastique au maximum

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Logistique du transport

La logistique de transport requise pour assurer les approvisionnements des entreprises manufacturières et des détaillants est comme un élastique sur lequel on peut tirer jusqu’à un certain point. Les perturbations causées par la pandémie de la COVID-19 se font toujours sentir dans les différents modes de transport, après un peu plus d’une année de restrictions sanitaires.

Le maillon le plus perturbé a certainement été celui du transport maritime, selon M. Denis Gendron, vice-président aux ventes et aux relations publiques chez Dolbec International. À cause du rôle prédominant de la Chine dans les échanges internationaux, les premières fermetures d’usines ont eu lieu là-bas.

« Les armateurs ont perdu de l’argent, durant cette période. Lorsque les affaires ont repris, ils ont décidé de remettre moins de bateaux sur la mer, ce qui a créé une rareté dans l’offre de transport», dit-il.

En plus, le retour des conteneurs vides vers la Chine n’est pas une activité très payante pour les armateurs. En conséquence, le prix du transport par conteneur a presque doublé. « Je crois que cet impact sera encore ressenti pour un bon bout de temps. La rareté va continuer, car les armateurs ont perdu tellement d’argent qu’ils ne remettront pas tous les bateaux à l’eau tout de suite », ajoute M. Gendron.

Ports paralysés

Au Canada, la première vague de la pandémie au printemps 2020 a créé une paralysie des activités portuaires dans tout l’ouest de l’Amérique du Nord, ce qui a provoqué des « problèmes épouvantables de congestion ». Le déchargement des bateaux a été retardé et cet effet se fera sentir encore longtemps, selon M. Gendron: « L’impact de tout ça durera encore un certain temps et finira par s’atténuer, et l’économie reprendra sa vitesse normale ».

L’interdiction des voyages vers l’étranger a interrompu le tourisme et le transport de passagers. Une partie de la soute des avions qui transportent des touristes est souvent utilisée pour le transport par cargo.

« La capacité est réduite là aussi. Les clients doivent donc se retourner vers les entreprises spécialisées comme Fedex ou UPS qui ont leur propre flotte. Certaines compagnies aériennes, comme Cathay Pacific, ont converti des avions pour faire seulement du cargo, et celle-là passe par Vancouver. Par contre, leur priorité demeure le transport de vaccins», indique Denis Gendron.

En mode solution

Des manufacturiers d’ici ont manqué de pièces. Certains ont dû suspendre ou ralentir leur production. « Nous sommes chanceux, nous n’en avons pas tellement, des clients qui sont des fournisseurs directs du commerce de détail et des boutiques », poursuit M. Gendron.

Chez Dolbec International, firme de courtage en transport, on a dû trouver de nouvelles façons de régler des besoins urgents. « C’est une question de coûts. Quand le transport maritime fonctionnera normalement, et l’aérien aussi, les clients vont retourner vers des solutions classiques », indique Denis Gendron.

« Par exemple, on a aidé des clients à obtenir des codes de transporteurs pour aller chercher leurs marchandises aux États-Unis; ces gens n’avaient pas besoin de le faire auparavant », précise-t-il.

« J’ai découvert un nouveau marché dont on ne s’occupait pas auparavant, l’importation et l’exportation d’animaux domestiques, chiens et chats, indique M. Gendron. Les gens qui en faisaient avant pouvaient se dédouaner eux-mêmes. Mais comme ce ne sont pas des transporteurs, j’ai aidé des gens à obtenir un code de transporteur, et ils ont pu utiliser nos services pour le dédouanement », dit-il.

Denis Gendron siège à divers comités de l’Association canadienne des courtiers en douanes, et tout le monde ou presque travaille désormais à partir de son domicile. « Le télétravail risque de perdurer après la pandémie », estime-t-il. La partie manutention des marchandises est maintenue, mais toutes les activités de saisie de données et de traitement informatique sont faites en mode numérique et en télétravail.

