L’industrie forestière québécoise en est une de résilience, qui a su s’adapter à l’environnement commercial changeant et à l’évolution de la manière dont ses produits sont utilisés. Michel Vincent, directeur économie et marchés au Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ), croit que cette faculté d’adaptation est toujours bien présente et est garante d’un bel avenir pour la filière économique de la foresterie.
En entrevue au Magazine MCI, M. Vincent aborde volontiers l’incontournable dossier du bois d’œuvre qui, sporadiquement, fait l’objet de litiges commerciaux avec les États-Unis et dans le cadre duquel le CIFQ fait régulièrement des représentations auprès des autorités afin de défendre l’industrie d’ici.
Le contexte d’un gouvernement minoritaire à Ottawa faisant face à un président américain qui sera bientôt en campagne pour sa réélection ne rend pas M. Vincent nerveux outre-mesure quant à la bonne marche des négociations entre les deux pays.
Il se dit confiant que les victoires successives du Canada devant les instances internationales convaincront nos voisins du sud des avantages de la négociation de bonne foi par rapport aux affrontements de nature juridique.
« On s’attend à ce que les Américains commencent à ramollir un peu parce qu’ils vont voir que, et ça commence à se manifester, les premières décisions à l’OMC et à l’ALÉNA sont en notre faveur », dit-il.
Et s’il salue le travail conjoint du CIFQ et d’Ottawa, M. Vincent ne néglige en rien le rôle que jouent les acteurs politiques provinciaux. « Le gouvernement provincial et l’industrie sont au diapason », dit-il.
Main-d’œuvre et technologie
La main-d’œuvre étant l’un des champs de compétence que se partagent les deux paliers de gouvernement, il n’est pas anodin que le dossier de la rareté des travailleurs ait rapidement pris place dans notre discussion.
La spécificité du secteur forestier du Québec lui présente des défis de main-d’œuvre et de productivité qui lui sont propres. La ressource forestière se trouvant en régions relativement éloignées des grands centres, des considérations géographiques viennent s’ajouter à celles d’ordre démographique, qui expliquent en partie les difficultés de recrutement de la précieuse main-d’œuvre forestière.
D’autant plus que, malgré toutes les avancées technologiques, le travail en forêt demeure rude, souligne le porte-parole du CIFQ, ce qui peut rebuter certains.
« On va devoir vivre avec ces difficultés-là pendant les 25-30 prochaines années », dit-il au sujet de la pénurie de travailleurs, qu’il qualifie de structurelle.
Des gains de productivité pourraient toutefois sauver la mise.
« On ne laissera pas mourir parce qu’on manque de main-d’œuvre, on va réagir à ça », lance M. Vincent.
Un projet pilote relatif au mode de rémunération des travailleurs sylvicoles a par exemple vu le jour récemment dans le Bas-Saint-Laurent. Cette initiative vise à améliorer le recrutement de jeunes travailleurs, à encourager la polyvalence et à favoriser la rétention des travailleurs expérimentés qui approchent de l’âge de la retraite.
L’innovation en gestion des ressources humaines est tout aussi importante que celle touchant la machinerie. Les arbres sont parfois plus petits au Québec qu’ailleurs, demandant plus de moyens – et de main-d’œuvre – pour arriver aux mêmes fins.
« On a un produit qui provient d’une forêt où le bois est loin, donc ça coûte assez cher aller récolter un mètre cube. Si ça me prend dix arbres pour faire un mètre cube ici alors qu’en Colombie-Britannique ça leur en prend trois ou quatre, alors on comprend aisément que l’effort est plus grand ici pour aller chercher le même mètre cube », illustre-t-il, ajoutant : « Quand un arbre fait cinq ou six pouces, vous ne ferez pas du 2’’x 8’’ avec ça. »
Si l’on a peu de pouvoir sur les revenus parce que le produit en est un dont les prix sont dictés par les cours du marché, on peut néanmoins agir sur la réduction des dépenses grâce aux avancées en matière d’automatisation, d’organisation du travail et de technologies embarquées dans la machinerie forestière.
