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Exportations canadiennes – Entre la perte de confiance, l’incertitude et l’espoir

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Alors que les exportateurs canadiens ont aujourd’hui en main plus d’accords de libre-échange que la grande majorité des pays, le plus récent Indice de confiance commerciale de la mi-année 2020 d’Exportation et Développement Canada affiche une baisse historique. Pandémie, récession, remontée du protectionnisme, élections américaines, autant de facteurs qui inquiètent nos entreprises exportatrices. L’espoir porte un nom : diversification des marchés.

Exportation et Développement Canada (EDC) publiait en juin dernier son indice semi-annuel de confiance commerciale des exportateurs. Le sondage tenu en mai par EDC auprès de 1000 exportateurs est assez révélateur du climat qui règne : en un peu plus de 20 ans d’existence, l’indice de confiance atteignait un taux de 56 %, le plus bas jamais enregistré, et 5 points de pourcentage sous le dernier creux de 2008-2009.

« Nous ne sommes pas surpris du résultat », nous dit Stephen Tapp, économiste chez EDC. « Nous nous attendions au plus bas taux de confiance que nous n’avions jamais vu, et c’est ce qui est ressorti du sondage. Les facteurs? La pandémie, mais aussi des préoccupations quant au protectionnisme dans les échanges commerciaux internationaux. Les entreprises sont préoccupées par l’environnement général en matière d’échanges internationaux, avec l’utilisation de tarifs douaniers et autres obstacles à l’exportation. »

Cette perte de confiance illustre une situation bien réelle. Les exportations canadiennes ont en effet connu une baisse importante depuis le début de la pandémie de Covid-19, mais cette baisse avait débuté avant l’éclosion du virus, avec une diminution marquée dès novembre, notamment avec les États-Unis. Économiste principal au Mouvement Desjardins, Benoit Durocher souligne toutefois qu’il y a trois réalités bien distinctes: celle des produits énergétiques, avec une baisse de 46 % en avril, celle du secteur automobile, qui a connu une chute record de 83 %, et le reste des exportations, qui encaisse une diminution de 20 %.

« Avec la Covid, on a un net ralentissement du commerce mondial, parce que plusieurs activités ont été arrêtées partout sur la planète, parce que c’était plus difficile de transporter certaines marchandises. Tous ces facteurs qui ont fait en sorte que ça diminue également. Si on additionne ces facteurs, on voit donc des réductions importantes. »

L’économiste Jocelyn Paquet de la Banque Nationale voit aussi dans le secteur de l’énergie, un secteur qui représentait en moyenne 20 % de nos exportations en 2019, un constat inquiétant pour l’économie canadienne.

« La Covid a réduit énormément la demande en énergie, en toutes sortes de produits énergétiques, et notre prédiction économique est qu’après un rebond assez fort, le niveau d’économie ne retrouvera pas sa trajectoire d’avant la Covid avant un bon moment. Dans cette perspective, tout ce pan de nos exportations pourrait être affecté sur une plus grande période. On pense à l’aviation qu’on ne voit pas retourner rapidement au niveau d’avant la crise et d’autres secteurs qui vont exercer une pression à la baisse sur la demande pour les produits énergétiques, et évidemment le Canada va en souffrir. »

Les États-Unis et la Chine

Au-delà de l’impact indéniable de la pandémie sur les échanges commerciaux internationaux, le climat politique international vient aussi affecter nos exportations et la confiance des exportateurs. Et malgré l’entrée en vigueur le 1er juillet du nouvel ALENA, l’Accord Canada États-Unis Mexique ou ACEUM, notre principal partenaire économique, les États-Unis, adopte depuis l’élection de Donald Trump une politique « America First » qui surpasse largement celle de ses prédécesseurs. Stephen Tapp de EDC voit dans ce nouvel accord un brin d’optimisme, qui élimine un certain degré d’incertitude.

