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May

Industrie de l’acier, vers un retour à la stabilité

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L’industrie de l’acier, tant à l’échelle mondiale qu’ici au Canada, vit un degré d’instabilité et des fluctuations des prix anormalement élevés depuis deux ans. Et après deux ans de pandémie, les espoirs d’un retour à la normale ont été anéantis par la guerre en Ukraine et ses multiples impacts sur la disponibilité de cette commodité. Mais malgré l’incertitude qui persiste, la plupart des joueurs entrevoient une réduction graduelle des pressions à la hausse sur les prix, et un accès plus facile à cette matière première.

Dans une étude publiée en avril, Desjardins Études économiques brosse un tableau plutôt sombre des tendances des matières premières. En tête des influant sur l’ensembles de ces matières, la guerre en Ukraine qui a, selon Desjardins, « envoyé une véritable onde de choc à travers les marchés ».

« De façon globale, on se retrouve à un moment où il y a une demande forte pour une multitude de matières premières, que ce soit des métaux ou des produits énergétiques, et même dans le forestier et l’agricole », explique Marc-Antoine Dumont, économiste chez Desjardins et un des auteurs de l’étude. « Malheureusement, en raison des circonstances, des tensions géopolitiques et de la guerre en Ukraine, on se retrouve à un moment où l’offre mondiale de plusieurs de ces matières premières est bouleversée ou même menacée. Ça fait des pressions importantes à la hausse sur les prix, et c’est ce qu’on constate présentement pour plusieurs matières premières. »

« On se retrouve à un moment où l’offre mondiale de plusieurs de ces matières premières est bouleversée ou même menacée. Ça fait des pressions importantes à la hausse sur les prix, et c’est ce qu’on constate présentement pour plusieurs matières premières. » Marc-Antoine Dumont, économiste chez Desjardins

Et au sommet des principales exportations de matières premières des trois pays directement impliqués dans le conflit, soit la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie, on retrouve les lingots de fer ou d’acier, dont près de 35% de la production de ces trois pays est destiné à l’exportation sur différents marchés mondiaux.

En 2020, la production d’acier de la Russie et l’Ukraine comptaient ensemble pour 93,3 millions de tonnes métriques, sur une production mondiale de 1 877,5 millions de tonnes métriques.

« C’est sûr que la guerre en Ukraine cause certains problèmes », confirme Marc McArthur, président-directeur général des Aciers Transbec, un regroupement des distributeurs d’acier au Québec. « On parle pratiquement d’un million de tonnes par semaine de matière première, de produits finis et semi-finis qui sortent de là pour fournir le monde. Et aujourd’hui, avec les sanctions, ces produits ne sont plus disponibles. »

Et si la Russie arrive au 5e rang des pays producteurs, tout juste après les États-Unis, ce n’est rien à comparer de la Chine qui, elle, produit annuellement 1 064,8 tonnes métriques. Toutefois, ces chiffres cachent une autre réalité, selon Marc-Antoine Dumont de Desjardins.

« On est dans une situation où les coûts d’énergie pour la production ont augmenté à l’échelle mondiale. Cette incertitude et cette offre limitée en provenance de Russie, même si la Russie n’est pas le plus gros joueur sur le marché, sont suffisantes pour créer une réaction sur le marché. On ajoute à ça toute une série d’évènements, dont la situation en Europe qui est aussi un gros producteur, et en Chine, où de nouvelles mesures pour contrer la COVID-19, qui ont un impact tant sur la demande que sur l’offre. »

La présidente et cheffe de direction de l’Association canadienne des producteurs d’acier, Catherine Cobden, estime toutefois que malgré les défis immenses de l’industrie, le marché est bon, à l’heure actuelle.

« Mais le plus grand problème bien sûr est celui de la volatilité sans précédent, et du niveau élevé d’incertitude. Il faut souligner les perturbations dans la chaîne d’approvisionnement qu’on a connu, et maintenant, la guerre en Ukraine, les défis mondiaux qu’a entrainés la pandémie et, bien sûr, comme toujours dans l’acier, la question de surcapacité de production mondiale. Toutes ces choses ont créé la tempête parfaite pour la volatilité et l’incertitude. Et les marchés n’aiment pas l’incertitude. »

Cette incertitude s’est aussi traduite par une fluctuation phénoménale des prix de l’acier. Comme toute commodité dont le prix dépend d’un marché à l’échelle mondiale, le prix de l’acier connait des hauts et des bas. Mais selon Marc McArthur des Aciers Transbec, jamais comme on n’a connu depuis deux ans !