« Par exemple de nos jours, plutôt que de rubanner les territoires de coupe comme ça se faisait il y a quelques années, tout se fait par satellite. Les opérateurs travaillent et c’est la machine qui leur dit : “tu es arrivé au bout, il faut que tu vires de bord” », explique M. Vincent.
La classification du bois en usine, par longueur ou qualité, requiert elle aussi moins de main-d’œuvre qu’auparavant. « Aujourd’hui, tout se fait automatiquement », constate l’expert du CIFQ.
« Le manque de main-d’œuvre se fait sentir partout et les innovations arrivent de partout », résume-t-il.
Secteurs interreliés
« Il faut comprendre qu’un secteur forestier ne peut pas bien fonctionner si les autres ne fonctionnent pas bien », dit-il pour illustrer que lorsqu’une usine de transformation cesse de s’approvisionner en copeaux, les usines de sciage en subissent les contrecoups. « La santé d’une industrie forestière, comme le sciage de feuillus, est tributaire de la santé de l’industrie des pâtes et papiers feuillus. Tout est relié », insiste M. Vincent.
Lorsqu’on procède à une coupe dans un secteur donné, il faut savoir tirer le maximum de la ressource qui s’y trouve. Par exemple, le tremble sera destiné à la fabrication de panneaux, le sciage résineux envoyé aux scieries, la partie pâte de la tige résineuse envoyée à l’usine de pâtes et papiers, etc.
« Il s’agit qu’un seul de ces utilisateurs ait des problèmes pour paralyser ou handicaper sérieusement toute l’industrie », indique M. Vincent, qui n’en affiche pas moins un bel optimisme quant à l’état de santé général de l’industrie forestière et à son avenir.
« L’avenir du secteur forestier est très prometteur parce qu’on comprend de plus en plus que la forêt, c’est un outil de lutte aux changements climatiques. Donc il faut que les forêts poussent et il faut qu’elles soient en santé pour capter le carbone », dit-il.
« Les produits forestiers sont promis à un très bel avenir », conclut Michel Vincent.
La flamme de la biomasse
Si les hydrocarbures et l’électricité tiennent encore le haut du pavé dans le domaine du chauffage des établissements industriels, les copeaux de bois sont en train de leur livrer une féroce concurrence.
Sébastien Milette, fondateur de BCA Énergie dans la région de Chaudière-Appalaches, est un ardent défenseur de ce mode énergétique, et ce depuis des années. D’abord à titre de directeur technique de la firme Hargassner qui fabrique des chaudières conçues à cet effet en Autriche, puis à titre de distributeur de cette technologie au pays depuis quelques mois.
« Pour que la filière se développe, ça va prendre des entrepreneurs qui vont fournir de la biomasse de façon sécuritaire », dit-il au sujet du rôle qu’il joue dans la mise en valeur des résidus de l’industrie forestière.
En entrevue au Magazine MCI, M. Milette indique que ce sont les utilisateurs de systèmes de chauffage au propane qui sont les plus enclins à se convertir à la biomasse. « On présente au client la bonne solution avec la bonne puissance, et on évalue les consommations qu’il va avoir. On est capables de faire une présentation de la rentabilité du projet », explique M. Milette, ajoutant que l’approvisionnement en copeaux est garanti.
Il explique que les systèmes de chauffage à eau chaude alimentés au bois existent depuis des décennies, pour de bonnes raisons. Sur le site Web de BCA Énergie, on peut lire : « L’utilisation d’un système de chauffage à l’eau chaude est l’une des meilleures solutions pour obtenir une chaleur constante et agréable, qui ne produit pas d’air sec, de statique ou d’air vicié. »
Sauf que leur maîtrise à un niveau d’impact socialement acceptable est relativement nouvelle.
