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May

Énergie de fusion nucléaire : Pas d’électricité de fusion distribuée avant une génération

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Les entreprises industrielles et manufacturières du Québec ne pourront pas compter avant 30 à 100 ans sur une contribution de la fusion thermonucléaire contrôlée afin d’accroître la quantité d’électricité disponible pour leurs projets de développement ou pour leurs plans de décarbonation par conversions énergétiques.

La fusion libère un surplus d’énergie et de la chaleur en faisant entrer en collision deux atomes légers d’isotopes d’hydrogène (deutérium et tritium) pour les fusionner en un atome plus lourd d’hélium. Le surplus d’énergie et la chaleur sont le produit du réacteur, car l’atome final contient moins d’énergie que les deux atomes de départ. Cette chaleur et des bouilloires d’eau produisent de la vapeur. La vapeur actionne des turbines, qui elles génèrent de l’électricité à distribuer.

La fusion nucléaire est donc différente de la fission nucléaire. Celle-ci est la réaction nucléaire mieux connue, plus facile car nécessitant moins d’énergie à produire, qui est utilisée depuis les années 40 de façon continue pour produire de l’énergie, par exemple à Gentilly, Three Mile Island, Fukushima et Tchernobyl.

La fission libère plutôt un surplus d’énergie et de la chaleur en brisant un atome lourd initial d’isotopes d’uranium en deux atomes plus légers. Avec la fission comme avec la fusion, l’idée est de libérer et de capturer une plus grande quantité d’énergie que la quantité d’énergie qui a été requise pour produire la réaction au départ et la chaîne de transformations ensuite.

Selon les scientifiques interrogés par MCI, la fusion a sur la fission les avantages de ne pas produire de déchets radioactifs, d’être moins à risque de relâcher de la radiation, de ne pas inclure de risques de surchauffement du coeur des réacteurs ou de réactions en chaîne en raison de perte de contrôle après une série d’erreurs, de ne pas nécessiter de mines d’uranium, de ne pas requérir d’enrichir et de purifier de l’uranium, de même que d’avoir l’eau des lacs, des mers et de la pluie comme source d’approvisionnement en isotopes d’hydrogène à fusionner.

À quand de l’électricité de fusion nucléaire dans mon bâtiment?

Les prévisions sur la proximité de la mobilisation de la fusion nucléaire pour augmenter la quantité d’électricité qui circule dans le réseau de distribution et qui est disponible pour des manufacturiers varient selon l’optimisme des scientifiques.

Selon Émile Knystautas, physicien et professeur à l’Université Laval ayant travaillé avec un réacteur à fusion nucléaire au Tokamak de Varennes, la fusion est encore loin d’être une solution à nos besoins énergétiques. Il dit ne pas prévoir qu’elle le devienne avant encore 50 à 60 ans, mais peut-être aussi 30 ans avec de la chance, ou 100 ans. « L’horizon de 50 ans recule constamment depuis 50 ans », a-t-il fait remarquer.

À son avis, les plus récents développements en fusion sont des petits pas dans la bonne direction, par exemple le Tokamak ITER en France. Il s’agit d’un premier prototype de réacteur qui sera opérationnel vers 2025. Il y aura des problèmes, et ses versions suivantes seront ajustées, mais l’installation sera un jour liée au réseau de distribution d’électricité. « C’est comme aller sur la Lune. Il n’y a pas vraiment eu de nouvelles technologies lancées avant 1969. Il y a seulement eu plusieurs étapes pour y arriver. Nous réglons un problème à la fois », a-t-il affirmé.

Selon Elliot Claveau, postdoctorant en fusion nucléaire au Massachusetts Institute of Technology (MIT), la fusion ne sera pas avant la décennie 2040 un moyen de produire de l’électricité en quantité commerciale à distribuer dans les réseaux, sauf que « même les scientifiques pessimistes disent que ça va arriver ».

À son avis, il n’y a pas encore eu de grandes percées économiques et technologiques autrement que par étapes. Plus d’argent qu’il y a cinq ans est par contre investi dans le domaine, et il y a désormais autour de 45 entreprises privées qui explorent des approches. La majorité échouera, mais il y a plus d’essais.

« D’ici 2030 nous devrions voir une démonstration qu’un réacteur peut créer plus d’énergie qu’il n’en consomme globalement. Il y aura ensuite encore plus d’argent investi. Dans la décennie 2030, de un à trois réacteurs expérimentaux pourront être construits et produire de l’électricité. Il faudra ensuite passer de la démonstration à la fiabilité », a-t-il expliqué.

Guy Marleau, professeur au département de génie physique à Polytechnique Montréal, affirme qu’il serait surpris que la fusion devienne une option de production d’électricité avant 2050, à moins qu’un développement technologique bouleversant survienne, et qu’il sera difficile qu’elle le soit avant 2070.

