Il est évident que la Covid-19 et plus spécifiquement le variant Delta, continuent d’influencer la relance économique un peu partout sur le globe. Selon Études économiques Desjardins, les pays où la vaccination est particulièrement avancée semblent souffrir moins gravement de la propagation du variant Delta. Il y a quand même de bonnes nouvelles, alors qu’aux États-Unis, le PIB (Produit intérieur brut) a dépassé son niveau prépandémie, ici, au Canada, il s’est créé plus de 157 000 nouveaux emplois au mois de septembre, soit la plus forte hausse depuis juin dernier. Pendant ce temps, le Québec a quasiment rattrapé le terrain perdu au niveau de l’emploi à cause de la pandémie. Tout n’est donc pas sombre à l’horizon, mais il y a aussi des problèmes importants qui freinent la croissance de plusieurs entreprises, de tous les secteurs.
Les conséquences du variant Delta de la Covid-19 sur les chaînes d’approvisionnement internationales ainsi que sur les habitudes des dépenses au Canada ont ralenti la reprise économique à court terme, telle est l’opinion des spécialistes de Services économiques TD, émise dans une note le 21 septembre 2021. Dans ses prévisions économiques trimestrielles, la TD voit un recul à court terme et un début de croissance en 2022, lorsque le coronavirus entamera un réel recul. Ce recul est aussi envisagé par Dr Theresa Tam, administratrice en chef de l’Agence canadienne de santé publique, dans une conférence de presse au début d’octobre.
Du côté de la BDC (Banque de développement du Canada), dans sa lettre économique mensuelle du 21 septembre 2021, on cible la propagation du variant Delta de la Covid-19 comme une inquiétude potentielle par rapport aux prévisions économiques. Pour tenter de voir quel sera l’environnement d’affaires cet automne, les experts de la BDC affirment que le fait que le Canada soit le pays du G7 où la population est la plus vaccinée est une donnée qui augure bien pour le pays. Le taux de vaccination et l’adoption de mesures sanitaires devraient limiter les fermetures et autres perturbations économiques.
La pénurie de main-d’œuvre
Pour la plupart des entreprises actives dans plusieurs secteurs, la rareté de la main-d’œuvre représente un gros problème. « Prenons, à titre d’exemple, un manufacturier de taille moyenne dont le chiffre d’affaires et supérieur à 25 000 000$ et qui compte de 75 à 100 employés. Celle-ci aura au minimum en ce moment de 5 à 10 postes vacants et peinera à les combler, ce qui aura pour effet de freiner sa croissance », mentionne M. Ihsain Chahim, vice-président Financement corporatif, est du Canada, à la BDC. « Ce manque de main-d’œuvre freinera la croissance de nombreuses entreprises au cours des deux ou trois prochaines années. En 2019, 40 546 immigrants ont été admis au Québec. Il s’agit de 4 116 personnes de moins qu’en 2006 (- 9 %) et 10 558 personnes de moins qu’en 2018 (- 21 %). Et en 2020, il n’y a eu que 25 000 immigrants, un chiffre bien en deçà du seuil fixé avec le fédéral de 43 000 à 44 000 personnes. »
La Covid-19 fait pression sur les marchés économiques et la TD a révisé à la baisse certaines de ses prévisions dans son dernier rapport comparé à celui de juin 2021. Ainsi, la croissance au niveau mondial cette année devrait être de 5,9 % par rapport au 6,2 % annoncé en juin. Pour 2022, la croissance prévue demeure inchangée à 4,7 %. Malgré des performances en deçà des attentes, la TD prévoit que les États-Unis enregistreront une croissance de 5,6 % en 2021. Ayant enregistré en 2021 une première contraction depuis le début de la pandémie, l’économie canadienne est affectée par la quatrième vague et les perturbations des chaînes d’approvisionnement. La TD prévoit une croissance du PIB de 4,2 %, par rapport à 6,2 % envisagés en juin dernier.
La PCU (Prestation Canadienne d’Urgence) lancée lors de la première vague de la pandémie est, selon plusieurs observateurs, responsable du manque de personnel au sein d’un grand nombre d’entreprises. Plutôt que de travailler dans des conditions parfois difficiles au sein de sociétés agroalimentaires ou comme soudeurs dans des usines, les prestataires de la PCU optent pour demeurer à la maison et encaisser leur chèque. Pour M. Chahim : « Il y a plusieurs causes de l’incertitude économique actuelle et la main-d’œuvre en est une de taille. Des études démontrent que 40 % des travailleurs changeront d’emploi au cours de la prochaine année. Un taux de rotation aussi élevé fait baisser la productivité, car remplacer ces employés demande du temps pour la formation et l’entraînement. »
La chaîne d’approvisionnement
Malgré tous les problèmes engendrés par une chaîne d’approvisionnement déficiente, certains y voient quand même des aspects positifs. « La dynamique de la chaîne d’approvisionnement est particulière et une des raisons des problèmes actuels c’est que la demande est extrêmement forte. En soi, c’est une excellente nouvelle », énonce Mme Beata Caranci, économiste en chef de Services économiques TD. « Les pressions sur la chaîne d’approvisionnement font en sorte que les entreprises ont de la difficulté à se refaire des inventaires, tout est au ralenti. Et l’inflation n’aide pas l’économie à se refaire une santé. Nous avions prévu que la Banque du Canada procéderait à une hausse de taux à la fin de 2021, mais je crois que ça viendra plus rapidement. Et je ne crois pas que la banque centrale canadienne devrait attendre après la réserve américaine avant d’agir. »
Les problèmes de la chaîne d’approvisionnement, que ce soit au niveau national aussi bien qu’international et continental, sont si importants qu’ils sont une des principales sources d’inquiétude de tous les gouvernements. Le 13 octobre dernier, l’administration Biden aux États-Unis a décidé de convier les plus importants joueurs de la chaîne d’approvisionnement à tenter de consacrer plus d’heures au désengorgement de la chaîne d’approvisionnement. De grands acteurs comme le port de Long Beach, Walmart, Fedex, UPS et autres ont acquiescé en annonçant qu’ils travailleraient 24 heures par jour. Target, Home Depot et Samsung, de leur côté, prolongeront les heures dans les entrepôts et sur la route.