« Entre septembre 2020 et septembre 2021, on a vu des hausses de 1700$ la tonne. Depuis septembre 2021 jusqu’au début mars, les prix ont baissé d’environ 1150$ la tonne. Mais de mars à aujourd’hui, on a vu une hausse de 700$ la tonne. Ce sont de grosses fluctuations. Habituellement, les hausses et les baisses tournent dans les 50$ la tonne. Mais dernièrement, on voit des fluctuations de 100, 200 ou 300$ la tonne à la fois. »

« Entre septembre 2020 et septembre 2021, on a vu des hausses de 1700$ la tonne. Depuis septembre 2021 jusqu’au début mars, les prix ont baissé d’environ 1150$ la tonne. Mais de mars à aujourd’hui, on a vu une hausse de 700$ la tonne. Ce sont de grosses fluctuations. » Marc McArthur des Aciers Transbec

Interroger sur le paradoxe entre la surcapacité mondiale de production, donc une offre supérieure à la demande, et des prix à la hausse, Marc-Antoine Dumont de Desjardins souligne l’incertitude face à l’approvisionnement.

« C’est une réaction à la crainte que cette offre devienne très limitée, très rapidement, et que l’approvisionnement soit difficile. Que le minerai ou le lingot de fer ou d’acier ne soit pas accessible ou prenne un long délai pour se rendre du point A au point B, en raison des contraintes auxquelles on fait face du côté du transport. Et comme c’est imprévisible comme conflit, la guerre en Ukraine, il va falloir attendre que la poussière soit retombée pour avoir une image claire de la situation. »

Selon Marc-Antoine Dumont, les problématiques qui entrainent des pressions à la hausse sur les prix devraient s’estomper vers la fin de 2022, entrainant une baisse des prix. Il prévoit des prix plus stables en 2023, si la situation continue de s’améliorer, mais ne s’attend pas à ce que les prix retournent au niveau prépandémie.

Une industrie qui va bien, malgré tout

Malgré les fluctuations et les défis, l’après-COVID semble bien entamé pour l’industrie de l’acier. Et si 2020 et 2021 ont été des années plus difficiles, 2022 s’annonce déjà mieux, nous dit Marc McArthur des Aciers Transbec.

« C’est une bonne année, si on regarde le premier trimestre qui a été très fort, mieux que nos estimations lorsqu’on a fait nos budgets en décembre. La demande est bonne, les projets continuent, j’ai l’impression qu’il y a moins d’inquiétudes cette année comparativement aux deux années passées. Le monde est quand même confiant, optimiste face à l’avenir, malgré les prix de l’acier. »

Même son de cloche chez le Groupe Canam, où le vice-président, ventes et préconstruction de la division Canam Structures, Tony Bégin, nous parle d’une demande solide.

« Ce qui soutient cette demande-là, c’est que tout le monde est reparti en même temps, après les deux dernières années, et les fonds d’investissement vont de l’avant pour s’investir dans l’immobilier versus d’autres types d’investissements, et ça rapporte parce que l’immobilier aussi est en hausse. Pas tant dans les bureaux, mais dans les espaces commerciaux et d’entreposage, il y a une demande présentement. Et les gouvernements, les renouvellements d’infrastructures, par exemple les aéroports, ils sont en train de tous les refaire en même temps aux États-Unis, parce qu’ils ont tous été construits en même temps. »

Tony Bégin mentionne aussi un marché costaud du côté des entrepôts commerciaux et industriels, des immeubles multiétages et de l’industrie minière.

« Le volet minier, l’exportation minière, c’est un secteur qui est présentement en bon appui de capital. On dit souvent « suivons l’argent », donc si on suit où l’argent est investi présentement, elle est beaucoup dans l’exportation minière. Comme les commodités ou les prix des minéraux ont augmenté, ça rend favorable l’exploitation de projets dans ce secteur-là. Et avec les véhicules électriques et la tendance qui se maintient, ça prend du lithium, ça prend du magnésium, et tout ce qui est les minéraux qui viennent soutenir la demande des véhicules électriques ou des batteries. »

Des changements dans l’approvisionnement

La demande pour les bâtiments d’entreposage est due, elle, à un changement important dans la gestion de l’approvisionnement. Outre l’explosion du nombre d’entrepôts automatisés pour le traitement des commandes pour le commerce électronique, ces deux dernières années, le « Just in time » est devenu le « Just in case », nous dit Tony Bégin.