« Mais d’un autre côté, les gens sont inquiets car même avec cette entente en place, il y a cette menace de renouvellement de tarifs sur l’aluminium, que la plupart des gens considèrent non justifiés, pas plus qu’ils ne l’étaient il y a un an. Mais je crois qu’on peut d’un côté avoir un accord de libre-échange et continuer de vivre sous la menace de tarifs. » (NDLR: l’entrevue avec Stephen Tapp s’est déroulée avant l’annonce par Donald Trump de la nouvelle imposition de tarifs sur l’aluminium canadien)

Tout comme Stephen Tapp, Benoit Durocher du Mouvement Desjardins estime que les élections américaines de novembre prochain auront inévitablement un impact sur les exportateurs canadiens.

« Depuis l’élection de Trump, c’est vraiment le climat d’incertitude qui est constamment présent, entre autres pour les exportateurs. Même lorsqu’on a appris la signature du nouvel accord de libre-échange, on n’a pas encore vu d’effets importants sur les investissements des entreprises. Il n’y a pas eu encore de regain de confiance à la suite de ça, même avant la Covid. On le constate, le climat de confiance n’était pas là. Je pense que si les Démocrates devaient l’emporter, le climat d’incertitude pourrait baisser d’un cran de façon substantielle. Et même si les Démocrates sont considérés comme habituellement plus protectionnistes, la simple diminution de l’incertitude pourrait être favorable pour les exportateurs canadiens et québécois. »

Et le climat est aussi tendu entre le Canada et son autre partenaire économique important, la Chine, notamment dans le contexte de l’extradition possible de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, des tensions à Hong Kong et de la détention de Canadiens en Chine. Sans compter les tensions entre les États-Unis et la Chine, qui viennent elles aussi brouiller les cartes.

À cela s’ajoute une tendance mondiale au protectionnisme. Selon le sondage de EDC, près de 70 % des exportateurs canadiens s’attendent à une augmentation du protectionnisme dans la prochaine année. Jocelyn Paquet de la Banque Nationale partage leur avis.

« Ces replis sur soi-même s’accélèrent lors des crises économiques. La tendance qui était déjà là même avant la crise de la Covid, considérant les problèmes économiques qui risquent d’en découler, pourrait s’accélérer. »

S’il demeure optimiste, Benoit Durocher de Desjardins souligne que le climat protectionniste pourrait entrainer la perte pour le Canada d’acquis importants gagnés grâce aux accords de libre-échange.

« J’aurais tendance à dire qu’une fois la poussière retombée, les chaînes d’approvisionnement mondiales vont reprendre le dessus et ça va permettre au commerce international de reprendre un peu sa place. Mais ce n’est pas exclu que le protectionnisme finisse par l’emporter. »

Diversifier les marchés

Toujours dans le sondage de l’Indice de confiance commerciale de EDC, 67 % des répondants estiment que la récession mondiale déclenchée par la pandémie durera plus d’un an, et 44 % croient en une reprise en dents de scie. Dans ce contexte de tensions et de conflits, qui s’ajoutent aux problématiques déjà importantes engendrées par la Covid-19, l’ouverture de nouveaux marchés est un élément clé pour les exportateurs québécois et canadiens. Toujours selon le sondage de EDC, 69 % des exportateurs prévoient exporter vers de nouveaux pays dans les deux prochaines années. Le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France sont ciblés en moyenne par 20 % des exportateurs.

Stephen Tapp de EDC y voit une bonne nouvelle.

« Nous voyons plus d’entreprises qui lorgnent de l’autre côté de l’Atlantique, qui recherchent de nouveaux marchés. Avant, la plupart des gens regardaient principalement vers les États-Unis et la Chine. Nous voyons maintenant beaucoup plus d’intérêt pour l’Europe et les marchés asiatiques autres que la Chine. La situation actuelle pourrait accélérer cette tendance des entreprises à faire affaire avec plus de pays différents qu’avant la Covid. »

Et cette tendance se confirme en chiffres. Depuis l’entrée en vigueur de l’Accord économique et commercial global (AECG) en septembre 2017, les échanges commerciaux entre le Canada et l’Union européenne ont bondi de 25 %. Pendant ce temps, les échanges avec les États-Unis n’augmentaient que de 8,6 %. Nos exportations vers l’UE se sont accrues durant cette période de 28 %, contre 11,5 % vers les États-Unis.

