La grande messe de l’industrie aérospatiale québécoise, qui s’est tenue en mai dernier, a été fertile en grandes annonces. De la création d’Espace Aéro, quatrième zone d’innovation au Québec qui vise à stimuler l’innovation collaborative de la grappe industrielle, à l’arrivée de Boeing à Montréal, le Forum international Innovation aérospatiale aura d’entrée de jeu surpassé les attentes des organisateurs d’Aéro Montréal. Quant au sujet de l’heure, la réduction des émissions de GES par l’industrie aérienne aura été plus que jamais le sujet de l’heure.
Le scénario n’aurait pas pu être plus parfaitement synchronisé pour Aéro Montréal : l’ouverture de la 9e édition du Forum international Innovation aérospatiale aura été marquée par la présence du premier ministre François Legault, du ministre québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, et du ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, Philippe-François Champagne. La raison de cette présence : l’annonce de la création d’Espace Aéro, un espace de collaboration entre les différents acteurs de l’industrie aérospatiale vise à promouvoir la recherche et le développement dans le secteur, notamment en créant un pont entre l’industrie et les quatre universités de la région montréalaise offrant des programmes liés au génie et à l’aéronautique.
« Après la zone quantique à Sherbrooke, celle des technologies numériques à Bromont, et la Vallée de la transition énergétique pour les batteries en Mauricie–Centre-du-Québec, je suis très fier d’annoncer la désignation d’une quatrième zone d’innovation, dans le domaine de l’aérospatiale. La nouvelle zone d’innovation Espace Aéro va renforcer l’expertise du Québec en aérospatiale », a souligné François Legault.
À ses premières armes à la tête de cet évènement qui revient aux deux ans, la PDG d’Aéro Montréal, Mélanie Lussier, était bien entendu ravie de cette annonce.
« La création d’Espace Aéro, ce n’est rien d’autre qu’une concrétisation physique de ce qui anime notre industrie depuis plusieurs années. Nous avions besoin d’un véhicule pour accélérer le passage de l’idée au marché, nous avions aussi besoin d’optimiser notre manière de faire de l’innovation collaborative. Nous en étions tous convaincus. »
Québec investit 85 millions $ dans la mise sur pied d’Espace Aéro, apport qui s’accompagne d’investissements majeurs, principalement de la part de l’avionneur Boeing, qui annonce trois contributions totalisant près de 240 millions de dollars, soit 110 millions de dollars pour le développement de la zone d’innovation, 35 millions de dollars pour des travaux de recherche et développement de Héroux-Devtek sur les trains d’atterrissage et 95 millions de dollars pour augmenter le nombre d’employés au Québec de la filiale Wisk Canada de Wisk Aero, une filiale de Boeing, afin de poursuivre le développement de l’avion-taxi drone Wisk, dont la propulsion est électrique.
Globalement, le Forum international Innovation aérospatiale aura été un vif succès, avec plus de 1 700 participants en provenance de 19 pays, 40 conférences de haut niveau présentées par plus de 140 conférenciers et plus de 80 exposants dans la salle dédiée aux entreprises partenaires de l’évènement.
Le point central des conférences et de la présence de nombreux exposants lors de l’évènement aura été sans contredit Vers Net Zéro. Toutes les technologies, systèmes et carburants soutenant l’objectif de réduire les émissions de GES et autres polluants par l’industrie aérospatiale et l’aviation civile, commerciale et même militaire, auront été abordées durant le forum. Normal, nous dit en entrevue Fassi Kafyeke, directeur principal responsable des technologies stratégiques et de la conception avancée et membre de l’équipe de direction de l’Ingénierie en développement des produits aéronautiques de Bombardier.
« La priorité numéro un de l’industrie de l’aérospatiale est de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Quand on regarde l’historique de l’aviation, on constate que dans les 40 dernières années, on a réduit la consommation de carburant de presque 70% sur les avions, soit entre 1 et 2% par an. Mais pour arriver à l’objectif de 2050, il faut faire mieux », nous dit Fassi Kafyeke.
L’objectif Net Zéro 2050 a d’ailleurs fait l’objet de l’adoption en 2022 par l’OACI d’un objectif ambitieux à long terme (LTAG) pour l’aviation internationale : zéro émission nette de carbone d’ici 2050. Comme dans bien d’autres secteurs industriels, une seule solution technologique ne pourra répondre à cet objectif. L’industrie travaille de front sur l’amélioration de l’aérodynamisme des appareils, sur le poids des aéronefs et sur différentes modes de propulsion et carburants.
Plusieurs nouvelles formes d’avion sont à l’étude, et des réductions de consommation de carburant de l’ordre de 20% sont déjà envisageables dans un avenir rapproché. Du côté du poids des aéronefs, l’industrie travaille depuis un certain temps déjà sur des procédés et matériaux qui permettront de réduire ce poids tout en préservant l’intégrité des appareils.
