Pour aller au-delà des frontières de l’industrie 4.0
En octobre 2019, les représentants de la firme montréalaise AI-R (Artificial Intelligence Redefined) ont accompagné la délégation officielle du Québec lors de l’Intelligent Transport Systems (ITS) World Congress qui se tenait à Singapour. Dorian Kieken, l’un des fondateurs avec Fabrice Condominas de cette entreprise en plein essor, a pu y constater que le Québec fait très bonne figure à l’échelle internationale en matière d’intelligence artificielle (IA).
« En général, les gens savent que Montréal est un des grands centres de l’IA dans le monde. Le Québec a une extrêmement bonne réputation dans le domaine de la recherche », confie M. Kieken en entrevue au Magazine MCI.
Selon lui, ce message devrait être entendu par nos gouvernements et les investisseurs, afin de comprendre « que nous sommes absolument sur la bonne voie et qu’on a aussi une opportunité vraiment d’aller encore plus loin », dit-il.
Parce que l’intelligence artificielle, c’est aller au-delà de l’automatisation, ou ce que l’on a appelé l’industrie 4.0. L’IA, c’est lorsque la machine apprend à apprendre, et l’humain a un rôle crucial à y jouer. « Notre compagnie a été fondée sur la conviction que la synergie entre l’humain et la machine est mieux que la machine toute seule ou l’humain tout seul », explique-t-il.
« On a vraiment cette vision d’une IA qui travaille pour augmenter l’être humain, pas pour le remplacer. Or, beaucoup des techniques d’IA aujourd’hui sont beaucoup plus dans l’automatisation que dans l’augmentation humaine », remarque le cofondateur d’AI-R.
Il cite l’exemple de la firme de machinerie lourde Komatsu avec qui AI-R travaille. C’est encore un humain qui opère la machine forestière parce qu’il a la compétence pour le faire, mais c’est l’IA qui va faire en sorte que la coupe soit parfaite.
Ce type de collaboration humain-machine pourrait aussi s’illustrer par des véhicules autonomes en milieu minier, mais dont un être humain peut à tout moment reprendre le contrôle en fonction d’un système de valeurs pouvant échapper à la machine.
Et ce n’est pas pour rien si M. Kieken a choisi un exemple du milieu minier. « En gros, plus la chose est dangereuse pour un humain, plus il faut se poser la question “est-ce qu’on ne serait pas mieux de mettre une machine à la place”? », dit-il au sujet des applications de l’IA.
Un autre critère permettant d’identifier qu’une tâche pourrait bénéficier de l’apport de l’IA, c’est la multiplication des points d’attention qu’elle requiert de l’employé mais où ce dernier doit néanmoins demeurer au cœur de l’action.
Des yeux tout le tour de la tête
C’est précisément ce que la ville de Hong Kong désirait accomplir lorsqu’elle a fait appel à AI-R pour optimiser son système de réponse d’urgence 911. Selon M. Kieken, un coordonnateur humain peut gérer dans une relative efficacité jusqu’à trois incidents ou situations d’urgence à la fois. Au-delà de ce seuil, les erreurs humaines commencent à apparaître. Dans le cas de Hong Kong, les gens en géraient jusqu’à sept à la fois.
« Ils cherchaient des solutions viables pour aider l’humain à gérer cette grande charge de travail », explique M. Kieken, dont la firme a proposé des avenues de solution où l’IA s’occupe d’aspects moins critiques des services d’urgence de Hong Kong, afin d’alléger une charge qui dépasse l’entendement humain et que ce dernier puisse malgré tout garder les commandes.
« Une IA est capable de regarder à 10, 50 ou 100 endroits à la fois », dit-il pour illustrer comment elle peut surpasser les limites de la concentration humaine.
Cette logique de démultiplication des processus décisionnels pourrait fort bien s’appliquer en situation d’urgence en milieu industriel, là où sont utilisées des matières dangereuses par exemple.
Selon M. Kieken, l’IA peut rendre des services à tout secteur d’activité qui requiert des compétences d’identification ou de reproduction de patterns à des fins de précision. On peut penser au contrôle de la qualité par exemple.
« Je pense qu’il y a beaucoup de choses dans le domaine manufacturier qui sont aussi basées sur la reconnaissance de patterns. Surtout des patterns visuels où l’IA est excessivement forte », explique M. Kieken. « Si tu as besoin de faire le tri entre différents éléments sur une chaîne [de production], ou de reconnaître des patterns de défectuosité, dans des choses comme ça, l’IA est déjà surhumain », ajoute-t-il.
Le cerveau sur disque dur?
AI-R met aussi de l’avant la plateforme de formation COGMENT à code source ouvert, qui permet aux IA et aux utilisateurs d’apprendre mutuellement de leurs interactions.
On ne parle pas encore de « mind uploading » où il serait possible d’emmagasiner sur disque dur tout le savoir d’un employé expérimenté avant qu’il parte à la retraite pour bénéficier de son expertise accumulée au fil de nombreuses années de service.
Toutefois, la technologie actuelle n’en est pas si éloignée puisque la machine apprend d’abord de l’humain. « En ayant régulièrement le feedback de l’humain qui est donné dans l’apprentissage de l’IA, ce qui se passe c’est que petit à petit l’humain va en quelque sorte transmettre son expertise à l’IA », remarque l’expert d’AI-R. « Tu peux très bien avoir une IA qui a été entraînée avec un opérateur pendant cinq ou 10 ans et, lorsque l’opérateur quitte la compagnie, l’IA va reproduire beaucoup de comportements appris avec cet opérateur. »
Mais on n’en est pas au point où certaines décisions ayant des portées éthiques peuvent être laissées au seul jugement d’une machine, placée devant deux options statistiquement équivalentes.
De là l’importance une fois de plus de garder l’être humain au centre des décisions majeures. « Quand tu fais de l’apprentissage avec l’humain dans la boucle (human in the loop training), ça te permet de bénéficier régulièrement d’expertise humaine », indique M. Kieken au sujet du processus de l’apprentissage de la machine.
Il donne l’exemple d’une machine qui apprendrait des humains les plus performants à faire le ménage parfaitement dans un hôpital, nettoyant dans tous les recoins. Mais si une famille en pleurs se trouve au chevet d’un malade en phase terminale, l’humain pourrait éventuellement apprendre à cette machine que ce n’est vraiment pas le moment d’y faire intrusion pour laver les planchers. Bref, il s’agit d’humaniser la machine plutôt que désincarner l’humain.
Par Eric Bérard