À l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), la presque totalité du dédouanement commercial se passe à Montréal. « On est relié par un système numérique, qui s’appelle le SW (Single Window), en vigueur depuis juillet et août 2020. L’ASFC ne veut plus avoir à traiter des documents, ce sont des données avec des codes. On était déjà là-dedans, mais la pandémie a permis d’accélérer la mise en place», explique-t-il.

Selon M. Gendron, d’ici la fin de 2021, « on devrait être revenu à peu près sur la même voie qu’avant la pandémie. À Québec, on le voit déjà que ça recommence à être difficile de trouver de la main-d’œuvre, comme c’était le cas en février 2020», note M. Gendron.

Chez Dolbec International, on voit d’un très bon œil le projet Laurentia au port de Québec, qui vise à implanter un terminal de conteneurs. « Ça amènerait une nouvelle économie à Québec. On n’en a pas, des livraisons de conteneurs par bateau à Québec. Les conteneurs qui arrivent et qu’on peut déconsolider, c’est de la business de plus pour nous, c’est sûr », conclut M. Gendron.

Reprise aussi à Montréal

Selon M. Jean-François Drolet, vice-président ventes et marketing chez Omnitrans, les pépins n’ont pas manqué en matière de logistique des chaînes d’approvisionnement. Le transport ferroviaire a été plusieurs fois perturbé par les blocus ou par les sinistres climatiques. « On vit une tempête parfaite dans la logistique du transport depuis le quatrième trimestre de 2019. La pandémie a empiré tout ça », dit-il.

La situation est loin d’être revenue à la normale et ne se sera pas stabilisée avant le troisième trimestre de 2021, estime le porte-parole d’Omnitrans. « Les ports principaux fonctionnent actuellement à 40 % au-dessus de leur capacité. On n’est pas sorti du bois. Ce que ça provoque, tant du côté est que du côté ouest, on voit des ruptures d’équipement », indique M. Drolet.

Les nouvelles éclosions associées aux mutations du coronavirus affectent les fournisseurs de composants et de pièces dans plusieurs pays. « Les importateurs essaient de mitiger les risques en réduisant la taille des commandes. On a un peu appris de la première vague, et on essaie de mieux gérer le flot des stocks afin d’éviter la cassure brutale dans la chaîne d’approvisionnement », souligne Jean-François Drolet.

Des ports submergés

Pendant les premiers mois de la pandémie, les ports de l’Amérique du Nord ont été embourbés par des conteneurs qui ne pouvaient être livrés vers leur destination en raison de la fermeture des établissements. Les activités de déchargement ont repris depuis. Les bateaux font la file pour entrer au port de Los Angeles ou de Vancouver, et ils ne reviennent pas à temps en Asie pour reprendre les livraisons. Dans le courtage de transport, on appelle cela le « blank sailing ».

« Ça reste un problème très grave, et la situation nous force à improviser régulièrement. On est parfois obligé de trouver des solutions sur mesure, au lieu de se fier à un processus qui est très fluide en temps normal », précise M. Drolet.

Numérisation des opérations

Comme chez Dolbec International, le personnel d’Omnitrans à Montréal a rapidement été confiné à la maison en mode télétravail. « Nous avons dû démontrer notre capacité à faire rouler nos processus dans un environnement à distance, en mode numérique. Cela a représenté tout un ajustement », souligne Jean-FrançoisDrolet.

Par ses bureaux en Chine, Omnitrans a vu venir les problèmes quand la production manufacturière a été suspendue, tout comme les exportations. « On a eu un mois et demi pour nous préparer à ce qui s’en venait. On avait déjà commencé à préparer notre stratégie pour le travail à distance », dit-il

Veille stratégique

Mme Valérie Fiset, conseillère commerciale, souligne qu’Omnitrans mène une veille stratégique qui aide l’équipe responsable du développement des affaires à planifier les opérations de transport et de dédouanement. « On essaie ainsi d’agencer les morceaux du puzzle et d’être proactifs », dit-elle.

À la mi-avril 2021, le conflit de travail au port de Montréal est un sujet de préoccupation. « On est déjà en train de chercher des stratégies pour mieux informer nos clients sur les impacts possibles du conflit, et sur les autres voies de livraison qu’on peut imaginer pour leur acheminer leur marchandise », ajoute Mme Fiset.