Avec ces chiffres positifs à l’appui, la Chambre économique Canada Europe travaille à créer des ponts entre les entreprises d’ici et celles de l’autre côté de l’Atlantique. Vincent Bernier, président du Groupe Bemesa et vice-président, Communications et Partenariats de la Chambre économique Canada Europe (CECE), trace effectivement un bilan positif des premières années de l’AECG, avant l’arrivée de la pandémie.

« Les entreprises québécoises commençaient à se tourner vers l’Europe. On avait senti dans la dernière année, la fermeture du côté américain, avec le Buy American, et ç’avait donné un gros coup dans l’industrie, surtout en Beauce. Il fallait se tourner vers l’Europe pour regarder à développer de nouveaux partenariats, et c’est ce qui a été fait. »

La fermeture des frontières en raison de la Covid-19 et le ralentissement économique tant en Europe qu’ici ont un peu freiné les ardeurs, mais la CECE continue son travail, notamment depuis ses bureaux à Bruxelles où une permanence a été établie. Si les discussions positives se poursuivent via courriels, téléphones et vidéo-rencontres, de type Zoom, Vincent Bernier espère un retour à la normale qui permettra des rencontres en personne, soit lors de missions ou lors d’expositions comme le Salon Industriel de Québec.

« Les Zoom, ont en fait régulièrement. Mais c’est un pis-aller, une période de transition. Quand on regarde pour des contrats de plusieurs millions de dollars, il faut voir la personne, mieux connaître avec qui on fait affaire, prendre ensemble une bonne bière, un bon repas. La convivialité est importante pour clore les affaires. Il n’y a rien comme une belle mission pour aller parafer les ententes. »

Un retour à la normale?

Les économistes demeurent prudents dans leurs pronostiques de la durée de la crise économique engendrée par la Covid-19. Stephen Tapp de EDC reconnaît que le portrait qui se dégage de l’Indice de confiance commerciale est pessimiste, mais souligne que le sondage de mai a été pris au plus fort de la crise.

« Nous referons ce sondage vers la fin de l’année, et si on regarde comment vont les choses présentement, je m’attends à un résultat plus positif. Mais le signal qu’on reçoit avec ce sondage, c’est qu’il ne faut pas s’attendre à un retour rapide à la normale. Nous vivons vraiment une période pleine de défis. »

Pour Benoit Durocher, difficile de se prononcer avec des variables trop incertaines.

« Évidemment, la grande question : est-ce qu’il va y avoir une deuxième vague, et quelle sera la réponse des autorités? Est-ce qu’on va reconfiner mur-à-mur comme on l’a fait au printemps, ou on va reconfiner de façon plus stratégique, en visant certaines régions et certains secteurs? De ce que j’entends, ça risque d’être plus la deuxième option, tout dépendant de l’ampleur de la pandémie. À ce moment-là, les effets néfastes d’une possible deuxième vague de la pandémie sur les économies canadienne et mondiale pourraient être moins prononcés. »

Jocelyn Paquet de la Banque Nationale estime pour sa part que l’économie n’a pas encore ressenti le plein effet de la Covid-19, en raison notamment des prestations et autres aides gouvernementales aux particuliers et aux entreprises. Mais la fin plus que probable de ces programmes risque de changer la donne.

« Le choc économique comme tel est sans précédent. Mais la réponse des gouvernements et des autorités monétaires a également été sans précédent. Là, on vit dans une drôle d’économie : on a des taux de chômage particulièrement élevés et on voit les données de revenus personnels, par exemple aux États-Unis, qui augmentent énormément. C’est la première fois qu’on voit une récession où les revenus totaux augmentent. Mais ça ne durera pas, et on ne voit pas le marché de l’emploi revenir où il était avant la crise pour un bon moment. Quand les revenus des consommateurs vont diminuer, on va voir la véritable ampleur de cette crise. »

Par Claude Boucher

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