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Industrie aérospatiale : Le Québec conserve sa place sur l’échiquier mondial

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Par Claude Boucher

Si l’industrie de l’aérospatiale battait un peu de l’aile durant la pandémie de COVID-19, on peut affirmer qu’elle a aujourd’hui repris du poil de la bête. C’est le premier constat qui ressort de l’entrevue que la nouvelle PDG d’Aéro Montréal, Mélanie Lussier, a accordée au Magazine MCI. Et selon elle, le Québec a su conserver sa place de troisième joueur mondial dans cette industrie de pointe, porteuse d’innovations et, tout aussi important, d’emplois bien rémunérés. Comme d’autres industries, l’aérospatiale fait face à d’importants défis, mais la cohésion du secteur au Québec lui permet de les relever.

En mars dernier, Mélanie Lussier a pris la relève de Suzanne M. Benoît à la tête de la grappe industrielle de l’aérospatiale, Aéro Montréal. Après 16 ans de dévouement et de succès indéniables, madame Benoît remettait donc les contrôles à une mordue de l’industrie.

« Je suis vraiment un pur produit de l’aérospatiale », nous dit Mélanie Lussier, avec un enthousiasme et une passion évidente. « J’ai toujours travaillé en aérospatiale. J’ai travaillé 17 ans chez Bombardier. Quand j’ai quitté Bombardier en 2014, c’était pour venir travailler chez Aéro Montréal. J’y suis resté de 2014 à 2020, et à mon départ, j’étais vice-présidente des opérations. Je connaissais bien nos membres, et venant de Bombardier, je connaissais bien la chaîne d’approvisionnement locale, ce qui entrait dans mon rôle. »

Entre 2020 et 2023, Mélanie Lussier a flirté avec une tout autre grappe industrielle, celle des transports électriques et intelligents, chez Propulsion Québec.

« Ça m’a vraiment permis de voir qu’il y a de bonnes similitudes entre l’industrie de l’aérospatial et celle des TEI, notamment cette volonté de réduire l’impact environnemental. Quand je suis revenue en début d’année, j’ai constaté que l’aérospatiale était vraiment sérieuse dans sa démarche. L’industrie au complet s’est mobilisée pour dire « Nous, en 2050, on veut être carboneutre. Qu’est-ce qu’on doit faire? » C’est un plan de match qu’ils se sont donné. »

Comme la plupart des organismes qui fomentent la cohésion des différents secteurs économiques, Aéro Montréal a dû faire face à la musique durant la pandémie. Mais l’arrivée en poste de Mélanie Lussier coïncide avec un retour à la normale.

« Nos évènements forts, traditionnellement, les membres sont de retour. C’est le reflet d’un retour au dynamisme et de l’implication des gens, qui ont envie de réseauter et d’investir. On sent que la mission de la grappe va bien. On a recommencé nos visites de membres, et ça fait plaisir de reconnecter avec nos membres, et de les voir aussi dynamiques et innovants qu’ils l’étaient avant. »

Un positionnement de choix pour le Québec

Si l’on peut être tenté de croire que l’industrie aérospatiale a quelque peu pris le second rang dans l’opinion publique et politique au Québec, derrière celle des transports électriques et intelligents, le Québec a néanmoins su conserver sa place à l’échelle mondiale. Derrière Seattle (Boeing) et Toulouse (Airbus), Québec occupe un troisième rang non négligeable. Si une région comme celle de Hambourg en Allemagne peut se targuer d’avoir un impact économique supérieur en termes de chiffres absolus, c’est la diversité et la présence de gros joueurs donneurs d’ordres qui permet au Québec de réclamer ce rang.

« On a la chance d’avoir cinq grands donneurs d’ordres ici : Bombardier, qui connait un solide début d’année, Pratt & Whitney Canada, CAE qui est un leader mondial en simulation de vol, Bell Textron Canada, et Airbus qui considère maintenant le Canada comme un de ses pays fondateurs. Et en plus, on a des fournisseurs de premier rang (Tier 1) assez variés. Des gros joueurs comme Héroux-Devtek, Générale Électrique Canada, Rolls-Royce et Turbomeca Canada du Groupe Safran, pour ne nommer que ceux-ci. On a aussi la chance d’avoir un écosystème extrêmement complémentaire. Et on est appuyé par plus de 200 PME. On a donc tous les maillons de la chaîne. »

C’est d’ailleurs la complémentarité, la cohésion et la capacité de travailler ensemble de tous ces joueurs de l’industrie qui fait l’orgueil d’Aéro Montréal, et qui permet à la métropole de bien tirer son épingle du jeu comme troisième capitale mondiale de l’aérospatiale. Mélanie Lussier parle avec un réel sentiment d’appartenance d’une grande famille.

« C’est une famille de 37 200 personnes. Quand tu entres en aérospatiale, tu y restes pour toute ta carrière, parce que l’industrie est diversifiée, donc tu peux faire plusieurs types de métiers dans plusieurs entreprises. Et c’est notre force, parce qu’on est habitué de travailler ensemble. On est habitué de chasser en meute, de gagner en meute, de voir les complémentarités et de positionner le Québec. Je suis toujours touchée de voir l’implication des membres chez Aéro Montréal. »

Des défis, des opportunités

Si l’industrie va bien dans son ensemble, elle n’est pas pour autant sans défis à relever. Comme la plupart des autres industries, l’aérospatiale a dû faire face aux problématiques d’approvisionnement durant la pandémie, problématiques qui se sont en partie résorbées.