« Les gens se disent maintenant qu’il faut se garder un certain entreposage à portée de main, parce qu’on peut avoir des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement comme on a connu dans le contexte de la pandémie. »

« Les gens se disent maintenant qu’il faut se garder un certain entreposage à portée de main, parce qu’on peut avoir des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement comme on a connu dans le contexte de la pandémie. » Tony Bégin, vice-président, ventes et préconstruction de la division Canam Structures.

Ces changements dans le mode et la gestion de l’approvisionnement, les distributeurs d’acier le vivent, eux aussi, nous dit Marc McArthur d’Aciers Transbec.

« C’est sûr qu’il faut être créatif dans nos démarches et trouver un approvisionnement plus fiable, plus stable. Mais tout change tout le temps, on voit à tous les jours des problèmes qui arrivent avec de nouvelles sanctions, les coûts de l’énergie qui augmentent, et qui ferment même des moulins de façon temporaire ou permanente. Et ç’a un impact sur la disponibilité. »

Chez Canam Structures, le volet préconstruction est très important, nous dit Tony Bégin. L’entreprise s’implique dès le début des projets pour guider ses clients sur le choix des matériaux, en fonction de la disponibilité de ces matériaux.

« On implique tôt les experts dans ce domaine qui sont en contact avec l’approvisionnement chez les fournisseurs d’acier. On est en communication étroite avec des fournisseurs, et on peut ainsi gérer le risque en étant transparent sur les tendances, pour être capable de bien guider le choix de matériaux dès le départ à la conception, de guider les professionnels à faire des choix judicieux sur les membrures ou les matériaux, les types de sections à utiliser dans leur conception, leur design. De cette façon, ils sont moins exposés à ces surprises dans leur projet. »

Avec la fin, ou presque, de la pandémie, Tony Bégin de Canam Structures prévoit que les deux années qui viennent seront occupées. Il donne l’exemple d’un aéroport aux États-Unis.

« Le client va acheter aux mois de mai et juin 2022 pour plusieurs milliers de tonnes d’acier pour un terminal, pour installation à partir d’avril 2023, un projet qui s’échelonnera sur trois ans. Et ça, c’est un terminal parmi six autres de cette grosseur. Et ça, c’est un aéroport… »

Pour soutenir les besoins de sa clientèle, le Groupe Canam a d’ailleurs fait l’acquisition d’un joueur important dans le marché, l’entreprise québécoise Supermétal qui œuvre elle aussi dans la charpente métallique.

« Tout cet acier-là, il faut l’entreposer », souligne Tony Bégin. « D’où notre acquisition stratégique l’an dernier de Supermétal, avec ses trois usines, à Lévis, Sherbrooke et en Alberta. Cette acquisition nous donne une force d’entreposage, une force d’achat et de la main-d’œuvre, parce qu’en plus, Supermétal a une division d’installation des projets. Donc on peut faire tout nous-mêmes et contrôler de l’achat jusqu’à l’installation. »

Achat national et importation

À l’échelle mondiale, le Canada occupait en 2020 le 18e rang des pays producteurs d’acier. Avec une production d’environ 11 millions de tonnes métriques, le Canada joue un rôle crucial pour le marché nord-américain, nous dit Catherine Cobden de l’Association canadienne des producteurs d’acier.

« L’industrie canadienne de la production d’acier n’est pas un gros joueur sur la scène mondiale, mais nous sommes stratégiquement importants. Nous desservons l’industrie canadienne de l’acier, ainsi que le marché des États-Unis, pour répondre aux besoins des clients des deux côtés de la frontière. »

Mais la surcapacité mondiale de production est une épée de Damoclès constante au-dessus de la tête de l’industrie canadienne. Catherine Cobden souligne qu’une portion importante du marché canadien s’approvisionne à l’étranger. Et si les producteurs d’acier canadiens sont bien prêts à faire face à la concurrence, ils s’attendent à ce que cette concurrence soit équitable, ce qui, selon madame Cobden, n’est pas toujours le cas.

