Le premier maillon et le plus important, la microbrasserie, est déjà en place. Les Brasseurs du temps viennent tout juste de s’établir à Gatineau, permettant ainsi au secteur du Vieux-Hull de renouer avec son éphémère, mais riche passé brassicole.
L’équipe d’Alain Geoffroy et du brasseur Dominique Gosselin s’est installée sur le site même de la première brasserie de la région, la Hull Brewery and Distillery, propriété du fondateur de Hull, Philemon Wright. Avant de disparaître définitivement en 1841, l’industrie brassicole de l’Outaouais était florissante. Elle profitait aussi bien de la clientèle de travailleurs forestiers que des militaires et des travailleurs irlandais qui s’établissaient à Ottawa pour la construction du canal Rideau.
Les choses ont bien changé depuis. Molson et Labatt occupent aujourd’hui 90% du marché québécois de la bière, mais la clientèle s’est raffinée. «Et surtout elle est plus avisée, elle fait attention à la provenance des produits qu’elle achète», précise Philippe Wouters, biérologue et éditeur de Bières et plaisirs.
D’ici 10 ans, les microbrasseries du Québec veulent faire passer leurs parts de marché de 4,5% à 12%, soit d’une production de 300 000 hectolitres de bière à 500 000 hectolitres annuellement. «Nous avons développé, en 20 ans, une expertise très nette, explique Jean-Pierre Tremblay, directeur général de l’Association des microbrasseries du Québec (AMBQ). Nos brasseurs sont reconnus dans le monde pour leur talent. La crédibilité de notre industrie est établie. Il faut maintenant faire un pas de plus avec le contenu».
C’est de cette crédibilité dont les Brasseurs du temps profiteront. «L’Outaouais était la seule région avec la Côte-Nord à ne pas avoir de microbrasserie sur son territoire, explique M. Geoffroy. Nous savions dès le départ que notre modèle d’affaires allait fonctionner». Les Brasseurs du temps qui ont actuellement une capacité de production de 8 hectolitres brasseront, à terme, 12 bières, disponibles selon les saisons et l’humeur du chef brasseur. Ils offrent aussi une table qui laisse toute la place aux produits du terroir.
Une seule bière au Québec est actuellement entièrement québécoise; la Rur’ale dont la microbrasserie, la Schoune, produit son propre houblon. «Il faut coupler notre industrie avec le milieu agricole, ajoute M. Tremblay. D’ici 10 ans, le contenu de nos bières doit être québécois à 100%.
L’occasion est belle pour les Brasseurs du temps. La pénurie mondiale de houblon qui a fait augmenter les prix de près de 400% en 2008 a sonné l’alarme. «La guerre menée par les grands brasseurs ne se fait pas juste sur les tablettes, précise M. Geoffroy. Ils vont maintenant jusqu’à réserver des grandes quantités de houblon avant même qu’il ne soit poussé. Ça laisse peu de place pour les petits brasseurs».
Plusieurs microbrasseries se sont un peu énervées, raconte M. Wooters. «Elles se sont senti coincées et trop dépendantes du marché extérieur. Plusieurs projets pour faire revivre la culture du houblon au Québec, abandonné dans les années 1950, sont alors nés».
En Outaouais, le Centre de recherche et de développement technologique agricole de l’Outaouais vient de lancer, dans la Petite-Nation, un projet d’implantation de houblonnières. «Il faudra patienter trois ou quatre ans avant que la production débute et que ces houblonnières puissent desservir les Brasseurs du temps», note toutefois M. Wooters.
Le directeur général de l’AMBQ soutient que toute une agriculture locale pourrait se mettre en place. «Ce qu’il faut, c’est répondre aux demandes des microbrasseries et de là, on pourrait aussi voir naître des petites malteries pour malter les céréales dans la région où elles sont produites», dit-il.
Le président des Brasseurs du temps ne demande pas mieux. «Il faut favoriser l’économie locale, dit-il. C’est l’essence même de notre projet et en ce sens il serait conséquent de pouvoir produire nos bières avec des céréales locales».
Les Brasseurs du temps ont joint une coopérative de distribution qui leur donne accès à 200 points de vente au Québec. Distribière réunit 10 microbrasseries québécoises. «La réponse du public est tellement bonne que pour l’instant nous avons encore de la difficulté à fournir en établissement, admet M. Geoffroy. Nous avons toutefois de la place pour deux autres fermenteurs. Si nous voulons développer notre marché industriel, il faudra augmenter notre production».