L’inflation
Ihsain Chahim croit aussi que la Banque du Canada hésite à hausser ses taux afin de contrer les effets d’une inflation de 4 % enregistrée mensuellement depuis le mois de juin dernier. Les statistiques pour septembre 2021 démontrent une inflation de 4.4 % au Canada et de 5.1 % au Québec. Une hausse du taux directeur pour contrer cette inflation se traduit presque toujours par des hausses de taux pour les consommateurs. Mais, selon M. Chahim : « Il n’y a pas que de mauvaises nouvelles. En général, exception faite de l’industrie du service où certaines entreprises ont quand même tiré leur épingle du jeu, 2021 fut une bonne année, excellente pour l’industrie des matériaux de construction, par exemple. Sans oublier que l’épargne des ménages atteint des niveaux records. »
L’adoption d’un passeport vaccinal à la fin de l’été, assez rapidement pour contrer un possible confinement dommageable, et une réouverture amorcée plus tôt en début d’année, ainsi que la vigueur relative de certains indicateurs, font que le Québec, toujours selon Services économiques TD, est présentement en voie de faire mieux que les autres provinces sur le plan économique cette année. La surchauffe de la demande de logements fait en sorte que la croissance de l’économie jusqu’en mai dernier a été soutenue par le secteur de la construction. De plus, les dépenses publiques engendreront une croissance au-dessus de la moyenne en 2022.
Cette pandémie qui a vu le jour il y a plus de 18 mois, n’a pas eu le même impact sur tous les secteurs industriels et chaque nouvelle vague représente une épée de Damoclès au-dessus de secteurs comme la restauration, les arts et spectacles, le divertissement et le commerce de détail. Ce sont, selon la BDC, les secteurs les plus touchés et qui peinent à se remettre sur pied. Ce n’est pas parce que la situation sanitaire semble plutôt bonne et que la quatrième vague soit assez contrôlée que les entreprises canadiennes ne fassent pas face à d’importants défis reliés à la pandémie. Les manufacturiers, dans une économie ouverte, s’approvisionnent souvent sur les marchés extérieurs et font face depuis plusieurs mois à des problèmes d’approvisionnement quand ce ne sont pas simplement des bris de la chaîne d’approvisionnement. Dans certains secteurs, comme le bois d’œuvre, les prix se stabilisent après avoir connu d’importantes hausses.
Les statistiques démontrent que le niveau d’investissements est de beaucoup supérieur aux États-Unis qu’au Canada et c’est une situation qu’il faudrait renverser. « Les entreprises américaines hésitent moins avant d’investir et les investissements sont un levier important de la relance économique. La pandémie nous a donné quelques leçons, dont celle qui indique que nous faisions trop confiance à des sources internationales pour acquérir des matières premières et autres intrants manufacturiers. Il faut arriver à trouver le bon équilibre entre des sources étrangères et des fournisseurs domestiques », continue Mme Caranci. « Nous importons beaucoup de la Chine et des autres marchés asiatiques, mais nous exportons peu dans ces pays. Il faut sérieusement réfléchir à ce déficit commercial et tenter de trouver des alternatives. Il est certain que les entreprises canadiennes dépendent de leur capacité d’exporter des biens et services, mais il est important de trouver le bon équilibre afin de ne pas devenir trop dépendants de certaines régions du monde, que ce soit l’Asie ou les États-Unis. »
L’essentiel des obstacles est toutefois temporaire et les perspectives de croissance pour les prochains trimestres sont assez bonnes. Il est évident que l’économie canadienne ne roule pas à plein régime, mais la situation n’est pas catastrophique non plus selon plusieurs observateurs. Les entreprises québécoises doivent trouver les bonnes stratégies pour surmonter les défis sur la route de la relance postpandémie. Les entrepreneurs doivent donc se relever les manches et faire preuve de dynamisme et de créativité afin de demeurer innovants et tirer leur épingle du jeu.
Par Guy Hébert