Problèmes encore à résoudre pour que ça fonctionne

En 2022, le laboratoire fédéral Lawrence Livermore en Californie a annoncé avoir produit 3,15 mégajoules avec 2,05 mégajoules.

Émile Knystautas considère que ce résultat scientifique est valide. Par contre, il affirme que son calcul ne tenait pas compte de l’énergie qui avait été requise pour produire les premiers 2,05 mégajoules, notamment l’énergie qui avait été requise par toute l’infrastructure autour, par exemple pour préchauffer et pour comprimer le gaz qui doit être introduit dans les chambres à vide qui contiennent les réacteurs.

« Le scientifique est satisfait s’il retire 101 unités d’énergie de sa réaction après en avoir injecté 100 unités. Le problème est que nous en sommes encore loin et que le rêve est d’en produire beaucoup plus. Nous y sommes au niveau de l’appareil, mais en plus du réacteur il faut fournir les centaines d’ampères de courant qui alimentent la structure, les bobines magnétiques, les systèmes de refroidissement, etc. », a-t-il précisé.

De plus, à son avis, un réacteur typique de fission contribue à produire de l’électricité 92 % du temps. « Le problème avec la fusion est de trouver comment produire la réaction en continu pour maintenir une production constante. Nous sommes loin de réacteurs qui fonctionnent de manière constante et d’une réaction de fusion qui peut être produite jour et nuit ».

Il a ajouté que les installations non expérimentales auront besoin de matériaux industriels qui permettront aux parois et aux structures métalliques qui entourent un vrai réacteur de résister, sans trop de dommages comme des boursouflures et de la corrosion, à des tirs de création de fusion constants et non interrompus pour faire des diagnostics et à des bombardements constants de neutrons libérés. Selon lui, « nous sommes loin d’avoir des tirs assez fréquents pour que ça vaille la peine ».

Elliot Claveau est du même avis quant au résultat du laboratoire Livermore. « Ce qui a été fait était important, mais ce n’était pas une révolution. Générer l’énergie initiale a nécessité des lasers gros comme trois terrains de football, qui ont utilisé beaucoup d’énergie. Globalement c’était un bilan négatif ».

« Il n’y a rien de vraiment nouveau en matériaux et technologies de fusion. C’est une question de comment agencer ses matériaux dans la bonne configuration. C’est comme pour les premiers vols d’avion. Le défi n’était pas tellement de trouver un matériau parfait. C’était plutôt de trouver comment et où placer des matériaux existants pour que ça fonctionne », a-t-il dit.

Selon Guy Marleau, les scientifiques doivent encore travailler sur des façons de réduire les quantités d’énergie requises par les infrastructures et pour coller et fusionner les atomes de départs, de manière à obtenir une production nette d’énergie.

« Il y a deux approches majeures. La fusion magnétique avec les tokamaks, les décharges et le chauffage d’un gaz, de même que la compression de décharges avec des champs magnétiques externes fournis par des bobines. Il y a aussi l’approche par confinement inertiel (Livermore) avec des faisceaux laser qui frappent dans toutes les directions des morceaux d’isotopes d’hydrogène déjà plus solides qu’un gaz », a mentionné Émile Knystautas.

Selon Elliot Claveau, dans la fusion par confinement magnétique, des technologies telles que des aimants superconducteurs doivent encore être perfectionnées pour augmenter la puissance des champs magnétiques et faciliter les réactions. Dans le cas de la fusion par confinement inertiel, avec des lasers à la place de champs magnétiques, le nombre de tirs par seconde et la puissance des lasers doivent encore être augmentés pour pouvoir produire.

Occasions d’affaires manufacturières et minières

Les infrastructures en aval de la réaction de fusion et en aval de la réaction de fission ont plusieurs points en commun, selon Émile Knystautas. De son côté, Elliot Claveau considère que des centrales de fission pourraient techniquement être converties en centrales de fusion. Cependant, il a affirmé plutôt s’attendre à ce que les centrales de fusion soient de nouveaux bâtiments.

Selon Elliot Claveau, des usines pourraient aussi techniquement s’équiper de leur propre petit réacteur à fusion pour produire la chaleur dont elles ont besoin, par exemple pour leur propre système central de chauffage, sans nécessairement se rendre jusqu’à produire de l’électricité avec cette chaleur.

Selon les trois scientifiques, le jour où la fusion fonctionnera, des centrales de fusion auront besoin d’équipements, de matériaux et de pièces résistants à des conditions hostiles, tels que des aimants superconducteurs, des cryostats pour tenir des électroaimants à basse température, des détecteurs, des échangeurs de chaleur, des électroaimants, des intérieurs de cuves blindés avec du tungstène pour résister au froid, des lasers, du machinage de précision, du lithium pour obtenir le tritium, des pompes, des revêtements cryogéniques, des supraconducteurs, des systèmes de chauffage, des turbines et de la tuyauterie de refroidissement.

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