19
Mar

La décarbonation industrielle n’est plus une option

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Auteur:  
Eric Bérard

Efficacité énergétique, matériaux avancés, circularité

« La nécessité est la mère de l'invention », disait le philosophe Platon à l’ère de la Grèce Antique. Et même si cette ère est disparue depuis plus de deux millénaires, le précepte tient toujours.

La nécessité aujourd’hui, c’est celle de la décarbonation de l’activité humaine, qui dérègle le climat par l’effet de serre et menace la survie même de notre espèce avec la multiplication des désastres naturels comme les inondations et les incendies incontrôlés.

Le secteur industriel a un grand rôle à jouer dans ce virage puisque, à lui seul, il est responsable de 32% de toutes les émissions de gaz à effet de serre (GES) produites au Québec.

Cette statistique provient d’un document que tous ceux et celles qui gravitent autour du secteur industriel devraient consulter. Il suffit de taper « Guide sur la décarbonation industrielle compétitive » dans votre moteur de recherche favori et il sera disponible en format PDF pouvant être téléchargé gratuitement.

Le document a été rédigé par Jacques Harvey, un spécialiste de l’énergie et de la décarbonation industrielle, pour le compte de PRIMA Québec (Pôle de recherche et d'innovation en matériaux avancés) et du CRITM (Consortium de recherche et d'innovation en transformation métallique).

Marie-Pierre Ippersiel est présidente-directrice générale de PRIMA Québec et elle a accordé une entrevue au Magazine MCI pour expliquer les motivations qui ont été à la genèse de ce projet.

Documentation et effet d’émulation

Il s’agissait d’abord de documenter l’écosystème déjà existant de la décarbonation industrielle au Québec. Après tout, on ne peut gérer que ce que l’on peut mesurer.

En discutant avec l’experte qui a également été vice-présidente des opérations chez Écotech, la grappe des technologies propres du Québec, avant de se joindre à PRIMA, on comprend mieux pourquoi des spécialistes des matériaux avancés sont bien placés pour mener la charge d’un mouvement de décarbonation industrielle.

« Toutes les technologies propres, la carboneutralité, la réduction de l’empreinte carbone, c’est un peu l’univers dans lequel j’étais avant et, quand je suis arrivée chez PRIMA, je me suis dit “les matériaux sont complètement en amont dans la chaîne” », nous dit Mme Ippersiel.

« Nous n’aurions pas de véhicules électriques sans matériaux avancés. Pas de technologie propre qui permet d’assainir les eaux, l’air, sans les membranes, les filtres : les matériaux [avancés] sont partout », ajoute-t-elle, soulignant que plusieurs de ces innovations sont le fruit de travaux de recherche et développement menés ici même au Québec, et dont les résultats peuvent être repris par d’autres entreprises.

L’effet d’émulation, c’est exactement ce que souhaite la PDG de PRIMA, pour qui il est impératif de mettre de l’avant les industries qui réussissent le mieux la transition énergétique et la réduction de leur empreinte carbone.

« On espère que ça va donner le goût et que ça va peut-être faire comprendre à d’autres entreprises que c’est possible puisque d’autres l’ont fait. Il faut contaminer les gens avec de beaux cas comme ça », dit-elle au sujet d’entreprises telles que Congebec, à qui un article complet est consacré dans ce numéro en page 31.

Entre autres initiatives, Congebec récupère la chaleur des compresseurs de réfrigération de ses entrepôts frigorifiques pour chauffer ses bureaux et d’autres installations partout au Canada, en plus d’utiliser comme élément réfrigérant du CO2 provenant d’opérations de captage de carbone.

Une logique gagnant-gagnant

Ce n’est pas seulement bénéfique pour l’environnement puisque cela réduit les besoins en énergies fossiles dans les provinces où l’électricité propre n’est pas aussi abondante qu’au Québec, c’est également rentable sur le plan des affaires puisque cela contribue à réduire les dépenses.

Déjà plusieurs autres entreprises ont compris cette logique « gagnant-gagnant », estime Mme Ippersiel.

Son équipe et elle ont constaté que là où les entreprises mettent le plus d’efforts et de ressources, c’est justement dans tout ce qui touche à l’efficacité énergétique de leurs procédés.

« Il y a des solutions qui existent », dit-elle au sujet de l’électrification et de l’efficacité énergétique. « Vaut mieux commencer par des solutions comme ça, qui sont connues et qui sont maîtrisées par plusieurs, et on pourra faire un petit bout de chemin. »

« Dans les processus industriels, il y a très certainement des efforts à faire au niveau de l’efficacité énergétique. C’est une solution qui est immédiate et qui est peu coûteuse. »

Elle pense par exemple à la valorisation des résidus de production et aux nouvelles technologies de chauffage, auxquelles le chercheur Jacques Harvey consacre un chapitre entier de son Guide vers la décarbonation industrielle, démontrant à quel point les systèmes actuels sont des sources de gaspillage d’énergie et pourraient grandement être optimisés, en réduisant les pertes de vapeur notamment.

Mme Ippersiel estime que les entreprises industrielles ont intérêt à se démarquer, parce que réduire leur empreinte carbone est positif pour leur image corporative en cette ère où les facteurs environnementaux, de société et de gouvernance (ESG) pèsent de plus en plus lourd dans les décisions d’affaires des donneurs d’ordres.

« Il y a un mouvement qui est bien enclenché. Il faut que les entreprises fassent l’effort de s’intégrer dans tout ça », dit-elle, revenant sur l’importance d’un changement de culture.

De la PME à la multinationale

Et même si les entreprises du secteur de l’industrie lourde sont celles dont les actions ont le plus d’impact apparent, la responsabilité est collective, croit la porte-parole de PRIMA Québec.

« Que ce soit l’industrie lourde, que ce soit le secteur manufacturier, que ce soit le petit atelier d’usinage en région comme l’entreprise de recyclage de caoutchouc : tout le monde doit mettre la main à la pâte », plaide-t-elle, insistant par ailleurs sur l’importance d’accompagner les entreprises dans leur démarche et de leur fournir les outils appropriés à la réduction de leur empreinte carbone.

« Essayons, tout le monde ensemble, de faire en sorte qu’on renforce cet écosystème-là et qu’on travaille à réduire notre empreinte environnementale collectivement, à développer de nouveaux matériaux plus durables et qui pourront être utilisés par d’autres secteurs d’activité. »

La feuille de route vers 2035 publiée par PRIMA s’appuie sur sept grands piliers, dont l’augmentation de la circularité des matériaux avancés au sein des chaînes d’approvisionnement, l’appui aux jeunes entreprises et aux PME ou encore la modernisation des marchés publics et des cadres réglementaires pour les entreprises qui répondent à des appels d’offres gouvernementaux.

« Dans un contexte où nous devons répondre à la demande croissante en énergie tout en préservant l’environnement, les matériaux avancés jouent un rôle essentiel dans les domaines de l’énergie renouvelable, de l’électrification des transports et des technologies propres », a déclaré Luc Pouliot, président du conseil d’administration de PRIMA Québec, lors du lancement de cette feuille de route, élaborée grâce à la mobilisation de plus de 275 intervenants.

Cette implication d’acteurs multiples est absolument nécessaire selon la PDG de PRIMA Québec.

« Notre mandat est de favoriser l’innovation collaborative entre chercheurs et entreprises », rappelle Mme Ippersiel.

« La transition énergétique ce n’est plus une option, c’est une certitude », dit-elle en conclusion, citant Normand Mousseau, professeur de physique à l’Université de Montréal, qui a utilisé cette formule au lancement du Guide sur la décarbonation industrielle compétitive.

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