Le choix des copeaux de bois explique en partie la belle performance environnementale de cette approche. D’autres matières pouvant aussi être qualifiées de biomasse, la tourbe par exemple, n’offrent pas une combustion aussi complète. Et meilleure est la combustion, meilleurs sont les rendements énergétique et environnemental.
D’autre part selon le président de BCA, les taux de cendre élevés qu’engendre une combustion incomplète pourraient nuire au bon fonctionnement des systèmes entièrement automatisés Hargassner que sa firme commercialise.
L’alimentation de la chaudière en copeaux se fait par vis sans fin et lames rotatives, là aussi de manière complètement automatique.
Quant à l’entretien de ces systèmes de chauffage par copeaux de bois, il serait minime une fois le traitement de départ assuré.
L’utilisation de glycol en circuit fermé y serait pour quelque chose. « Le glycol c’est un agent qui est alca-inhibiteur, qui est stable », précise M. Milette, ajoutant qu’un système d’auto-nettoyage toutes les deux heures est également mis à contribution. « Il y a un mécanisme avec un moteur qui évacue la cendre, qui nettoie les tubes, pour rester optimal en tout temps », conclut le président de BCA.
Réécrire l’histoire des trois petits cochons
Dans la fameuse histoire des trois petits cochons, la construction de bois résiste mieux aux assauts que la hutte de paille, mais moins bien que l’édifice de brique. Des chercheurs et ingénieurs du Québec et d’ailleurs sont en train de réécrire cette histoire, au plus grand bonheur des producteurs forestiers.
Sylvain Gagnon, gestionnaire en systèmes de construction chez FPInnovations, un groupe de réflexion à but non-lucratif d’ici et reconnu à l’échelle mondiale, s’est justement plongé dans le monde littéraire récemment, quoique dans un genre différent.
Il a fait partie d’un groupe d’experts qui a produit la deuxième édition d’un guide consacré à l’utilisation du bois lamellé-croisé dans la construction d’édifices en hauteur.
Si le bois lamellé-collé – la superposition de pièces de charpente pour en faire une plus imposante, une poutre par exemple – est entré dans nos mœurs depuis un bon moment, le lamellé-croisé suscite encore parfois la curiosité malgré les formidables avancées qu’il permet en matière de constructions de bois.
Ce sont ces avancées et celles des réglementations de l’utilisation du lamellé-croisé qui ont rendue nécessaire la mise à jour du guide mentionné plus haut, explique M. Gagnon en entrevue au Magazine MCI.
La principale différence entre le bois lamellé-collé et le lamellé-croisé est le sens des lamelles, ou pièces de bois qui forment l’assemblage.
Alors que dans le bois lamellé collé, toutes les lamelles de toutes les couches sont parallèles, dans le bois lamellé croisé, les lamelles des différentes couches sont transversales, puis longitudinales, en alternance.
Imaginez le plateau d’une table à pique-nique que l’on déposerait sur un autre, mais dans le sens contraire, puis un troisième dans le sens du premier, etc.
« L’avantage, c’est qu’on obtient une plaque qui est stable dans les deux directions et qui est massive, donc avec de meilleures propriétés acoustiques, une meilleure résistance au feu, et très forte aussi », déclare M. Gagnon.
Le bois lamellé-croisé est plus souvent qu’autrement désigné sous son acronyme anglophone CLT, pour coss-laminated timber.
Comme des dalles de béton
Les panneaux extrêmement résistants qu’on en tire servent de planchers ou de murs à des bâtiments multi-étages. « Le CLT, ça peut se comparer à des dalles de béton. On appelle ça de la construction massive », illustre M. Gagnon.
S’il a fallu réviser le guide d’utilisation du CLT de 2011, c’est que beaucoup de choses ont évolué, depuis.
Des fabricants nord-américains de CLT et fervents de l’utilisation du bois en structures d’importance ont émergé. On pense notamment à Chantiers Chibougamau et à sa division Nordic Structures.
