Oubliez les usines rutilantes où on pourrait manger sur le plancher et où les chariots élévateurs circulent tout doucement. Pour automatiser des opérations forestières ou minières, il faut tenir compte des terrains accidentés, boueux, poussiéreux, et bruyants.
Cela fait partie du mandat de FPInnovations, une organisation de recherche et développement à but non lucratif.
L’organisation est basée sur un modèle collaboratif, établi depuis plusieurs dizaines d’années, où les entreprises forestières contribuent à FPInnovations sous forme de paiement de membership. Elle, de son côté, pilote son programme de recherche collaboratif en fonction des priorités exprimées par l’industrie.
Mathieu Blouin y est vice-président aux partenariats industriels et a accordé une entrevue au Magazine MCI afin de discuter des défis et enjeux et défis de l’automatisation de l’industrie forestière.
« Comme dans la plupart des secteurs industriels, c’est une opportunité de pouvoir améliorer ses produits, de réduire ses coûts. Qu’on le veuille ou non, on a aussi le défi de la main-d’œuvre un peu partout au Canada », dit-il dans un premier temps.
L’automatisation permet d’atténuer ce problème de rareté de main-d’œuvre qualifiée et de rendre l’industrie encore plus compétitive.
Le fait que l’organisation soit sans but lucratif, donc n’ait rien à vendre aux entreprises forestières, la rend d’autant plus crédible.
« Un des rôles qu’on joue, c’est celui de “honest broker”, ou d’intermédiaire de confiance si vous voulez. On est une tierce partie. Donc c’est un endroit, pour les gouvernements et pour les gens de l’industrie, où ils peuvent venir chercher des recommandations basées sur des données factuelles, sur la science », précise M. Blouin.
Le premier exemple qui vient en tête de Mathieu Blouin se situe en aval de la chaîne de valeur, certains entrepôts qui sont hautement automatisés.
« Dans certaines usines de pâte par exemple, des rouleaux de pâte vont être convoyées et entreposés de manière autonome, avec des courroies automatisées ou encore avec des systèmes de levage automatisés qui permettent déplacer les rouleaux dans l’entrepôt », explique l’expert.
De la forêt aux usines, ce sont les opérations de transport qui représentent les coûts les plus élevés, notamment parce que les entreprises doivent composer avec une rareté de chauffeurs qualifiés.
Solution? Transporter les billes de bois par camions autonomes. Les premières moutures impliquaient un chauffeur humain dans le camion de tête de peloton qui, grâce à la connectivité des véhicules, traçait la voie aux camions autonomes qui le suivent, sans chauffeur à bord.
La technologie a fait des pas de géant et on commence désormais à envisager des pelotons complets de camions autonomes, sans aucun chauffeur de sûreté humain.
« Les véhicules autonomes, de manière générale pour transporter du bois, c’est une application sur laquelle on se concentre », dit Mathieu Blouin.
Là aussi le rôle d’intermédiaire de confiance a toute son importance, notamment auprès des législateurs et des groupes d’assurances.
« Pour que ces technologies soient déployées, il faut que la réglementation le permette et il faut avoir des produits d’assurance, il faut avoir du financement », souligne le vice-président de FPInnovations.
Des machines deviennent aussi les yeux des contremaîtres qui doivent s’assurer que la ressource est exploitée adéquatement.
« On voit la technologie des drones qui est déjà présente depuis quelques années. Maintenant ça devient de plus en plus commun de voir des superviseurs de récoltes qui vont avoir un drone dans leur véhicule et vont s’en servir, par exemple, pour faire des suivis visant à s’assurer que les critères de performance sont rencontrés », témoigne M. Blouin.
La prochaine étape : automatiser le mesurage du bois, qui est la pierre d’assise de la tarification au mètre cube.
« C’est une tâche qui est encore manuelle aujourd’hui. On a vraiment quelqu’un qui a une règle, qui a des voyages échantillons et qui, à partir de là, va mesurer l’ensemble d’un échantillon pour être capable d’évaluer le nombre de mètres cubes », explique notre expert invité.
Le travail de mesureur est exigeant, complexe et très régulé.
Ces gens-là travaillent au froid l’hiver, parfois sous la pluie et dans toutes sortes de conditions difficiles.
FPInnovations travaille en ce sens sur un système de mesurage du bois automatisé, capable d’établir le facteur masse/volume de manière automatisée, sans avoir recours à un mesureur.
En usine, des technologies telles que des lecteurs optiques sont également utilisées pour trier des essences ou des dimensions de bois scié, d’en faire le contrôle de la qualité, et plus encore.
« Il a déjà eu beaucoup de travail qui a été fait dans ce domaine-là. Les fabricants de machines et d’équipement, québécois et canadiens, ont déjà très bonne réputation à ce niveau-là, entre autres pour le classement du bois d’œuvre avec des systèmes optiques », explique M. Blouin. Bref, le savoir-faire local est bien en place.
C’est notamment le cas chez Comact, dont le siège social se trouve à Mirabel.
L’entreprise commercialise de l’équipement spécialisé capable de classifier les pièces de bois à l’aide de l’intelligence artificielle pour maximiser le rendement, de surveiller les procédés pour assurer le flux des opérations sur les lignes de sciage ou encore pour faire du contrôle de qualité en temps réel.
Selon M. Blouin, l’utilisation de ce type de machines en usine est devenue beaucoup plus courante au cours des 10 à 15 dernières années.
FPInnovations travaille également à des solutions d’automatisation du chargement et du déchargement du bois.
« On essaie d’être en avant de la tendance. Essentiellement d’attirer ou d’adapter des technologies qu’on voit déjà dans d’autres secteurs », dit-il.
La manipulation de billes de bois est un maillon crucial de la chaîne, que ce soit en forêt, en bordure de chemin forestier pour charger les camions ou encore à l’usine.
« Un des gros défis qu’on a dans le secteur forestier, c’est qu’on doit travailler dans un environnement qui est difficile, qui est peu informe aussi. On va travailler avec des conditions météorologiques difficiles parfois, on va avoir des conditions de sol, ou de terrain qui ne sont pas toujours évidentes, avec la neige par exemple », explique Mathieu Blouin.
Les technologies d’automatisation doivent donc être adaptées à ces contraintes particulières, typiques du travail en forêt.