Le port de Halifax a déjà informé les transporteurs que les navires déjà en route pour livrer des marchandises à Montréal ne pourront être détournés vers la Nouvelle-Écosse, précise Jean-François Drolet. « Il faut aviser notre client que s’il y a grève à Montréal, il doit lui-même revoir sa planification pour faire arriver ses livraisons à Halifax ou ailleurs sur la côte est, selon l’endroit final où la marchandise est destinée », ajoute-t-il.

Le transport maritime a vécu de nombreux bouleversements ces dernières années. Même si la demande des clients était très élevée fin 2019, les concurrents étaient très nombreux, ce qui maintenait les prix très bas. « Les transporteurs acceptent de naviguer à perte, pour un coût de 7000 $ US à 8000 $ US par jour, alors que ça coûte de 15000 $ US à 20000 $ US par jour pour exploiter un navire de cargo », explique M. Drolet.

Des armateurs ont été pénalisés par les premiers mois de la pandémie et l’offre a été réduite. Les taux ont grimpé en flèche, alors « les flottes de navires ne sont pas à plaindre », dit-il.

Dans le transport aérien, les taux sont revenus un peu plus près de la normale. « On est en temps normal autour de 3 $ le kilo, on a atteint les 22 $ au pire de la pandémie. C’est revenu plus proche de la normale, les tarifs sont redevenus plus raisonnables. »

L’agilité et la flexibilité sont devenues des mots-clés, insiste Jean-François Drolet. « Tous les transporteurs ont ajusté leurs avions pour profiter de cette vague, surtout au début quand on avait besoin des équipements de protection. Les avions ont surtout servi à ça dans les premiers mois de la pandémie. »

Agilité de la distribution

La pandémie et la fermeture de nombreux établissements a forcé plusieurs fabricants à distribuer eux-mêmes leurs produits en les offrant sur des plateformes numériques. Certains étaient mieux préparés que d’autres à affronter la nouvelle demande des consommateurs. « Les clients qui ont eu la meilleure stratégie numérique ont vraiment connu une forte expansion de leurs affaires en raison de la pandémie. Tu ne peux plus te fier seulement à ton espace de détaillant pour générer des revenus », souligne M. Drolet.

Pendant qu’à Québec, les autorités portuaires tentent de faire accepter le projet Laurentia, le port de Montréal a déjà le support des paliers de gouvernement pour son projet d’agrandissement à Contrecœur. Chez Omnitrans, ce projet est vu d’un bon œil. « Tout ce qui peut améliorer la compétitivité de Montréal comme pôle logistique de transport dans l’est de l’Amérique du Nord, c’est une bonne nouvelle », note M. Drolet. Le projet contribuera à attirer de nouvelles entreprises dans l’import-export et augmentera la demande pour les services d’Omnitrans, conclut-il.

Canal de Suez

Lors de notre entretien en visioconférence tenu à la fin de mars, les autorités égyptiennes annonçaient la réouverture du canal de Suez. Cette voie maritime essentielle était obstruée depuis une semaine par l’échouage d’un porte-conteneurs de très grande taille. « Le canal de Suez, c’est la porte d’entrée vers l’Europe pour tout ce qui part de l’Inde et de l’Asie. Une bonne partie des exportations de l’Asie passe par là. L’endroit est très occupé », confirme M. Drolet.

Les navires qui y passent doivent être escortés par des gardes armés et des pilotes égyptiens. « Le monde entier est touché par ce qu’il se passe là. Le temps qu’un avis soit émis pour nous suggérer de changer les routes, cela crée un effet domino évident et cela provoque des délais de livraison énormes », explique M. Drolet.

Les clients d’Omnitrans devront recourir au transport aérien pour obtenir des livraisons urgentes, si les délais associés au blocage du canal de Suez les affectent indûment. « Si un détaillant comme Wal-Mart attend ta livraison de marchandises, tu dois être là à l’heure prévue, sinon tout l’appel d’offres peut être annulé », précise M. Drolet.

Par Alain Castonguay

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