Pour lutter contre les prix déloyaux et le dumping, l’industrie peut compter sur le mécanisme de recours commerciaux du Canada, qui a récemment été renforcé lors du dernier budget fédéral. Le mécanisme permet aux producteurs canadiens de demander qu’une enquête soit menée contre certains pays dont les exportateurs auraient vendu au Canada de l’acier à des prix sous-évalués ou subventionnés. Lorsqu’une enquête conclut à une pratique de dumping ou de vente subventionnée qui entraine un dommage pour les producteurs nationaux, des droits antidumping ou des droits compensateurs peuvent être imposés. L’annonce d’Ottawa de renforcer ce mécanisme a réjoui l’Association canadienne des producteurs d’acier.

« C’est le seul outil à notre disposition pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales. Ça nous permet de déterminer d’où vient l’acier qui entre dans notre marché et de vérifier qu’il respecte les règles de commerce équitable et ne contourne pas les exigences de tarifs douaniers. Mais le défi auquel nous faisons face, c’est que ceux qui tentent de contourner ces règles continuent d’évoluer dans leur façon d’y arriver. Nous avons de solides lois sur les importations au Canada, mais il ne faut jamais assumer que le travail est terminé. »

Marc McArthur des Aciers Transbec dit appuyer autant que possible l’industrie canadienne de la production d’acier.

« Il faut soutenir les moulins domestiques autant que possible. On essaie toujours de soutenir les producteurs d’ici, on préfère voir la croissance ici qu’outremer. Mais malheureusement, il y a certains produits qui ne sont pas produits en quantité suffisante au Canada pour nous fournir. »

Il ajoute qu’avec les coûts du transport maritime qui sont montés en flèche et les problèmes de logistique notamment pour le déchargement des navires, l’option « acier canadien » est d’autant plus intéressante.

« Cette année, je pense que l’option importation est moins intéressante que l’an dernier, parce que si tu passes une commande aujourd’hui en import, tu n’es pas certain quand tu vas la recevoir ni même si tu vas la recevoir. C’est préférable aujourd’hui de se fier sur les moulins domestiques qui nous soutiennent. »

Tony Bégin de Canam Structures souligne que d’autres éléments entrent en jeu, comme le « Buy America » ou le « Made in America », qui peuvent nécessiter un approvisionnement dans des moulins aux États-Unis. Et avant de passer une commande en importation, il faut tenir compte des délais.

« Dans le contexte d’aujourd’hui, ça prend de trois à quatre mois d’approvisionnement stratégique si on veut aller en importation. Et présentement, avec ce qui se passe avec la diminution de l’offre en Europe en raison de la guerre, ça crée des risques additionnels. Et il y a de l’achalandage dans les ports, ce qui fait que ce qu’on pense obtenir au mois de septembre peut être retardé d’un à deux mois avant qu’on puisse avoir accès à décharger le bateau. Ça, c’est un autre élément très important. »

« Nos entreprises ont investi pour réduire leur empreinte environnementale, et nous bénéficions d’un réseau d’énergie plus vert. Notre acier est d’environ deux fois et demie plus vert que l’acier chinois qui prévaut sur le marché, en termes d’intensité de production de CO2 par tonne d’acier. Et ça, ce n’est que pour la production. » Catherine Cobden, présidente et cheffe de direction de l’Association canadienne des producteurs d’acier.

Catherine Cobden ajoute un autre critère important à considérer lorsqu’on choisit entre l’acier canadien et l’acier importé : l’empreinte carbone.

« Nos entreprises ont investi pour réduire leur empreinte environnementale, et nous bénéficions d’un réseau d’énergie plus vert. Notre acier est d’environ deux fois et demie plus vert que l’acier chinois qui prévaut sur le marché, en termes d’intensité de production de CO2 par tonne d’acier. Et ça, ce n’est que pour la production. Quand on ajoute les émissions de CO2 et l’impact sur le climat qu’implique le transport de l’acier de la Chine jusqu’au Canada, vous pouvez imaginer à quel point on est encore plus vert. »

Plus vert, plus proche et plus prévisible. Des atouts incontestables pour l’acier canadien.

Image de couverture : Le marché de la construction d’entrepôts industriels et commerciaux bat son plein. Cr image : Groupe CANAM.

Source :

  1. Impact de la guerre en Ukraine. Source : Tendance des matières premières, Desjardins, 11 avril 2022
  2. Pays producteurs d’acier 2020. Source : World Steel Association

Par Claude Boucher

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