« On ne parle plus d’enjeux logistiques. Maintenant, les enjeux de main-d’œuvre et la reprise rapide font en sorte qu’on a des enjeux de capacité de production. Pas chez les grands joueurs, qui sont capables de fournir, mais au niveau de la chaîne d’approvisionnement elle-même, de sa capacité à produire des pièces en quantité suffisante et rapidement. Cette réalité est encore là. Les dirigeants des grandes entreprises me confient que c’est ce qui les tient réveillés la nuit. »

Et bien entendu, la main-d’œuvre demeure le nerf de la guerre. À ce chapitre, Mélanie Lussier reconnait que l’industrie peine encore à attirer la main-d’œuvre féminine.

« Comme toutes les industries technologiques, on a ce défi, et pas qu’avec les femmes, avec la diversité aussi. Notre rôle, c’est vraiment d’aller chercher les femmes et les personnes issues de la diversité, et de leur montrer des exemples de personnes qui réussissent dans l’aérospatiale et qui ne sont pas des hommes blancs de 50 ans. On a fait une grande campagne de communication l’année dernière, pour rejoindre ces personnes où elles sont. On a fait un gros reportage dans le Elle Québec. On va lancer le printemps prochain une cohorte de leadership au féminin. On va encourager nos membres à y inscrire les femmes de leur entreprise, pour créer un effet d’entrainement. »

Et le développement durable

Si les projets d’avions 100% électriques font soit rêver, soit sourciller, l’industrie aérospatiale ne se limite pas à cette avenue pour réduire son impact environnemental. La PDG souligne que la décarbonation de l’industrie dans son ensemble passe par différentes technologies.

« La première, c’est d’aller vers les carburants d’aviation durables (CAD ou SAF en anglais), des carburants alternatifs qui produisent moins de CO2 ou qui sont produits d’une façon qui émet moins de CO2. Il y a aussi l’utilisation de matériaux plus légers, qui permettent de réduire le poids d’un avion et donc sa consommation de carburant. Il y a aussi de l’optimisation des routes, qui peut diminuer notre empreinte carbone. Et il y a de nouvelles conceptions, de nouvelles formes d’avions. »

Le gouvernement du Québec a d’ailleurs annoncé en avril dernier un soutien de 47 M$ à quatre projets porteurs de développement durable en aérospatiale. Dévoilé lors de l’Assemblée générale annuelle d’Aéro Montréal à l’École nationale d’Aérotechnique, l’appui de Québec, qui sera soutenu par des investissements totaux de près de 95 M$, vient permettre à huit entreprises de combiner leurs efforts pour le développement de produits, de solutions technologiques ou de procédés novateurs. Ces quatre projets sont :

  • Projet Aquarel 3 – Les Dirigeables Flying Whales Québec inc. et Thales Canada, Avionique
  • Projet SCAF – Bombardier inc. et Thales Canada, Avionique
  • Projet CMC Électronique inc. et Bell Textron Canada limitée
  • Projet CADAQ-100 – Airbus Canada, Pratt & Whitney Canada et Consortium SAF+

Ce dernier vise d’ailleurs à étudier et tester de multiples variétés de carburant d’aviation durable, y compris des essais en vol de CAD purs à 100% sur l’avion Airbus A220 propulsé par des moteurs Pratt & Whitney GTF.

À venir

Mélanie Lussier s’est donnée comme mandat, tout comme sa prédécesseuse l’a bien fait avant, d’aider l’industrie à conserver sa place sur l’échiquier mondial, en mobilisant toute l’équipe d’Aéro Montréal à travailler avec chacun des membres.

Outre ce travail de longue haleine pour assurer la prospérité de l’industrie, Aéro Montréal travaille à obtenir la désignation de zone d’innovation, une formule qui viendrait encore plus accélérer les investissements en aérospatiale. L’objectif est de créer trois lieux physiques (Rive-Sud de Montréal, Mirabel et Saint-Laurent) où les entreprises pourront accélérer l’innovation, en partageant des équipements et le savoir-faire, et surtout, un milieu de vie commun. Des zones d’innovations similaires existent ailleurs dans le monde, notamment à Lausanne, en France. Mélanie Lussier souhaite que cette désignation se concrétise d’ici la fin de l’année.

« Le but, c’est de faire collisionner les étudiants de tous les niveaux et les entreprises, pour s’assurer que la formation soit collée aux besoins des entreprises et que les entreprises ont accès aux talents, et que la recherche qui se fait, que ce soit de la recherche qu’on puisse commercialiser. On est probablement l’industrie qui est la plus proche d’une zone d’innovation. Ce qui nous manque, ce sont ces points d’ancrage, ces lieux physiques. On sait comment travailler ensemble. Mais avec des espaces communs, ça ajoutera une étincelle de plus. »

En encadré

L’INDUSTRIE AÉROSPATIALE EN CHIFFRES

  • 37 200 emplois
  • 18 G$ de chiffre d’affaires 2022 (en hausse de 18% sur 2021)
  • 5 grands maîtres d’œuvre
  • 15 partenaires de premier rang (Tier 1)
  • Plus de 215 fournisseurs

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