« C’est un autre produit qui s’est ajouté au panier de produits », dit M. Gagnon au sujet de l’éventail de solutions provenant de la forêt qui servent l’industrie de la construction.
L’autre grande différence avec 2011 en ce qui concerne le CLT, c’est le fait qu’il n’existait pas encore de norme à son sujet, rendant plus compliquée l’utilisation de ces panneaux multi-couches (3, 5, 7, la plupart du temps en nombre impair) par les entrepreneurs devant respecter les règles en vigueur.
Cependant, FPInnovations a participé dans les années qui ont suivi à l’élaboration d’une norme de fabrication nord-américaine pour le CLT. « Pour que les manufacturiers nord-américains puissent fabriquer du CLT dans leurs usines de façon sécuritaire, pour remplir toutes les règles de sécurité exigées dans le Code du bâtiment », explique M. Gagnon.
Cette norme existe depuis 2015 et porte le nom de CSA O86 au Canada – ANSI PRG 320 à travers l’Amérique du Nord – et c’est elle que suivent les ingénieurs qui conçoivent des édifices en hauteur. « Les ingénieurs canadiens ont maintenant à leur disposition toutes les méthodes de calcul pour utiliser le CLT », résume l’expert de FPInnovations.
Et on a depuis longtemps dépassé le stade expérimental. Le complexe de condominiums Origine, dans l’écoquartier de la Pointe-aux-Lièvres à Québec, est exclusivement construit en CLT et fait 13 étages de hauteur. Ce serait le plus imposant de la province, bien que d’autres édifices CLT soient présents ailleurs au Québec. Selon M. Gagnon, il existe des édifices de lamellé-croisé qui atteignent 24 étages.
« Lorsqu’on a vu qu’on commençait à avoir la possibilité d’utiliser du bois pour construire plus haut que du six étages, c’est là que le Canada a embarqué. », dit-il.
Contrôle de qualité
Le gros avantage du bois d’ingénierie sur une pièce de bois massive taillée d’une seule pièce dans un arbre, c’est l’homogénéité contrôlée de son intégrité. Pas de nœud placé à un endroit gênant par caprice de Mère Nature, par exemple.
« On vient optimiser le bois en enlevant les défauts. On vient optimiser le panneau massif en y intégrant plusieurs petits composants qui ont déjà été classés, visuellement ou mécaniquement », résume M. Gagnon, faisant ainsi référence aux procédés d’automatisation pouvant contribuer à ces classifications.
« On contrôle l’intrant. Donc on vient diminuer la probabilité de rupture, ce qui fait augmenter les propriétés mécaniques », ajoute-t-il.
Et même si les essences résineuses sont plus courantes au Québec, du bois franc peut également être incorporé dans des panneaux de CLT sans en altérer les spécifications techniques, sinon peut-être le poids puisque l’érable est plus lourd que l’épinette noire, à titre d’exemple. Le bois franc ayant plus de valeur sur le marché du bois d’apparence, le bois mou continue cependant d’être privilégié.
Les jeunes poussent, eux aussi.
Sur le plan environnemental, il convient de rappeler que les arbres captent nos émissions de carbone et que le bois qu’on en tire les maintient emprisonnées. À ce titre, M. Gagnon fait remarquer que le gouvernement du Québec a statué que tous les projets de constructions publics devaient désormais considérer à tout le moins l’utilisation du bois, comme on l’a vu avec les esquisses de nouvelles écoles.
Ce n’est probablement pas un hasard puisque, selon l’expert de FPInnovations, l’utilisation du bois dans les écoles va « aider à éduquer la jeunesse à l’utilisation de matériaux nobles et renouvelables. »
Parce que les jeunes poussent, eux aussi.
Et peut-être liront-ils à leurs propres enfants une version revue et corrigée des Trois petits cochons.
Par : Eric Bérard