« Il y a beaucoup d’efforts pour optimiser les structures, pour réduire le poids des avions, dont les matériaux composites, et la fabrication additive, qui permet de fabriquer des structures qu’on ne pouvait pas fabriquer par des méthodes traditionnelles, mais qui seraient plus légères. »
Mais les plus importantes réductions d’émission de GES viendront assurément des carburants et systèmes de propulsion.
Dans la lutte pour réduire les émissions de GES, plusieurs scénarios se profilent pour l’industrie de l’aéronautique, tout comme pour d’autres modes de transport. À court terme, la plus prometteuse est sans contredit l’utilisation de biocarburants, soit les carburants d’aviation durables ou SAF. Cette solution présente de sérieux avantages, notamment quant à son application dès maintenant dans les avions déjà existants.
« La solution la plus facilement applicable, c’est de remplacer le carburant tiré des hydrocarbures vers du carburant fabriqué à partir de plantes. Lorsqu’on fait pousser ces plantes, elles capturent du carbone, donc le résultat net dans l’atmosphère avec l’utilisation de biocarburant, c’est une réduction de 80% comparé aux carburants fossiles. La bonne chose, c’est que ces carburants, les SAF, peuvent être utilisés par tous les avions, même les vieux avions. »
La plupart des avions actuels permettent l’utilisation d’un mélange jusqu’à 50% de SAF, et 50% de carburant traditionnel. Chez Rolls Royce, l’ensemble des moteurs ont récemment été certifiés pour l’utilisation de 100% de SAF, nous dit Stephen Pang, chef de l’exécution de tests expérimentaux de Rolls Royce Canada.
« Nous avons récemment démontré que tous nos moteurs en production peuvent fonctionner avec 100% de SAF. Nous n’avons pas eu à faire de grands changements à nos moteurs, plus du côté de la distribution du carburant. Nous sommes donc capables d’utiliser une technologie qui existe actuellement, et qui est verte. Nous n’avons pas eu à reconstruire le tout. Maintenant, malheureusement, le problème réside dans la disponibilité du SAF, ce qui en fait un carburant coûteux. »
Fassi Kafyeke confirme cette problématique d’approvisionnement en SAF.
« Les deux problèmes, c’est qu’il faut une production suffisante de biocarburants, et il faut que les prix diminuent, parce que les prix sont encore pratiquement le double de ceux des carburants traditionnels. Donc il y a des efforts pour produire et réduire le prix, et tous les avions sont en train de se qualifier pour pouvoir voler avec des biocarburants. »
Parmi les autres solutions, il convient de mentionner le transfert de l’alimentation en énergie des systèmes autres que les propulseurs vers l’énergie électrique. Que ce soit les systèmes de trains d’atterrissage ou encore le contrôle climatique à bord des avions, l’utilisation de l’électricité et de batteries vient graduellement remplacer les systèmes pneumatiques et hydrauliques qui requièrent le fonctionnement des moteurs de l’avion.
Et du côté propulsion, l’hydrogène, que ce soit comme carburant dans des moteurs à combustion ou comme source d’énergie pour des piles à combustible, fait également l’objet d’essais par les motoristes et avionneurs.
« La plupart des avions utilisent des turbines à gaz, donc une des façons de réduire les émissions, c’est de brûler de l’hydrogène au lieu de bruler du carburant, ce qui amène une réduction de 100% d’émission de CO2. Le défi, c’est de transporter de l’hydrogène à bord de l’avion. L’hydrogène est très léger, mais prend beaucoup de volume. Il faut donc le transporter sous forme sous haute pression dans des réservoirs cryogéniques à très basse température. Il y a quand même des obstacles technologiques à ça », nous dit Fassi Kafyeke.
Le tout électrique à batteries commence aussi à faire son chemin, notamment dans de petits aéronefs eVTOL (electric vertical take-off and landing, ou aéronef électrique à décollage et atterrissage vertical). De nombreux projets sont en développement, notamment chez la filiale de Bombardier, Wisk.
« Aujourd’hui, on peut facilement faire voler de petits avions sur batterie », dit Fassi Kafyeke. « Mais plus l’avion est gros, et plus le poids de la batterie est un enjeu. Dans les projets que j’ai vus dans le monde, il y a des projets jusqu’à 19 passagers avec des batteries, en cours de développement. Quand on va vers des avions plus gros, 50 passagers et plus, c’est là qu’il peut être préférable d’utiliser non seulement les batteries, mais les piles à combustible à hydrogène. »
La solution hybride est aussi sous la loupe, avec des turbines à gaz couplées à une propulsion d’appoint électrique à batterie, qui assistent dans la production de la poussée.
« Ce qui est bien, c’est que ça vous permet d’équiper votre avion de turbines à gaz plus petites, qui consomment moins, grâce à l’appoint d’énergie qui vient de l’électricité. Et ça réduit la consommation de carburant, donc les émissions de CO2. »
Mais tous ces projets et essais ne s’appliquent qu’aux nouveaux avions, et non à la flotte actuelle. C’est ce qui fait dire à Fassi Kafyeke que le SAF est vraiment la solution avec le plus grand impact, puisqu’il s’applique à toute la flotte. Et c’est une solution applicable maintenant.