Malgré l’augmentation du taux de chômage en raison de la Covid-19 et les assouplissements au nouveau règlement du Programme de l’expérience québécoise entré en vigueur en juillet, les milieux économiques continuent de réclamer une augmentation des seuils d’immigration au Québec. L’industrie manufacturière en particulier estime que les nouvelles règles du PEQ, qui excluent du programme des emplois où la demande de travailleurs est forte, place le Québec en position de faiblesse dans le recrutement de la main-d’œuvre.
La question des seuils d’immigration au Québec constitue tout un paradoxe pour les milieux économiques. Alors que la province continue d’afficher des taux de natalité très bas et que les besoins en main-d’œuvre sont criants, le milieu des affaires s’est montré inquiet de l’intention avouée du gouvernement de François Legault de revoir ces seuils d’immigration à la baisse.
« Nous pensons que les seuils devraient être beaucoup plus élevés », nous dit Charles Milliard, président-directeur général de la Fédération des Chambres de commerce du Québec. « D’autres associations, dans le cadre de la pandémie, ont sorti des propositions à l’effet qu’il faudrait peut-être revoir à la baisse les seuils, étant donné le taux de chômage important. Mais pour nous, on regarde sur le moyen et long terme, et l’immigration va toujours faire partie du succès du développement économique du Québec. Nous ne sommes pas en faveur d’un changement à la baisse, loin de là, malgré la situation actuelle. »
En tournée des régions, Manufacturiers et Exportateurs du Québec a constaté que pour les entreprises, et malgré la pandémie, les seuils d’immigration actuels ne permettaient pas de combler les besoins en personnel des entreprises.
« Avec la relance économique, les enjeux de main-d’œuvre se font plus criants que jamais. Il faut qu’il y ait rapidement une réduction des délais de traitement et une augmentation des seuils d’immigration pour stimuler le secteur manufacturier et sécuriser à long terme l’accès à une main-d’œuvre qualifiée », souligne Véronique Proulx, Présidente-directrice générale de MEQ.
Établis en 2018 à 51 118, le seuil ou quota d’immigrants au Québec est tombé à 40 546 en 2019, puis de 41 500 à 44 500 en 2020. Mais derrière ces chiffres en apparence élevés se cache une réalité qui vient frapper de plein fouet les entreprises à la recherche de main-d’œuvre immigrante, souligne Me Jennifer Dumetz, avocate associée en droit de l’immigration chez Stein, Monast.
« Pour l’immigration économique, celle qui intéresse les employeurs, ça laisse un total de 20 000 places, ce qui n’est pas beaucoup. Et c’est de ça qu’a beaucoup besoin le Québec. C’est là qu’il faudrait augmenter les quotas. Selon le plan, on arriverait à 52 500 en 2022, mais ce que je peux lire, de mes collègues en immigration, nous sommes tous d’accord pour dire que cette année, on aurait déjà besoin de ça. »
Réforme du PEQ : un appui mitigé
La Fédération des Chambres de commerce du Québec, tout comme Manufacturiers et Exportateurs du Québec, a salué les assouplissements apportés par la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Nadine Girault, à la réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), une des portes d’entrée les plus prisées tant par les travailleurs immigrants que par les employeurs. En fixant à 24 mois au lieu de 36 mois (selon la mouture précédente du projet de réforme du règlement) la durée de l’expérience de travail requise pour les travailleurs immigrants qui souhaitent demander un certificat de sélection du Québec menant à la résidence permanente, le MIFI réduit d’autant la période d’incertitude et de précarité de ces travailleurs.
« La Fédération est sortie à plusieurs reprises en faveur des modifications au PEQ, pour accélérer le moment où les gens vont pouvoir commencer à être à l’emploi des entreprises québécoises et contribuer au développement. Les modifications apportées tiennent compte des commentaires du milieu économique pour répondre aux besoins du marché du travail », a souligné Charles Milliard, président-directeur général de la FCCQ.
Cette réforme du PEQ vient néanmoins désavantager certains employeurs, en particulier ceux qui recherchent une main-d’œuvre ouvrière peu ou pas spécialisée. Avant l’entrée en vigueur du nouveau règlement le 22 juillet, le PEQ n’exigeait que 12 mois d’expérience de travail au Québec et s’appliquait à toutes les classes de compétences de la classification nationale des professions. La nouvelle mouture, en plus de doubler la période requise pour solliciter un certificat de sélection du Québec, limite l’application du PEQ aux personnes œuvrant dans les catégories 0, A et B de la classification nationale, soit les emplois de gestionnaires, les professions dites libérales et les emplois qui requièrent un diplôme collégial ou une formation d’apprenti. Les emplois de catégorie C et D, soit le personnel moins qualifié, se retrouvent donc exclus. Et selon le milieu des affaires, ces travailleurs sont justement ceux qui manquent le plus au Québec.
Ces changements au PEQ constituent un nouvel obstacle pour les entreprises.
« Pour les employeurs qui recrutent dans les professions C ou D, ça va être difficile d’aller recruter à l’étranger », nous dit Me Jennifer Dumetz. « Parce que lorsqu’un employeur va recruter à l’étranger, c’est sûr que pour le travailleur, souvent, c’est un tremplin vers la résidence permanente. »
La ministre Girault a promis la mise en place de certains projets pilotes pour ramener dans le PEQ des emplois de catégorie C ou D, comme celui de préposé aux bénéficiaires de camionneur, de journalier ou soudeur.
« Les manufacturiers ont de la difficulté à recruter de cette main-d’œuvre peu spécialisée, mais en forte demande. Le déploiement de programmes pilotes pour notre secteur permettrait d’attitrer et de conserver ces travailleurs étrangers », dit Véronique Proulx, Présidente-directrice générale de MEQ.
Mais pour l’instant, aucune information précise n’est disponible quant à ces projets. La nouvelle mouture du PEQ a pour but avoué de réduire la popularité du programme. De 2010 à 2019, la proportion de certificats de sélection du Québec délivrés par le biais du PEQ est passée de 5 % à 86 %, selon la ministre de l’Immigration du Québec.
Mais le programme régulier, ARRIMA, comporte un haut degré d’incertitude, alors que le PEQ reste une voie plus sûre pour obtenir la résidence permanente. Et même avec le PEQ, l’attente totale pour l’obtention de la résidence permanente passe à plus de quatre ans, un délai beaucoup plus long qu’ailleurs au Canada.
« Quand on est en recrutement à l’étranger et qu’on explique tout ça au travailleur, il va y penser deux fois avant de venir travailler au Québec », estime Me Jennifer Dumetz. « Si c’est le Canada qui l’intéresse vraiment, il choisira peut-être d’aller dans une autre province. »
Par Claude Boucher
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